Jean-Pierre Remy (Solocal) "Nous visons au minimum 7% de croissance en 2015"

Le PDG du groupe Solocal revient sur la récente augmentation de capital de son groupe et évoque les enjeux de la digitalisation de ses activités.

JDN. Vous venez de boucler une augmentation de capital de 440 millions d'euros et avez procédé au rééchelonnement d'une partie votre dette.  Le groupe Solocal a-t-il fini de traîner ce boulet qu'est la dette occasionnée par son LBO de 2006 ? 

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Jean-Pierre Rémy, PDG de Solocal Group. © S. de P. Solocal Group

Jean-Pierre Remy. . Lorsque le groupe Pages Jaunes fait l'objet d'un LBO en 2006 (le plus gros jamais réalisé jusqu'au rachat de SFR par Numéricâble, ndlr), les conditions économiques sont bonnes et le modèle économique stable. Mais très vite, le contexte de crise associé à un basculement des usages sur le Web rendent l'équation économique plus complexe. La transition de l'activité historique, le papier, vers Internet est d'autant plus difficile que le groupe traîne cette dette comme un boulet, pour reprendre votre expression. C'est d'ailleurs l'objectif numéro 1 lorsque j'arrive à la tête du groupe en 2009 : conduire sa digitalisation avec l'ambition de passer d'un tiers à deux tiers des revenus réalisés via Internet, entre 2009 et 2012. Objectif atteint mais néanmoins insuffisant, la dette devenant de plus en plus lourde à supporter. 

Aujourd'hui, l'augmentation de capital de 440 millions d'euros participe de cette volonté d'accélérer le désendettement de la société pour rembourser une partie de la dette et réaménager une autre partie sur 2018- 2020. Le groupe s'allège d'une partie du fardeau. Le niveau d'endettement n'est désormais plus que d'un peu moins de trois fois son Ebitda. Mais nous devons faire encore mieux et la barre des deux fois l'Ebitda est un objectif raisonnable.

Ce fardeau a rendu Solocal avare en acquisitions alors que le marché se concentre de plus en plus. Le groupe peut-il désormais se consacrer pleinement à son développement, interne et externe ?

Nous allons à nouveau procéder à des acquisitions

C'est effectivement une vraie satisfaction, on peut désormais se concentrer sur l'optimisation de notre croissance. Nous avions procédé à une douzaine de petites acquisitions technologiques entre 2011 et 2012, lorsque nous avions encore un peu de flexibilité financière, puis plus rien. On s'y remet doucement. Reste encore à arbitrer entre le développement des compétences en interne et leur acquisition au travers d'une société.

Solocal est au cœur d'un plan baptisé "Digitalisation 2015". Certains esprits critiques pourraient dire qu'il était temps...

Cette digitalisation 2015 a pour ambition de transformer le groupe afin qu'il s'adapte aux mutations technologiques et sociétales que nous observons. Il s'agit de le rendre toujours plus local, digital et mobile. Chose qui ne sera possible qu'en spécialisant nos offres et en se focalisant sur les besoins de nos clients, marché par marché, pour les accompagner au mieux dans leur marketing digital. D'où notre réorganisation en verticales : commerce (hôtels et restaurants), service (immobilier et automobile), maison (grands travaux), B2B et Public (santé et juridique.

Si la période allant de 2009 à 2012 a été consacrée au développement des activités Internet, essentiellement de nouvelles offres et l'amélioration du positionnement sur mobile, elle s'est effectuée sans toucher aux fondamentaux de l'entreprise. On peut dire que le modèle a été étiré à son maximum... Mais on ne peut plus continuer dans cette compromission entre le papier et Internet alors que ce dernier a vocation à représenter plus de 75% de notre activité. L'ambition est de construire une structure optimisée pour l'activité online, avec l'agilité et la rapidité que cela implique, à l'image du modèle de la SSII.

Pas une mince affaire donc...

C'est certain, cette transformation concerne tout de même 2 000 commerciaux et 1 000 fonctions support, soit presque trois-quarts de nos effectifs. Mais cette verticalisation est indispensable car développer un modèle ROIste pour un hôtelier ou un pisciniste sont devenus deux métiers différents. Si l'essence même de notre métier reste la même, mettre en relation les entreprises et leurs consommateurs au niveau local, on peut aller encore plus loin grâce à Internet. Pour cela, nous nous sommes inspirés de structures telles que Seloger, la Fourchette ou Groupon.

Votre chiffre d'affaires Internet a pourtant reculé de 0,9% entre le premier trimestre 2013 et 2014 alors que vos audiences n'ont cessé de grimper. Un effet crise ?

La lourdeur de la réorganisation explique le ralentissement de l'activité

C'est un argument que j'entends effectivement souvent dans le secteur mais je vais vous faire la même réponse que celle que j'apporte à mes équipes : la conjoncture n'est pas le sujet ! Nos résultats économiques ne sont pas concernés par un quelconque contexte de crise. Ils tiennent à l'intense réorganisation qui affecte notre structure et qui aura lieu jusqu'en 2014. Il faut bien comprendre que toutes mes équipes sont partagées entre la gestion de leurs clients et cette réorganisation plutôt chronophage. Ça impacte mécaniquement notre activité. D'autant que l'accompagnement client est beaucoup plus important sur Internet que sur le papier où on peut gérer un contrat annuel en une simple visite.

