Edito : le phénomène AdBlock Plus pourrait se terminer en prison

AdBlock Plus se sert de ses utilisateurs pour faire payer les médias sous la contrainte, au prétexte de débarrasser le Web de la publicité intrusive. Ses prestataires sont ses complices.

Le phénomène des "adblocks" a pris une tournure particulière le jour où Adblock Plus est devenu une entreprise commerciale, à la fin de l'année 2011. Maintenir un adblock demande une somme de travail considérable qui a d'ailleurs fait que le développeur original d'Adblock Plus, Michael McDonald, a abandonné ses efforts. C'est donc la société Eyeo GMBH qui a repris cette lourde tâche et qui a développé un modèle économique à même de l'aider à y parvenir. Parmi tous les ad-bloqueurs du marché, un seul a opté pour cette stratégie commerciale : AdBlock Plus.

Le problème repose sur le modèle économique choisi : les éditeurs de sites Web qui veulent voir la publicité affichée sur leurs sites ("débloquée") doivent reverser une partie de leurs revenus à l'éditeur d'Adblock Plus. En clair, une même publicité peut très bien apparaître sur un site A et ne pas apparaître sur un site B, si l'éditeur du site A a payé l'éditeur d'Adblock Plus et que l'éditeur du site B ne l'a pas fait. Dit autrement, Eyeo GMBH obtient un prélèvement qui n'a rien de spontané auprès des éditeurs en contrepartie du déblocage des publicités de leurs sites. Est-ce que cela ne s'appelle pas tout simplement de l'extorsion ou du racket, si on s'en tient à la définition du racket ?

Extorsion d'argent ou de biens matériels par l'intimidation, le chantage ou la violence.

Le problème posé par AdBlock Plus est donc en partie pénal. Les éditeurs allemands ont déjà commencé à sévir et ont entamé des procédures judiciaires : ils ont attaqué Eyeo en arguant que son modèle économique était "illégal". Thomas Port, responsable de SevenOne Media, la branche marketing de Pro7Sat.1, s'est justifié : « Nous estimons que le modèle économique que la firme Eyeo impose avec son bloqueur de publicité est illégal, ce que nous souhaitons faire clarifier devant la justice ».. Ils iront au bout et il est probable que Eyeo GMBH sera condamné. Et cela ne s'arrêtera pas là car tous les prestataires d'AdBlock, agences de communication, agences de buzz, prestataires techniques pourraient aussi être attaqués pour complicité d'extorsion. Leurs mandataires sociaux sont-ils au courant ? Continuent-ils de travailler pour Adblock Plus par ignorance ou par appât du gain ?

 

Quelle position pour les éditeurs ?

A court terme, les éditeurs peuvent payer Eyeo pour réactiver leurs espaces publicitaires. Cela compense la perte de revenus. Mais cela permet aussi à AdBlock de financer le développement de ses opérations. Bien sûr, la société n'achète pas de publicité : elle se contente de lancer des opérations promettant de soit-disant "éduquer les internautes et les éditeurs au bon usage de la publicité" avec force RP, relais dans les médias sociaux. Cela lui permet aussi de rémunérer ses salariés. Il y en a au moins 16 selon LinkedIn. Et en lisant le profil du "Business Development Manager", on apprend qu'il y a en réalité plus de 30 salariés. Ca fait du monde à nourrir. Rien d'étonnant, en conséquence, que le "phénomène AdBlock" ait pris de l'importance depuis 2013 : c'est à ce moment que la société a levé des fonds qu'elle a pu utiliser pour faire connaître son produit. Depuis cette date en effet, le fonds TS Ventures GMBH de Tim Schumacher a pris 41% du capital de la société. Fondateur de Sedo, le roi des pages parking en son temps, Tim Schumacher finance désormais le développement commercial d'AdBlock Plus.

"Ne mêlons pas les utilisateurs à cela"

Autre possibilité pour les éditeurs : bloquer à leur tour les utilisateurs d'AdBlock en leur interdisant de visualiser les contenus. Ceux qui s'y sont risqué, France Football (groupe Amaury) par exemple se sont fait insulter par leurs utilisateurs. D'autre part, bloquer un utilisateur d'Adblock Plus génère forcément une augmentation du taux de rebond sur le site, ce qui se révèle désastreux en termes de SEO par exemple. Enfin, cela place l'éditeur, qui est le racketté de l'histoire, en position de racketteur vis-à-vis de l'utilisateur : "affiche la pub sinon tu ne verras pas le résumé du match".

Les utilisateurs ne savent pas qu'un Internet sans publicité veut aussi dire un Internet sans contenus. Pas plus qu'ils ne savent que la publicité est, in fine, gage d'indépendance éditoriale. Si on proposait aux spectateurs de The Voice d'enlever la pub sur TF1, ils le feraient aussi. Et leur expliquer pourquoi ils devraient s'en empêcher n'aurait qu'un effet marginal. AdBlock Plus leur permet de transgresser un contrat tacite entre les médias et les lecteurs : du contenu contre de la publicité. Ne mêlons pas les utilisateurs à cela, occupons-nous de ceux qui les utilisent à leur profit.

 

Quel rôle pour Google ?

S'il est un acteur dont la position étonne c'est bien Google. Il aurait été, selon des médias allemands, le premier à payer Eyeo pour débloquer ses publicités. Et verserait aujourd'hui près de 25 millions d'euros pas an selon certaines sources. Alors, le moteur de recherche a-t-il rendu les armes ? Pas tout à fait. Il a commencé par protéger son business sur mobile en bloquant l'installation automatique d'AdBlock Plus sur Android.

Les adblocks, après le page parking et les toolbar

Il est aussi capable de bloquer AdBlock Plus sur Chrome, qui représente entre 30 et 50% du marché des navigateurs Web en Europe. Depuis juin, les mises à jour de Chrome qui se succèdent bloquent les extensions de type "toolbar". Autres parasites de l'Internet qui changeaient le moteur de recherche par défaut des utilisateurs pour empocher 50% du montant des liens sponsorisés cliqués. Un jour, Google a dit stop. Depuis leur cours de bourse a connu de légers soubresauts... Il y a plusieurs années, il avait également dit stop aux pages parking en les éjectant des résultats de son moteur de recherche. Va-t-il dire stop aussi aux Adblocks ? Et si oui, quand ? Dans l'univers des "toolbars", Google ne trouvait rien à redire aux pratiques de Babylon (qui était invité en rock star à toutes les conférences organisées à Mountain View) jusqu'à ce que ce dernier représente un chiffre d'affaires de plusieurs centaines de millions de dollars. Lorsque la limite a été atteinte, l'empereur Google a baissé son pouce et Babylon est mort.
 

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