Greg Peters (Netflix) "L'IA nous aide à choisir les contenus à produire et à optimiser nos tournages"

Le JDN a rencontré le directeur produit de la plateforme de streaming vidéo pour faire le point sur sa stratégie globale et l'interroger sur le rôle du machine learning.

JDN. Quelle est la proportion des contenus originaux dans votre catalogue ?

Greg Peters, chief product officer de Netflix. © S. de P. Netflix

Greg Peters (Netflix). Cela varie en fonction des marchés mais ces productions originales représentent en moyenne 25%. Nous voulons augmenter cette proportion et nous le faisons aussi vite que nous le pouvons. Cependant, les contenus sous licence ne disparaîtront jamais de la plateforme car nous pensons qu'il existe de réelles opportunités à collaborer avec différents acteurs de l'industrie.

Prenez l'exemple de CBS aux Etats-Unis : l'entreprise dispose de sa propre plateforme de streaming appelée "CBS All Access" dont le programme phare est Star Trek. Mais ne disposant pas d'une audience globale, CBS permet à Netflix de diffuser ce contenu afin de toucher des spectateurs en dehors des US.

A l'inverse, est-il possible que des contenus Netflix puissent se retrouver sur d'autres plateformes ?

La seule raison qui pourrait nous inciter à vendre nos contenus à d'es tiers serait notre incapacité à le faire nous-mêmes. Mais dans la mesure où Netflix est une plateforme avec une audience globale et que tous nos contenus sont accessibles simultanément dans le monde entier, nous n'avons pas de raison de le faire. La seule exception reste la Chine où nos contenus sont diffusés sous licence par d'autres car nous n'avons pas l'autorisation de le faire nous-mêmes.

Quand pensez-vous que Netflix sera disponible en Chine ?

Cela dépend de la législation locale. Nous serions très excités de donner aux consommateurs chinois accès à notre plateforme mais nous devons attendre l'autorisation du gouvernement.

Prévoyez-vous de diffuser du sport ou autres contenus en direct ?

Non car nous préférons concentrer nos efforts sur ce que nous pouvons faire mieux que les autres distributeurs. Or, la télévision s'adapte très bien à la diffusion de sport. A l'inverse, nous préférons apporter de la valeur à nos membres en leur permettant d'accéder à nos contenus à tout moment.

Les studios ont longtemps vu Netflix d'un mauvais œilQuelle relation entretenez-vous avec eux aujourd'hui ?

Cela dépend des studios. Chacun a sa propre vision du rôle qu'il souhaite jouer dans ce nouveau monde du divertissement. Ce que je peux dire, c'est que nous collaborons avec un très grand nombre de studios à Hollywood et dans le monde entier. Ces derniers nous considèrent désormais comme un partenaire avec qui créer des nouveaux contenus. S'il y avait certes pas mal d'inquiétudes au début, les studios comprennent désormais notre vision et la valeur que nous apportons en tant que distributeur et producteur. Sans compter que les attentes des consommateurs ont également évolué.

Quel regard portez-vous sur la concurrence d'Amazon qui développe désormais ses propres productions originales ?

"Nous sommes en concurrence avec beaucoup plus d'acteurs que le seul Amazon"

A plus grande échelle, je pense que nous sommes en concurrence avec beaucoup plus d'acteurs que le seul Amazon. Nous sommes en effet en compétition avec toutes formes de divertissement qui occupe une partie de votre temps. Ce qui inclut le livre que vous allez lire, le restaurant où vous allez dîner ou la télévision que vous allez regarder... Notre job est donc d'être très attractif pour capter autant d'heures que possible de votre temps de divertissement. Dans cette perspective, nous voulons que nos utilisateurs aient le sentiment d'en avoir vraiment pour leur argent.

La différenciation avec la concurrence se fera-t-elle uniquement grâce à l'originalité des contenus proposés ?

Pas uniquement. Notre plateforme constitue aussi un autre élément de différenciation. Que ce soit en proposant un démarrage de streaming plus rapide, une meilleure qualité vidéo ou encore une disponibilité multi-appareils. Nous pensons que tous ces éléments contribuent à offrir une meilleure expérience à nos membres et donc à nous différencier de la concurrence.

