Les règles incitatives du marché de l'art en France

L'œuvre d'art n’est pas une simple marchandise. Sa valeur ne se mesure pas seulement sur le plan monétaire mais elle comporte aussi une dimension symbolique essentielle.

L'art évoque la liberté de l'émotion créatrice, dépourvu de règles, tandis que le droit renvoi plus à la rigueur et à la méthode. Accoler ces deux notions peut donc surprendre. Elles ne sont pourtant pas inconciliables. Elles sont même indissociables, dès que la création artistique fait l'objet de transactions.

L’encadrement législatif des œuvres d’art est un sujet tout particulier

La fiscalité se met également au service de l'art, afin de faciliter son commerce, et d’en inciter la création. L’œuvre d’art est ainsi soumise à un régime fiscal très spécial, ouvrant droit pour son auteur au statut fiscal d'artiste, et pour ses acquéreurs et détenteurs, aux mesures d'incitation à la création artistique, à des réductions d'impôt, des régimes spéciaux de taxation ou d'exonération.Ce secteur dispose donc d’un statut protégé et du marché de l’art découle de grands enjeux financiers. La place de la France sur ce marché n’est pas négligeable. Partie de la première place mondiale avant la seconde guerre mondiale, la France occupe en 2011 la quatrième place avec 5,90 % du marché mondial, loin devant l’Allemagne en cinquième position avec seulement 1,80 %, mais aussi loin derrière le trio de tête composé du Royaume-Uni (22,10 %), des États-Unis (29,40 %) et de la Chine (30,40 %). C’est dans ce contexte, pour comprendre les règles françaises d’incitation propres au marché de l’art, qu’il convient d’étudier deux pans bien particuliers et spécifiques aux œuvres d’art, avec la défiscalisation que leur achat peut engendrer (I), ainsi que le droit de suite que leur vente génère (II), mécanisme qui a subit des modifications ces dernières années.

I. La défiscalisation de l'achat d’œuvres d'art

C'est dans le but de développer le marché de l'art en France qu'ont été mis en place certains avantages fiscaux procurés pour l'acquisition d'oeuvres d'art. L'article 98 A de l'annexe III du Code général des impôts donne une liste des réalisations qu'elle considère comme oeuvres d'art, et qui pourront donc bénéficier de cette fiscalité allégée. Celle-ci fonctionne autant pour les professionnels (a) que pour les particuliers (b).

a. Pour les professionnels

Depuis 1985, les entreprises peuvent déduire de leurs bénéfices imposables leurs achat d’œuvres d’art. L’article 238 bis AB du code général des impôts, issu de l’article 7 de la loi du 23 juillet 1987 prévoit que les entreprises faisant l’acquisition d’œuvre originales d’artistes vivants, peuvent déduire une somme égale au prix d’acquisition des œuvres concernées.Celle déduction doit être affectée à un compte de réserve figurant au passif du bilan. La société peut effectuer des déductions fiscales sur le résultat de l’exercice d’acquisition et sur les quatre années suivantes, si elle inscrit ces œuvres à un compte d’actif immobilisé.Pour bénéficier de ces déductions, l’œuvre doit être enregistrée en immobilisation et doit être exposée pendant 5 ans dans les locaux professionnels de la société, dans un lieu ouvert au public. La décision de pratiquer cette déduction relève de la gestion de l’entreprise. Elle n’est subordonnée à aucune autorisation préalable de l’administration. L’entreprise qui décide de pratiquer cette déduction doit joindre à sa déclaration de résultats un document conforme au modèle présenté par l’administration.L’œuvre est alors enregistrée en immobilisation. Une réserve correspondant aux déductions effectuées crée au passif du bilan est réintégrable aux bénéfices imposables si l’œuvre cesse d’être exposée au public ou est cédée. La défiscalisation permet donc aux entreprises d’investir, en se constituant un patrimoine artistique, et ceci tout en réduisant leurs impôts. Mais il faut avoir les ressources suffisantes pour recourir à ce processus, qui bénéficie donc essentiellement aux grandes entreprises.

