La "chronologie des médias", prochaine victime collatérale du haut débit?
Par le Journal du Net (Benchmark Group)
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Jeudi 11 décembre 2003

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(Article modifié le 15/11/03) Depuis 1983, la chronologie des médias, c'est-à-dire l'ordre et les délais de diffusion des films, fait l'objet d'une législation en France afin de garantir un certain niveau de recettes aux oeuvres diffusées en salle. A l'époque, il fallait surtout protéger les exploitants de salles de cinéma de la télévision et de la vente de vidéocassettes. Depuis, de nouveaux modes de commercialisation sont apparus : location vidéo, paiement à la carte, abonnement à des chaînes cryptées mais aussi la vidéo à la demande (VoD). Encore peu développée en France, la VoD devrait connaître un essor rapide avec la multiplication des offres de télévision sur ADSL dans les prochains mois. Mais la vidéo à la demande n'occupe pas encore une place claire dans la chronologie des médias en France.

A l'heure actuelle, selon les textes de loi, un film ne peut être mis en location ou vendu en vidéo que six mois après la délivrance du visa d'exploitation (donc à peu près six mois après le début de sa diffusion en salle de cinéma). Naturellement, ce délai peut être allongé si le film connaît un grand succès (cf. le cas du Fabuleux destin d'Amélie Poulain). A contrario, il est possible de demander une dérogation dans le cas d'un film qui aurait fait un flop afin de commencer son exploitation en vidéo plus tôt et donc de permettre aux ayants-droits d'essayer de rentrer plus vite dans leurs fonds.

Une fois passé le délai de six mois, l'exploitation vidéo peut commencer. Si les ayants-droits décident de passer par une phase de location vidéo, alors la vente en DVD ou vidéocassette est généralement repoussé mais il s'agit là d'un choix purement marketing, non réglementé par une loi. A partir du neuvième mois après l'obtention du visa d'exploitation, le film peut-être proposé en mode "pay per view" ou paiement à la carte, c'est-à-dire en mode semi-interactif. Un foyer choisit de payer pour voir un programme particulier.

A partir de douze mois, les chaînes cryptées par abonnement ont l'autorisation de diffuser le film. Pour les chaînes en clair, le délai est de deux ans pour une coproduction (voire 18 mois en cas de dérogation) ou de trois ans si ce n'est pas le cas. Le phénomène encore très récent de la vidéo à la demande fait que ce nouveau mode de commercialisation des films n'a pas encore été intégré dans la législation française (par un décret du ministère de la culture).

En raison de son mode de consommation, individuel, la Video On Demand est considérée comme assez proche de la vente de vidéo. Et, de même qu'une vidéo, il est possible en VoD de maîtriser la diffusion (lecture, pause, avance, retour...).

Le Conseil d'Etat s'est d'ailleurs déjà exprimé en ce sens dans son rapport "Internet et les réseaux numériques" de 1998 où il affirme que "le respect de la 'chronologie des médias' s'impose à la vente de vidéocassettes en magasins et devrait donc aussi s'appliquer aux services interactifs de vidéo à la demande qui sont en pratique substituables." De même, la loi de 1996 relative aux expérimentations dans le domaine des technologies et services de l'information souligne que le délai de diffusion de tels services à la demande est "identique à celui applicable aux vidéocassettes."

Concrètement, aujourd'hui, la vidéo à la demande s'intègre dans la chronologie des médias au niveau de la vidéo. "Nous exploitons les films en VoD dans la même chronologie que la vidéo, mais nous prenons soin actuellement de sortir les films de notre catalogue au moment où ils sont diffusés en télévision payante de façon à préserver la paix des ménages entre les différents médias", explique Maxime Japy, président de MovieSystem, distributeur français de films vidéo à la demande. En ce qui concerne l'acquisition de droits pour la VoD, en revanche, cela est indépendant du moyen technique de transmission ou de réception. Les négociations se font donc classiquement.

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Outre un flou réglementaire concernant la VoD, la chronologie des médias fait l'objet actuellement de tractations entre Canal + et l'industrie du cinéma. Le groupe de télévision souhaite en effet voir raccourcir à son profit le délai de diffusion d'un film afin de mieux lutter contre la piraterie (que ce soit par le biais de DVD étrangers commercialisés illégalement en France ou par le téléchargement illégal sur Internet). Bien qu'a priori hostile à une telle évolution, la facilité de dézonage des lecteurs DVD et l'abondance des catalogues peer-to-peer sur le Web devraient obliger l'industrie du cinéma à remettre en question la chronologie des médias d'une manière ou d'une autre.

La chonologie des médias aux Etats-Unis
Aux Etats-Unis, aucune législation ne vient réglementer la chronologie des médias. Celle-ci s'établit en fonction de tractations au coup par coup entre les ayants-droits et les distributeurs avec bien souvent un seul objectif - commercial. Cependant, l'ordre de diffusion reste généralement le même qu'en Europe : salle de cinéma puis location et/ou vente de vidéo, VOD (généralement 45 jours après), puis "pay per view" et télévision par abonnement, puis les chaînes en clair et les Syndication TV (télévisions qui ne produisent rien mais se contentent de rediffuser des programmes déjà proposés sur d'autres chaînes). La différence avec la France, c'est que la VOD ne s'arrête pas quand le film est diffusé sur une chaîne payante.
[Florence Santrot, JDNet]