Fintech : les services auxquels croient les fonds… et les autres

Fintech : les services auxquels croient les fonds… et les autres Détection de la fraude, services bancaires aux entreprises, transferts d'argent... Voilà les activités des start-up dans lesquelles investissent Accel Partners, Kima Ventures et autres Partech.

Le financement des fintech par le capital-risque n'est plus ce qu'il était. Au 3e trimestre 2016, les montants investis ont reculé de 17% par rapport au trimestre précédent, selon KPMG. De là à dire que les fonds se détournent des start-up qui utilisent les technologies pour réinventer les services financiers et bancaires, il y a un pas. Mais certaines jeunes pousses du secteur continuent de retenir leur attention. En tout cas celle des sept fonds d'investissement actifs sur le marché français que le JDN a interrogés.

Détection des risques et fraudes

Fred Destin, associé chez Accel. © Accel Partners

A commencer par celles qui ont investi le marché de la détection de la fraude. "Il y a pas mal de boîtes actives dans ce domaine", constate Martin Mignot, associé chez Index Ventures. Shift Technology, qui édite une plateforme en Saas, est de celles-là. Grâce à l'intelligence artificielle et au big data, la Française donne "un score" en temps réel sanctionnant le caractère suspect ou non des déclarations de sinistres que lui font parvenir ses clients, les compagnies d'assurances. Fred Destin, associé chez Accel Partners, qui a investi dans Shift Technology en 2016, entre dans le détail : "Elle prend l'ensemble des déclarations que lui fournissent les assureurs et les transforme en scénarios intelligibles en français. Si on s'aperçoit que tel genre d'incidents se répète avec tel agent d'assurance, que les remboursements sont trop rapides, ce sont autant d'indicateurs de fraude".

Accel Partners n'est pas le seul fond de capital-risque à s'être laissé convaincre par le potentiel de la start-up parisienne. Otium Venture aurait bien aimé la financer en 2016 lui aussi, comme nous l'a confié Pierre Entremont, investisseur maison. Sans compter Philippe Collombel, directeur-associé de Partech Ventures, qui reconnaît que son concurrent a réalisé un bon investissement. "C'est révélateur d'une tendance, analyse-t-il. On commence à mettre de l'IA et du big data dans la fintech."

"Stratumn et Payfit représentent 30% des investissements venture d'Otium en 2016"

La thématique est aussi d'actualité chez Otium Venture. En 2016, le fonds a injecté 600 000 euros dans Stratumn qui utilise la blockchain pour sécuriser les process métiers de grandes entreprises, principalement financières. "Avec Stratumn, explique Pierre Entremont, tout ce qui se passe dans et autour de l'entreprise est automatiquement enregistré et stocké dans une base de données inaltérable, ce qui rend la fraude impossible. Sa solution est en cours de déploiement dans plus de dix très grandes entreprises." Au total, ce deal et celui réalisé dans Payfit, une plateforme qui simplifie la gestion des bulletins de salaire pour les entreprises, représentent 30% des investissements venture d'Otium en 2016. En co-investissement avec Xavier Niel, Otium Venture a financé Payfit à hauteur de 5 millions d'euros.

Outils bancaires BtoB

Jean de La Rochebrochard, partner chez Kima Ventures. © DR

Le repérage de la fraude n'est pas la seule préoccupation des grandes banques. "Elles cherchent aussi à opérer de manière plus efficiente", assure Fred Destin, d'Accel Partners. C'est là qu'interviennent ceux qu'il appelle les "enablers, c'est-à-dire les acteurs qui fournissent aux banques leurs outils opérationnels." Et là encore, tout est affaire de technologie : "Comment utiliser la blockchain pour rendre les dispositifs plus efficients en termes de contrat ? C'est une vraie problématique dans le secteur, insiste-t-il. Il y a aussi l'intelligence artificielle pour améliorer les procédures, telles que le suivi des dossiers. On va assister à une destruction massive d'emplois au fil du temps dans le secteur des services à cause de l'IA, c'est impossible à éviter. "

Philippe Collombel, de Partech Ventures, estime lui aussi qu'il y a là une tendance forte : "On sort des métiers périphériques à la banque. On passe d'une approche où on faisait du prêt conso, du prêt aux PME, à une approche où on s'attaque au core banking process". L'allemand Solarisbank, plate-forme de services financiers en marque blanche, est un bon exemple. Dotée d'une licence bancaire, elle propose aux fintech mais aussi aux banques une plateforme de services financiers via une API.