b. Pour les particuliers

Pour les particuliers, il existe également des avantages fiscaux. L’avantage le plus connu réside dans le fait que les œuvres d'art ne sont pas assujetties à l’impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF). Elles n’ont pas à être mentionnées dans la déclaration de l'ISF. Les montants consacrés à leur acquisition ne sont pas imposables. Cette disposition fiscale est applicable à tous types d'œuvres d'art.Également, la fiscalité française a prévu un système original de taxation de la vente ou de l’exportation (assimilée fiscalement à une vente). La Loi de Finances pour 2012 n'a pas modifié la fiscalité des œuvres d'art. Les objets d’art et de collection vendus pour un montant inférieur à 5 000 euros ne sont donc pas taxés. Au dessus de ce montant, le vendeur peut choisir une taxation forfaitaire ou opter pour le régime de droit commun selon deux possibilités :Si le vendeur ne dispose pas de facture, il n’a alors pas la possibilité de justifier l’origine de l’œuvre, et il est obligatoirement assujetti à la taxe forfaitaire de 5% sur le prix de vente (y compris les frais), quel que soit le mode de vente. Celle ci doit être acquittée par l’intermédiaire (la société de vente ou la galerie), et ceci pour le compte du vendeur.La plus-value du régime de droit commun de taxation des plus-values des œuvres d’art est calculée sur la base de la différence entre le prix d’achat (qui tient compte des frais d’achat et de restauration éventuelle) et le prix de revente. Cette plus-value fait ensuite l’objet d’un abattement de 10 % par année de possession au-delà de la deuxième année. Opter pour se régime sera donc plus intéressante si l’objet d’art est détenu depuis plus de 12 ans : il y aura alors exonération totale. De même, si l’objet d’art est issu d’une succession de moins de 2 ans et fait l’objet d’une vente aux enchères, l’exonération sera totale également. La loi permet aussi aux propriétaires d'œuvres d'art de régler certains impôts en proposant une œuvre à l’État en contrepartie des droits qui sont dus. On appelle ceci le paiement par dation. Les œuvres concernées par ces mesures sont les tableaux, les bijoux, les antiquités, les sculptures, les objets de collection… La nature de bien meuble et d’objet d’art doit être établie fiscalement parlant. Différentes preuves sont admises : une facture délivrée par un commissaire-priseur ou un intermédiaire, un extrait de déclaration ayant servi de base à la liquidation des droits de mutation en cas de succession ou de donation… Un certificat d’authenticité ne pourra par contre pas être utilisé. Il faut donc être très vigilant et conserver tout élément permettant de faire preuve : avec la fluctuation du marché et les cotes qui évoluent, un bien à première vue anodin à une certaine date peut devenir très recherché quelques années plus tard. En cas de revente de cet objet, l’existence d’un tel document pourra alors permettre une économie fiscale conséquente. Tout ce processus de déductions fiscales a pour but de dynamiser le marché de l’art, en procurant des avantages concrets à ses protagonistes. Tout est fait pour stimuler ce marché, et ceci dés le processus créatif, notamment par un autre  mécanisme inhérent au marché de l’art : le droit de suite.

II. Un droit de suite en formation

Les règles d’incitation au marché de l ‘art ne pas orientées que vers le soutien de l’achat d’œuvre d’art, comme nous avons pu l’étudier en première partie. L’incitation est également orientée vers le soutient au créateur de l’œuvre, en lui attribuant des droits spécifiques. La protection des créations des artistes institué par le droit moral des auteurs est ici augmenté par un droit spécifique au marché de l’art: le droit de suite. Ce mécanisme est né en France par la loi du 20 mai 1920. Il permet à certains auteurs (les artistes des arts graphiques et plastiques) de suivre leurs œuvres, et de toucher un pourcentage lors de certaines opérations de revente du support matériel des œuvres. La question est posée de savoir si dans le contexte international, un tel processus est un frein ou un levier pour l‘artiste et la vente de ses œuvres. Quelle est la place de l’acheteur/collectionneur dans ce processus ? Pour éclaircir cette notion, il convient tout d’abord d’en étudier l’objet (a), tout en sachant qu’elle a subit des évolutions récentes ces dernières années (b).