Mais, attention, je n'en oublie pas pour autant d'être ambitieux. L'argument est recevable pour cette année. A partir de 2015, je vise au minimum 6 à 7% de croissance, de quoi surperformer le secteur Internet. 

De plus en plus d'annonceurs s'orientent vers la performance. Solocal a-t-il dû s'adapter à ce changement de paradigme ?

Notre activité historique, la vente de visibilité via une souscription annuelle de nos clients, représente encore 70% de nos revenus. Les problématiques sont toujours les mêmes : travailler leur référencement, leur garantir une bonne place sur nos sites tels que PagesJaunes ou Mappy...

Viennent enfin nos services à la performance, depuis la conception de sites Web valorisés au nombre de contacts touchés aux services de réservation en passant par tout le transactionnel payé à la commission. C'est effectivement un business model sur lequel nous misons beaucoup car il traduit l'évolution du modèle publicitaire. Regardez le secteur du tourisme qui est passé en quelques années de la mise en ligne de catalogues de destination à la facturation au clic puis au lead et enfin à la commission.

Est-ce à dire qu'en 2020, Solocal fera majoritairement de la performance ?

La performance sera beaucoup plus importante en 2020 qu'aujourd'hui, mais je ne sais pas à quel point. Car même si je reste convaincu que beaucoup de secteurs emboîteront le pas au tourisme et à la restauration, je ne sais pas quand ni comment. Regardez les agences immobilières, elles font de la publicité online depuis 10 ans et sont toujours restées sur un modèle à la visibilité.  

C'est un luxe pour beaucoup de PME que de devenir ROIste

Il faut bien comprendre que devenir ROIste est un luxe que n'ont pas beaucoup d'entreprises qui manquent de moyens financiers et humains pour évoluer. Une PME veut avant tout sécuriser son business et se dit souvent que ce n'est pas le moment de changer.  Et c'est là que notre groupe intervient lui qui doit aider ses clients à comprendre et choisir quel modèle est le plus opportun.

Autre actualité récente, la fermeture du site 123people, pourtant un beau bassin d'audience. Pourquoi ?

Nous avons effectivement pris la décision de fermer le site 123people car notre cœur de métier c'est le BtoBtoC et non pas le CtoC, de sorte que nous n'avions pas d'intérêt à avoir un actif spécifique dans la recherche de particuliers.L'acquisition d'123people obéissait à un intérêt spécifique : mettre la main sur une technologie de meta-search extrêmement pointue dont l'utilisation nous a permis d'améliorer le référencement de nos sites et d'améliorer notre expertise dans l'agrégation de contenus.

Nous avons d'ailleurs lancé il y a peu 123pages.fr que nous imaginons comme un "Kayak de PagesJaunes" avec une meta-search qui s'opère sur PagesJaunes et les sites des professionnels. Nous n'avons pas encore communiqué dessus tout simplement parce que même si nous avons commencé à le déployer dans plusieurs pays nous n'avons pas encore déterminé la forme finale du site. L'ambition à terme est d'opter pour un business model à la performance.

Une initiative franco-allemande, l'Open Internet Project, vient de porter plainte contre Google auprès de la Commission européenne. Votre groupe, a priori concerné par les éventuels abus de position dominante de Google, n'y a pas participé. Pourquoi ?

Nous n'avons pas été directement impliqués dans le projet tout simplement parce que nous préférons régler nos différend avec Google directement. Mais cela reste bien évidement un sujet sur lequel nous restons très vigilants. Fin 2012 nous avions engagé un bras de fer avec eux car ils n'admettaient pas qu'on mette en concurrence Adwords avec le SEM de Yahoo et Bing dans les campagnes de liens sponsorisés de nos clients. Nous n'avions pas transigé et avions décidé d'arrêter Adwords, tout simplement car on touchait au cœur de nos préoccupations : l'efficacité des campagnes de nos clients. Ce boycott a duré jusqu'à octobre 2013, lorsque nous avons fini par tomber d'accord. Je pense que c'est l'illustration même des relations parfois compliquées que nous entretenons avec Google.

Beaucoup de groupes n'ont sans doute pas votre pouvoir de persuasion...

On a effectivement la chance d'avoir un rapport de force qui, à défaut d'être favorable, nous est sans doute moins défavorable que la concurrence. Mais certains de nos services, comme Mappy sont exposés à ces problèmes d'abus de  position dominante qui ont été pointés du doigt par l'OIP. Et je peux vous assurer que nous restons vigilants. 

Les propositions de Google à la Commission européenne me laissent perplexe

Je ne suis d'ailleurs absolument pas du même avis que Joaquin Almunia, le commissaire européen à la concurrence, quant aux propositions formulées par Google. Elles nous laissent complètement perplexes et nous l'avons d'ailleurs fait savoir en privé à la Commission Européenne. Google reste quoi qu'il en soit aussi puissant qu'il est mobile et ce n'est jamais vraiment fini avec lui, tant les règles du jeu peuvent changer tous les jours.

Diplômé de l'école Centrale et de HEC, Jean-Pierre Remy a été associé chez Bain & Company, avant de créer Egencia, un spécialiste online du voyage d'affaires. Après avoir vendu Egencia à IAC/InterActive Corporation et l'avoir fusionné avec Expedia Corporate Travel en avril 2004, il est devenu responsable européen (2004-2006) puis mondial (2006-2008) des activités voyages d'affaires d'Expedia. Il a rejoint le groupe Solocal en mai 2009.