Services bancaires aux entreprises

Autre type de fintech que le capital-risque s'arrache, celles qui fournissent aux entreprises, et notamment aux PME, des services bancaires. "Après la crise de 2008, les banques ont continué à servir leurs clients retail et leurs gros clients corporate mais elles se sont retirées du secteur des PME", rappelle Fred Destin, d'Accel Partners." Depuis, des petits nouveaux ont pris le relais comme Holvi, une néo-banque finlandaise pour PME qui se lance à l'international. "Ils distribuent des produits bancaires complets, reprend Fred Destin, et utilisent l'adtech pour faire ça à moindre coûts et se lancer efficacement."

Martin Mignot, associé chez Index Ventures. © Index Ventures

De son côté, Kima Ventures, le fonds d'amorçage de Xavier Niel, a apporté 10 millions d'euros à Ibanfirst (ex FX4Biz) en octobre dernier. En même temps que cette levée de fonds, la start-up, au départ positionnée sur les opérations de change pour les PME, a annoncé sa mue en plateforme spécialisée dans les transactions multidevises en mode Banking As A Service (BaaS), capable de fournir aux PME un bouquet de services financiers dédiés à leurs opérations quotidiennes. Des services "maison" mais aussi des services proposés par d'autres fintech qui se plugeront à sa plateforme.

Financement des entreprises

Bulb in Town, plateforme de crowdfunding pour les commerces de proximité, a retenu l'attention de Jaïna Capital en 2016

Les plateformes de crowdlending ne sont pas boudées par le capital-risque elles non plus. Le financement n'est pourtant pas un marché si facile, d'après Jean de La Rochebrochard, partner chez Kima Ventures : "C'est dur, parce qu'il faut faire des volumes dingues". Certains s'en sortent pourtant avec Brio, comme Funding Circle que Fred Destin, d'Accel Partners, qualifie sans détour de "champion émergent". Le fonds américain a d'ailleurs financé la start-up londonienne en 2015, tout comme Index Ventures. De son côté, Jaïna Capital a investi dans SmartAngels (moins de 250 000 euros en 2014) et regarde de près Bulb in Town, une plateforme dédiée aux commerces de proximité. New Alpha AM, lui, a financé Unilend à hauteur de 2 millions d'euros. Lendix, de son côté, a obtenu les faveurs de Partech Ventures.

Transfert d'argent

Autre type de fintech à s'attirer la convoitise du capital-risque, celles qui fournissent des services de transfert d'argent. Accel Partners a ainsi financé World Remit, une start-up lancée par un entrepreneur du Somaliland qui a démarré en ciblant les Ethiopiens de Norvège qui envoient de l'argent dans leur pays d'origine. "C'est un marché qui pèse 425 milliards de dollars, chiffre Fred Destin, avec beaucoup d'inefficiences. Envoyer de l'argent via le mobile et le recevoir sur des wallet mobile permet de les éliminer et de faire ça à moindre coût."

En 2016, Kima Ventures a financé Pumpkin à hauteur de 2 millions d'euros 

Kima Ventures, lui, a injecté 2 millions d'euros dans Pumpkin. La fintech lilloise permet à ses utilisateurs d'échanger de l'argent via l'application mobile après s'être inscrits et avoir scanné leur carte bleue avec l'appareil photo de leur smartphone. Un service destiné à faciliter le remboursement entre amis et qui s'adresse donc essentiellement aux jeunes. C'est d'ailleurs ce qui a décidé Kima Ventures à mettre la main au porte-monnaie : "On a misé sur eux parce que c'est hyper focus cible jeune et qu'on pense que c'est le seul moyen de bien faire du personal banking", défend Jean de La Rochebrochard, associé.

Services de paiement mobile

Lior Derhy, managing director chez NewAlpha AM © NewAlpha

Dans la famille des fintech qui offrent des services bancaires aux particuliers, le capital-risque demande aussi celles qui offrent de nouvelles solutions de paiement. Chez Jaïna Capital, par exemple, on suit Sharepay, qui a développé un système de paiement à plusieurs par carte. Le montant de la dépense est partagé et instantanément prélevé sur le compte-bancaire de chaque utilisateur. Bref, une alternative au compte-joint pour les couples.

NewAlpha AM, lui, a investi dans Lydia, start-up française à l'origine d'une solution de paiement mobile, compatible avec 85% des smartphones, peut-on lire sur son site. Elle permet notamment de régler chez les professionnels et commerçants après s'être inscrit et avoir renseigné son numéro de carte bancaire. "Lydia exerce une attraction extrêmement forte en ce moment. On parle de plus de 500 000 utilisateurs aujourd'hui", s'enorgueillit Lior Derhy, directeur général du fonds.