a. Objet du droit de suite

Le droit de suite est apparu en France, par la loi 20 mai 1920. Il vise à assurer aux auteurs d’œuvre d’art graphiques et plastiques une participation économique au succès de leurs créations. Ce droit prend en compte la fluctuation de la valeur des œuvres, entre leur première vente et les ventes suivantes, où la valeur de l’œuvre peut varier du quitte au double. Ce droit essaie donc de rétablir un équilibre entre la situation économique des auteurs d’œuvre d’art et celles des autres créateurs qui tirent profit des exploitations successives de leurs œuvres. Un écrivain, par exemple, va percevoir une rémunération proportionnelle sur le prix de vente publique de son livre, en contrepartie des droits d’auteurs qu’il aura cédé. Un peintre lui, ne sera rémunéré qu’une seule fois, lors de la première vente de l’œuvre.

Actuellement, le droit de suite en France est soumis à une directive européenne dite « droit de suite», qui définit son application. Au moment où a été adoptée cette directive le 27 septembre 2011, quatre des quinze États membres de l’époque n’appliquaient pas le droit de suite dans leur droit national (Autriche, Irlande, Pays-Bas, Royaume-Uni). Le Code de la propriété intellectuelle dispose ainsi en son article L. 122-8 :« Les auteurs d'œuvres originales graphiques et plastiques ressortissants d'un État membre de la Communauté européenne ou d'un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen, bénéficient d'un droit de suite, qui est un droit inaliénable de participation au produit de toute vente d'une œuvre après la première cession opérée par l'auteur ou par ses ayants droit, lorsque intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire un professionnel du marché de l'art». 

La durée du droit a été calquée sur celle du droit d’auteur, soit toute la vie de l’auteur plus soixante dix ans après sa mort. A la mort de l’auteur, il est prévu par la directive que son droit de suite est dévolu à ses ayants droits, quelle que soit leur nationalité. La France, a choisi de ne faire bénéficier du droit de suite que les héritiers légaux de l’auteur décédé, à l’exclusion de tous légataires et ayants causes (art L 123-7 CPI). 

Domaine des arts graphiques et plastiques

L’article 2 de la directive et R 122-3 du CPI donnent une liste non limitative des œuvres relevant de ce domaine : tableaux, collages, peintures, dessin, gravures, estampes, etc. Selon l’article 1er de la directive, ce droit s’applique à tous les actes de revente dans lesquels interviennent en tant que vendeurs, acheteurs ou intermédiaires, des professionnels du marché de l’art, comme les salles de vente ou les galeries d’art.
Ainsi, une vente d’œuvre d’art entre deux particuliers ne donne pas droit au droit de suite. De plus, un artiste, à la première vente de l’œuvre, si elle est effectuée aux enchères ou depuis son atelier, ne sera pas en droit de réclamer de droit de suite : celui ci ne s’applique qu’à la revente d’une œuvre, pas à sa première vente, où l’artiste touche déjà les fruits de cette vente. 

Pour que le droit de suite soit éligible en France, il faut que la vente de l’œuvre ai eu lieu sur le territoire français, et la vente doit être assujettie à la TVA (art R. 122-2 CPI). Le taux réduit de T.V.A (7 %) ne concerne que l'auteur ou l'interprète de l'œuvre, ou ses ayants droit. Une vente réalisée par un tiers (galerie d'art, négociant, intermédiaire agissant en son nom propre) relève du taux normal de  19,6 %. Il existe des dérogations au droit de suite, notamment quand le prix de revente de l’œuvre est inférieur à 750 euros : le droit de suite n’est alors pas légalement dû. Egalement, l’article L.122-8 du CPI dispose que « par dérogation, ce droit ne s’applique pas lorsque le vendeur a acquis l‘œuvre directement de l’auteur moins de trois ans avant cette vente et que le prix de vente ne dépasse pas 10 000 euros ». Le taux applicable varie selon la valeur de l’œuvre, de 4% de celle ci pour la première tranche de 50 000 euros du prix de vente, à 0,25% pour la tranche de prix de vente dépassant 500 000 euros.

b. Les évolutions récentes du droit de suite

Comme nous l’avons indiqué plus haut, la France est donc pionnière du droit de suite. Consacré dans beaucoup d’autres États de l’Union Européenne, il était cependant ignoré par certains, comme le Royaume Uni, ou, en dehors de l’Union, les États-Unis par exemple.  

