Carnets d'un expatrié au coeur de la Chine La cérémonie du thé

Au bureau d'études

« Troisième et dernière journée de travail de ma semaine : cette fois nous sommes accompagnés de deux contrôleurs venus superviser les fabrications sous-traitées par un donneur d'ordres français. Le plus âgé est un méridional, la cinquantaine, les yeux bleus, il porte une petite moustache grise bien taillée. Il a un air de ressemblance avec Jacques Mayol le célèbre plongeur apnéiste. C'est un soudeur d'origine.

Arrivé à l'usine, je monte directement à l'étage. Je suis le premier au bureau, Zhao Zhen n'est pas encore arrivé, tant mieux, je vais pouvoir faire ma tournée en individuel. Le temps de poser mes affaires, je commence par le secrétariat. Une vraie volière dont mon arrivée ne paraît pas troubler le bavardage, mais mademoiselle Chen interrompt quand même sa conversation.

- Bonjour, vous êtes de bonne heure aujourd'hui.

"A peine a-t-elle posé les Thermos que les discussions cessent et chacune d'accourir avec ses feuilles de thé, qui dans un bocal récupéré, qui dans une tasse"

J'acquiesce, mais je n'aurais pas le temps de donner des explications très détaillées car la porte s'ouvre à nouveau pour laisser le passage à deux grands Thermos de plastique coloré, portés par une secrétaire aussi jeune que menue, d'à peine vingt ans pour un mètre cinquante. Une robe jaune canari, des cheveux sombres coupés courts et une peau incroyablement blanche, une vraie poupée de porcelaine. A peine a-t-elle posé les Thermos que les discussions cessent et chacune d'accourir avec ses feuilles de thé, qui dans un bocal récupéré, qui dans une tasse. Après cette distribution chacune s'en retourne à son poste de travail et bientôt on n'entend plus que le cliquetis des claviers.

La salle suivante est celle où travaille l'ingénieur Yang Yang. Là, ambiance studieuse, la distribution d'eau chaude a déjà eu lieu. Un vieux monsieur, que je n'avais pas remarqué précédemment, vient à ma rencontre. La soixantaine, Il est assez grand, mince, se tient voûté. Il porte un costume sombre, lustré par l'usure. Ses cheveux gris recouvrent difficilement une tête petite au teint jaunâtre marqué de taches de coloration. Derrière des lunettes à grands carreaux ses yeux sont grisâtres, pupille et iris sont presque confondus.

- Bonjour monsieur, ça va ?

Il a un accent très surprenant pour un chinois. Nous discutons un petit peu. J'apprends qu'il a travaillé en Guinée, il y a de cela une dizaine d'années, comme interprète de travailleurs chinois et que maintenant il a ici un emploi d'intérimaire pour des travaux de traduction. Rapidement notre conversation a des ratés, d'abord des silences, puis des incompréhensions. Les limites de son vocabulaire sont vite atteintes. Il m'apprend néanmoins quelques formules usuelles de la langue chinoise : bonjour, comment allez-vous, merci, au revoir, etc., ainsi que les inévitables sottises sans lesquelles l'apprentissage des langues serait bien monotone.

Ici l'ambiance est très studieuse, ce qui n'est pas forcément synonyme de travail. L'ingénieur Yang Yang Jan me lance une petite plaisanterie en anglais, qu'il traduit ensuite à l'attention des ses collègues et qui les fait bien rire. La petite dessinatrice à la table du milieu m'adresse la parole en chinois, mais les mots que j'ai récemment appris ne me permettent évidemment pas de la comprendre. Yang Yang fait l'interprète. Pendant qu'il traduit, je la regarde. C'est une jolie petite femme, pas encore la trentaine, tout en courbes. Elle a la voix très claire, très rieuse. Elle s'inquiète de mes impressions sur son pays, sur mon logement, la nourriture et autres détails matériels. J'oriente la discussion sur son travail. Elle a, étalé devant elle, un dessin superbe fait en CAO, visiblement elle maîtrise très bien l'outil informatique. Je la complimente, ce dont elle rougit... en ai-je trop dit ? Je prends alors congé de mes dessinateurs, au tour des ingénieurs maintenant ! »

Carnets d'un expatrié au coeur de la Chine, Christophe Tanguy, Maxima-Laurent Du Mesnil Editeur, Juin 2008, pages 36-37