Les néo-banques n'ont pas la cote

Philippe Collombel, ‎managing partner chez Partech Ventures. © DR

En revanche, en matière de personal banking, toujours, les néo-banques suscitent moins d'emballement. Accel Partners fait partie des réticents. Fred Destin s'en explique : "On considère que les banques ont un avantage sur leurs comptes existants qui est trop fort et qu'elles évoluent relativement vite en termes de produits". Une start-up fait toutefois figure d'exception, selon l'associé. Cocorico, il s'agit de Compte Nickel, dans laquelle le fonds américain aurait d'ailleurs bien aimé investir. "Elle se positionne comme une anti-banque. Elle ne distribue aucun produit de crédit, que des produits de début, ne charge pas de frais et propose un service d'abonnement annuel. Cela peut d'ailleurs paraître contrintuitif, souligne Fred Destin. On peut penser que les gens qui n'ont pas beaucoup de moyens ne vont pas souscrire un abonnement, mais ça fonctionne bien. Leur promesse est la suivante : 'Vous ne serez jamais en retard de paiement, vous n'aurez jamais de frais non nécessaires'. Ils sont distribués par les buralistes, dont les revenus sont en chute libre et à qui on propose finalement de devenir les banquiers de leur communauté locale. Ils ont un positionnement Easyjet sur la banque. On a essayé d'investir mais ils sont financés en interne car leurs investisseurs croient en eux."

Même refrain ou presque entonné par Philippe Collombel, de Partech Ventures : "2017 marque le retour sur terre des néo-banques. Leur business model est difficile à trouver, leurs coûts d'acquisition sont élevés, à la différence de boîtes comme Compte Nickel (que Partech a financée en 2015, NDLR) dont les coûts d'acquisition sont très maitrisés. On s'achemine vers des projets beaucoup plus fondés économiquement."

"2017 marque le retour sur terre des néo-banques et des robo-advisors"

Pourtant, 2017 sera bien l'année de la multiplication des néo-banques, selon Martin Mignot. " C'est assez intéressant, d'ailleurs, ce mouvement qui s'opère. Après une première phase d'underling des banques – au lieu d'avoir un guichet unique qui serve les particuliers et les professionnels, on a des start-up qui vont attaquer chaque produit séparément. C'est plus convenient, moins cher et avec des services dédiés – on passe à une phase de rebundling, avec des start-up qui recréent les banques, analyse l'associé chez Index Ventures. Mais au lieu qu'il s'agisse de plateformes monolithiques qui distribuent leurs produits, elles nouent des partenariats avec toutes les start-up qui ont éclos ces années passées. N26, en Allemagne, est un bon exemple : elle contrôle le compte-courant et la carte mais pour le taux de change et les autres produits, elle s'est rapprochée d'autres start-up."

Les robo-advisors non plus

Pierre Entremont, senior associate chez Otium Venture. © DR

Comme pour les néo-banques, Philippe Collombel, de Partech Ventures, parle de "retour sur terre" pour les robo-advisors. NewAlpha AM, lui, les observe de loin. "En 2016, nous avons investi dans Track Insight, une plateforme européenne d'analystes d'ETF. Les ETF sont le support d'investissement qui draine l'essentiel des flux en matière de gestion d'actifs. Le métier de Track Insight, c'est d'aider les sélectionneurs d'ETF à choisir sur la base de critères discriminants. Les meilleurs ETF se sélectionnent par rapport à leurs caractéristiques intrinsèques, à leur qualité de réplication, et pas seulement par rapport à leur qualité de liquidité, comme c'est trop souvent le cas. La solution développée par cette société est plutôt orientée BtoB mais elle est aussi utilisable par le particulier. C'est un outil intéressant pour les gérants d'actifs. Ça nous permet par ailleurs de garder un œil sur ce qui se passe dans le domaine des robo-advisors, où les ETF sont très utilisés", explique Lior Derhy. Alors pourquoi rester si distant ? "Nous n'avons tout simplement pas encore trouvé notre bonheur en la matière. Au-delà des offres existantes, c'est aussi dû au manque de maturité du marché. Début 2016, il n'y avait pas de marché et les solutions étaient encore orientées BtoC. Mais ça évolue rapidement. Depuis, il y a eu une prise de conscience de la part des acteurs qu'il fallait aller vers le BtoB", se réjouit l'expert.

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