Cette disparité de législation a été source de distorsions de concurrence sur le marché de l’art. La directive « droit de suite » a donc prévu que les États membres qui n’appliquaient pas le droit de suite à la date de son entrée en vigueur (1er octobre 2001), disposaient d’un délais exceptionnellement long (jusqu’au 1er janvier 2012, soit 11 ans de délais de transposition ! ) pour transposer celle ci en droit national. Dorénavant, tous les États membres de l’Union européenne doivent faire bénéficier leurs ressortissants auteurs d’œuvre graphiques et plastiques du droit de suite.  Même le Royaume-Uni, un farouche opposant à l’adoption du droit de suite au niveau communautaire vient de rentrer dans le rang, et l’applique depuis le 1er janvier 2012. 

Cette harmonisation récente est la première évolution du droit de suite à relever. Mais c’est par la jurisprudence qui en découle que se démarque la principale évolution de ce droit. 

En effet, il a été décidé au niveau communautaire que le paiement du droit de suite serait à la charge du vendeur. L’article L 122-8 alinéa 3  transposant l’article 1 de la directive dispose clairement en effet : « le droit de suite est  à la charge du vendeur ». Or, dans ses conditions de vente, la maison de vente d’œuvres d’art Christie’s France mettait le droit de suite à la charge de l’acheteur.
A priori contra legem, cette tentative de transfère de la charge du droit de suite a donné le jour aux deux arrêts du 20 mai 2011 et du 27 septembre 2011 du TGI de Paris,  qui ont remis en question le caractère d’ordre public des dispositions de l’article L 122-8 CPI, en soulevant la possibilité d’aménager conventionnellement la charge du droit de suite. 

Dans sa décision du 20 mai 2011, le TGI de Paris relève expressément que l’article L 122-8 CPI a pour but principal de protéger les auteurs, et n’a pas pour objectif de préserver les intérêts de la société, mais plutôt de protéger l’un des contractants que le législateur estime en position de faiblesse. En matière de droit d’auteur, les règles d’ordre public ont été instaurées pour protéger l’auteur réputé être la partie faible. Ainsi, que le droit de suite soit à la charge du vendeur ou de l’acheteur n’a pas d’importance, tant que celui ci est payé à l’auteur. Le TGI admet ainsi un transfère de la charge du droit de suite du vendeur à l’acheteur, tant que celui ci est effectivement versé. 

Dans sa décision du 27 septembre 2011, le TGI admet également ce transfert de la charge du droit de suite du vendeur à l’acheteur, mais pas sur les mêmes bases. Dans cet arrêt, le tribunal sépare le 1er et le 3eme alinéas de l’article L 122-8 CPI : le premier alinéa définissant le droit de suite serait d’ordre public, mais le 3ème en précisant ses modalités de paiement ne le serait pas. Ces modalités de paiement seraient donc libres, qu’il soit à la charge du vendeur ou de l’acheteur n’aurait donc pas d’importance, tant que celui ci serait effectué. 

Nous voyons ainsi le même résultat émerger, sur deux bases différentes.
Une telle décision n’est pas anodine, et il va falloir être vigilant quant à l’évolution de cette notion de charge du droit de suite. Il est fort probable que l’usage aille dans le sens de ces deux décisions, ce qui aurait une implication concrète sur les modalités de paiement du droit de suite à l’auteur.  Si cette pratique est rétablie, elle pourrait aisément se généraliser, voir s’imposer comme un usage établit et constant. 

Dans ce contexte, les conseils avisés d’un avocat permettront à l’acheteur ou à l’auteur d’être plus à même de comprendre les règles fiscales du marché de l’art, afin d’adopter une stratégie d’optimisation fiscale personnelle ou professionnelle.

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Chronique rédigée par Sébastien Lachaussée, Avocat à la Cour et François Kraft, stagiaire