Carnets d'un expatrié au coeur de la Chine Des excuses publiques à l'usine

Ma mission en Chine va-t-elle prendre fin ?

« Quinze heures, Xue Hui pénètre dans notre bureau, interrompant la réunion en cours. Il a quelque chose d'important à dire. Il s'assoit à notre table, pose un extrait de plan, son calepin, puis griffonne un croquis. Cette fois, pas besoin d'interprète. Les salauds !

Ils ont coupé un des poteaux de la rehausse carcasse parce qu'il gênait le passage d'une connexion en cuivre. Je n'ai pas besoin d'en savoir plus, je descends à l'atelier, entraînant à ma suite Wenzhouren et mademoiselle Xiao Xu.

"Une partie de l'atelier a arrêté le travail et j'ai eu la visite d'une délégation dans mon bureau. Ils se plaignent d'avoir été menacés et réclament ton départ"

Arrivé aux pieds de la machine, je constate l'ampleur du désastre, un des poteaux a été oxycoupé sur plus du tiers de sa section. L'équilibre de l'ensemble, qui était déjà très précaire, est maintenant gravement compromis et la chose leur paraît être naturelle, si naturelle que l'agent de maîtrise du secteur me tend la fameuse connexion.

Jamais, au grand jamais, on ne doit mettre en péril une installation pour un bout de cuivre !

Je le saisis, le soupèse, puis le frappe contre le montant de la carcasse, faisant éclater l'isolation et tordre le cuivre.

Mademoiselle Xiao Xu laisse échapper un " Oh " d'exclamation. Elle est la seule à réagir, tous les autres restent figés. Je remonte alors au bureau emportant la fameuse connexion.

J'utilise l'heure qui suit à solder quelques détails avant de descendre rejoindre mon chauffeur à la sortie de l'usine, rien ne paraît avoir changé et ce n'est que vers les vingt heures que mon téléphone se met à sonner. C'est Maubard !

- Une partie de l'atelier a arrêté le travail et j'ai eu la visite d'une délégation dans mon bureau. Ils se plaignent d'avoir été menacés et réclament ton départ. Demain tu retournes au bureau comme d'habitude, mais tu adoptes un profil bas et tu ne remets pas les pieds à l'atelier immédiatement. As-tu compris ?!

Et il ajoute.

- Je contacte le bureau de Pékin et la direction en France, je te tiendrai au courant demain...

Me voilà maintenant sur la sellette !

Me serais-je embarqué dans un jeu dont l'issue ne serait que l'échec, pris entre deux intérêts conflictuels, celui d'une direction locale jouant la pérennité par le dialogue et une direction française tenante de l'orthodoxie technique ?

Partir, rentrer en France, autant d'hypothèses qui n'ont jamais été si proches d'une humiliante réalité. Que faire ?

Curieusement l'ambiance au bureau ne semble pas avoir été affectée par les événements de la veille, Peut-être est ce juste un peu plus calme. Seul Wenzhouren paraît un peu triste. Je reçois un seul appel téléphonique, c'est Maubard.

- Les esprits se sont un peu calmés ce matin, le travail a repris et j'ai pu obtenir un face à face entre toi et l'atelier, madame Grace sera ton interprète. J'ai préparé le terrain, sois humble et présente tes excuses en faisant ressortir que cela te coûte. En attendant, ne bouge pas et reste à disposition dans ton bureau. Je te téléphonerai pour te prévenir.

Fin d'après midi, mon téléphone sonne, l'heure pour moi de descendre dans la grande salle de réunion. Maubard y occupe la première place, au centre de la tribune, madame Grace est à côté de lui. Il n'y a pas d'autres membres du comité de direction. Les plaignants, au nombre d'une vingtaine, s'installent sur les premières chaises. Tous sont silencieux. Maubard paraît un peu crispé, il me fait asseoir à ses côtés, puis il débite une courte introduction avant de me donner la parole. Je parle donc, faisant un discours convenu sur la valeur du travail et me repentant de mes actes passés. Maubard m'observe, soucieux. Les plaignants aussi m'observent, pas un d'entre eux ne sourcille, tous me regardent fixement, l'air sévère. La scène à quelque chose de théâtral, de convenu. Mon discours fini, Maubard s'adresse à nouveau au public, puis me libère. Je quitte alors la salle dans le silence. Wenzhouren m'attendait au bureau, il paraît presque plus gêné que moi par la tournure des événements. Lui aussi a des nouvelles.

Monsieur Mu Xian Sheng, directeur adjoint, ainsi que monsieur Lao Tian, responsable du Parti pour l'usine souhaitent me parler.

Je réponds que je suis toujours disponible pour entendre ces messieurs.

Les choses finiront-elles par reprendre leur cours normal ?

Au soir, je retrouve le bout de cuivre où je l'avais laissé, dans mon cellier. Qu'en faire ? Que faire ? »

Carnets d'un expatrié au coeur de la Chine, Christophe Tanguy, Maxima-Laurent Du Mesnil Editeur, Juin 2008, pages 229-231