Netflix est connu pour réaliser énormément d'A/B tests. Sur quoi  portent ces tests et comment prenez-vous la décision de les mettre en place ?

Il peut s'agir de tester une nouvelle fonctionnalité, une forme de contenus, le placement des sous-titres... Nous menons systématiquement ces tests avec une seule idée en tête : ces changements apportent-ils de la valeur à nos utilisateurs?

Chaque employé est libre de soumettre une idée de test qui va ensuite être débattue en interne. Nous allons aussi regarder si des tests précédents peuvent nous aider à obtenir l'information recherchée. Effectuer ces A/B tests coûte cher car pour comparer des résultats, il faut forcément réaliser plusieurs versions. Sur 10 000 idées au départ, seule une centaine de tests vont être réalisés.

De quelle manière utilisez-vous l'intelligence artificielle pour améliorer l'expérience Netflix ?

Nous utilisons depuis longtemps le machine learning pour formuler nos recommandations de contenus. Mais nous utilisons également cette technologie à d'autres niveaux. Par exemple, nous aidons nos équipes à choisir les meilleurs contenus à produire ou à acheter. En faisant parler les données, nous leur permettons de prendre de meilleures décisions. Nous essayons notamment de prédire combien de personnes sur notre plateforme pourraient être intéressées par la perspective de regarder telle ou telle série. Bien sûr, les décisions finales ne sont pas prises par la technologie mais par des personnes qui apportent leur jugement artistique, ce qu'une machine n'est pas capable de faire.

Avez-vous d'autres exemples d'utilisation du machine learning ?

"Le machine learning nous permet optimiser les emplois du temps de tournage"

Nous l'utilisons aussi pour optimiser les emplois du temps de tournage. Pour une production, vous avez généralement un producteur chargé de planifier les scènes à tourner en priorité, de prévoir les ressources nécessaires, d'établir l'emploi du temps des acteurs... Ce processus est désormais complètement optimisé grâce au machine learning, ce qui permet de limiter les pertes de temps entre les scènes et de mutualiser certains équipements de tournage.

Le film Bright aurait couté près de 90 millions de dollars. Doit-on s'attendre à davantage de productions à gros budget pour le futur ?

Bright est effectivement un film à gros budget, tout comme Irish Man de Martin Scorsese dont la sortie est prévue en 2018. Il y aura donc effectivement davantage de grosses productions Netflix dans les années à venir.

La production de ces long métrages signifie-t-il que vous comptez produire plus de films et moins de séries ?

Non. La production de séries reste une belle opportunité pour Netflix. Ces séries, qu'elles soient produites à un niveau local ou à Hollywood, seront de bien meilleure qualité. Prenez l'exemple de la série allemande Dark : celle-ci a sans doute un budget de production beaucoup plus élevé que la plupart des séries allemandes. En la diffusant dans le monde entier, nous lui permettons d'obtenir un nombre de spectateurs beaucoup plus large que si la série avait été diffusée uniquement en Allemagne. Ce reach mondial nous permet d'investir de plus gros budgets dans des contenus locaux.

Travaillez-vous sur des nouvelles productions françaises ?

Bien sûr ! La sortie de la saison 2 de Marseille est déjà prévue et deux nouvelles séries originales - Osmosis et The Eddy du réalisateur oscarisé de La La Land - sont en cours de production. Nous avons également annoncé la production d'une série romantique par la réalisatrice de "Connasse". D'autres annonces devraient suivre concernant la France.

Greg Peters est le chief product officer de Netflix. A ce titre, il est notamment en charge du design et de l'optimisation de l'expérience Netflix. Il était, depuis 2015, en charge du marché japonais. Avant de rejoindre Netflix en 2008, Greg Peters était le senior vice president de Macrovision Solutions corp (devenue Rovi Corporation). Il a occupé différents postes au sein de Mediabolic Inc, Red Hat Network et Wine.com. Il est diplômé en physique et en astronomie à l'université de Yale.