Pour ou contre l'IPO de Snapchat : 4 analystes donnent leur avis

Pour ou contre l'IPO de Snapchat : 4 analystes donnent leur avis Faut-il croire en Snapchat et à son introduction en bourse au cours de laquelle le réseau social vise une valorisation de 25 milliards de dollars. Le JDN a posé la question à des analystes, et tous ne sont pas du même avis...

Snapchat prévoit de s'introduire en bourse au mois de mars et vise une valorisation aux alentours de 25 milliards de dollars. Un objectif raisonnable pour la plateforme phare des millennials qui accueillait 158 millions d'utilisateurs actifs par jour fin 2016 ? Ou trop ambitieux pour une société qui n'a réalisé que 404 millions de dollars de chiffre d'affaires l'année dernière pour une perte de 515 millions ? Voici l'avis de quatre analystes.

Ils achètent :

Pascal Mercier, managing partner d'Ader Finance

"On peut comparer cette introduction avec celle de Facebook en 2012. Leur CA avait été de 3,7 milliards de dollars en 2011, une croissance de 100%, 500 millions d'utilisateurs actifs chaque jour (DAU). Soit un chiffre d'affaires par DAU de 7 dollars par an et un DAU valorisé à 200 dollars pendant l'IPO.

Snapchat s'introduit avec un chiffre d'affaires de 400 millions de dollars en 2016, en croissance de 600% par rapport à 2015. Le CA par DAU est de 2,7 dollars. Et chaque DAU a une valorisation de 166 dollars. Cela peut paraître beaucoup par rapport à Facebook vu le chiffre d'affaires de Snapchat. Mais comme l'on dit dans notre métier, "la valorisation d'une société est fonction du carré de sa croissance". Ce n'est donc pas forcément délirant car sa croissance est très très forte. D'autant que la monétisation ne semble pas optimisée à l'international."

Romain Cottard, senior associate d'Ader Finance

"Snapchat a moins d'utilisateurs que Facebook ou Instagram. Mais il a une place complémentaire à ces deux plateformes. Facebook et Instagram sont des réseaux sociaux dont les contenus se professionnalisent. On y voit de plus en plus d'articles de presse, de vidéos, de photos retouchées… Snapchat est différent car le contenu est plus authentique, plus personnel. Il permet aux marques qui sont les clients de Facebook et de Snapchat de communiquer autrement, la concurrence n'est donc pas directe.

Par ailleurs les cibles sont différentes. Aux Etats-Unis, 41% des 18-34 ans utilisent Snapchat tous les jours. C'est le réseau des millennials par excellence et il va le rester. Snapchat est une application dont l'ergonomie est un frein pour les seniors. Ils arrivent sur un écran noir, sans bouton, ils ne comprennent pas."

Il hésite :

Marc Oiknine, partner chez Alpha Capital à Londres 

"Je pense qu'il ne faut pas s'enfermer dans le genre d'analyse financière que l'on appliquerait à une boîte du Cac 40. La vraie question à se poser est : quel est le potentiel de Snapchat en matière de gisement de création publicitaire ? Si on le compare à Facebook, qui est le roi de l'engagement, de la data et de l'audience, avec de 1,8 milliard d'utilisateurs, il parait assez faible.

Le tour de force de Facebook est de réussir à monétiser du temps de cerveau disponible, pour reprendre une expression connue. On y surfe sans but précis, on est prêt à découvrir des nouveaux contenus, qu'il soit publicitaire ou non. C'est moins vrai sur Snapchat où on communique essentiellement entre amis. 

Beaucoup de hedge funds londoniens et américains s'enthousiasment sur cette IPO. Pour ceux qui avaient loupé celle de Facebook, il faut absolument prendre la vague Snapchat. Mais reste à voir l'amplitude de cette vague....

On peut toutefois reconnaître à l'application le mérite d'avoir conquis les ados qui le préfèrent à Facebook. Dans quelques années cette niche pourrait s'avérer précieuse et la génération sera celle qui attisera la convoitise des annonceurs."

Il n'achète pas :

Vincent Fourcaut, président-fondateur d'UNCIA AM, société de gestion de portefeuille

"Nous sommes très négatifs au sujet de l'IPO de Snapchat car d'après nos calculs le coût d'acquisition de nouveaux utilisateurs uniques quotidien a doublé en un an alors que la croissance de l'audience est devenue quasiment atone avec un dernier trimestre en croissance séquentielle de +3%. Cela démontre que ce média est déjà arrivé à saturation de son audience sur sa cible essentiellement composée de jeunes de moins de 25 ans dans les pays matures. La preuve avec la France qui se révèle être l'un des pays où l'usage de Snapchat est le plus prononcé avec d'après notre enquête plus de 10 millions de jeunes connectés quotidiennement, ce qui laisse peu de place pour croître.

Cette IPO arrive donc à un moment où la société avance à marche forcée. Les données comptables sont désastreuses avec près de 500 millions de dollars de pertes annuels en rythme de croisière. Le retour sur investissement du recrutement de nouveaux utilisateurs est juste incompatible avec l'atteinte d'une éventuelle rentabilité un jour. D'après nos estimations, ils mobilisent 20 dollars pour acquérir un nouvel utilisateur qui ne générera qu'à peine 5 dollars de revenus en rythme annuel. En assumant qu'ils parviennent à délivrer la même rentabilité record de Facebook avec une marge opérationnelle de 50%, il faudrait près de 10 ans pour rentabiliser…

"Honnêtement, cette IPO n'est pas sérieuse"

Surtout, n'oublions pas que les millennials sont une population de consommateurs frappés par la paupérisation dans les pays matures. Si on reste sur l'exemple de la France, 25% des moins de 25 ans en âge de travailler sont au chômage et la moitié d'entre eux ont un emploi "précaire", contre moins de 10% pour le reste de la population de travailleurs. En d'autre terme, Snapchat cible une audience peu qualitative pour un annonceur. Dans ce contexte, il parait très peu probable de voir les commerciaux de Snapchat être capables de convaincre les marques de grande consommation d'accepter des hausses de tarifs.

Avec une valeur boursière attendue lors de l'IPO comprise entre 20 milliards et 25 milliards de dollars, Snapchat est loin d'être une affaire. Si la bourse dit que Twitter vaut 10 à 12 milliards dollars aujourd'hui, Snapchat ne mérite pas plus. Honnêtement, cette IPO n'est pas sérieuse et nous invite à nous interroger sur un éventuel défaut de conseil des banques en charge de cette opération."

Propos recueillis par Justine Gay, Frantz Grenier et Nicolas Jaimes