Jacques Attali (PlaNet Finance) : "Il faut créer un droit international du nomadisme, réel et virtuel"
Par le Journal du Net (Benchmark Group)
URL : http://www.journaldunet.com/itws/it_attali2.shtml


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Si Jacques Attali est connu en tant qu'économiste et essayiste, il l'est un peu moins pour sa contribution à l'Internet de développement. Pourtant, à travers l'organisation non gouvernementale PlaNet Finance qu'il a fondée, il veut sensibiliser l'opinion publique à l'utilisation d'Internet pour lutter contre la pauvreté dans le monde. Et ce, en s'appuyant sur les institutions de microfinance (IMF ou les banques des pauvres). Si, en tant qu'investisseur, Jacques Attali reste assez discret sur l'état de son portefeuille de participations dans des projets industriels liés aux nouvelles technologies, il est en revanche intarissable sur l'évolution de ce secteur et l'implication du Net dans la vie sociale.

Propos recueillis par Philippe Guerrier le 25/02/2002

JDNet. Plus de trois an après sa création, quels sont les résultats de PlaNet Finance ?
Jacques Attali. PlaNet est maintenant la plateforme reconnue de soutien, de professionalisation et de financement des 8.000 banques des pauvres du monde. Nous sommes actifs dans une cinquantaine de pays, nous avons financé quinze institutions de microfinance, créé des dizaines de sites Web. Ce n'est qu'un début [cf encadré].

Concrètement, de quelle manière utilisez-vous Internet dans les activités de PlaNet Finance ?
Nous aidons les IMF a faire leurs sites Web, à disposer d'ordinateurs. Nous leur offrons une bibliothèque virtuelle, des échanges d'expériences, une université virtuelle. Nous permettons aussi de donner en ligne, pour financer des banques des pauvres, dans la plus grande transparence. C'est un formidable outil de désenclavement du financement des IMF. Et par là, c'est le seul moyen d'utiliser Internet contre la pauvreté. Si nous avions plus de moyens, nous pourrions faire cela dans beaucoup plus de pays. Cela ne veut pas dire que nous n'allons pas sur place : nous avons une agence de notation qui contrôle toutes les banques des pauvres sur place, et des bureaux dans chacun des continents. PlaNet Finance constitue la meilleure preuve de l'efficacité de l'Internet pour le développement. Je dirais même, qu'à mon avis, c'est le seul exemple réussi d'un usage des nouvelle technologies contre la pauvreté.

Avez-vous toujours autant de grands donateurs "high tech", compte tenu des difficultés que rencontrent les entreprises du secteur ?
Oui, nous en avons même de plus en plus. Depuis le 11 septembre, les entreprises européennes et américaines comprennent mieux que jamais les nécessités de lutter contre la misère. Et beaucoup d'autres comprennent les exigences de l'éthique et de l'économie solidaire. Même si les entreprises sont parfois en situation difficile, elles prennent de plus en plus conscience que la solidarité est dans leur intérêt et qu'elle crée les conditions, ainsi, pour attirer les cadres soucieux d'éthique, et pour renforcer leur image.

Vous considériez Internet comme un "septième continent". Avec le revers de la nouvelle économie, est-ce toujours pertinent ?
Je le disais il y a cinq ans... et je continue à le penser. L'Amérique a aussi été le théâtre de faillites, de crises, de déceptions, d'escroquerie. Cela ne l'a pas empêché d'être le continent de toutes les promesses et des plus fabuleuses réussites. Il en ira de même sur Internet.

De quelle manière le monde industriel entame-t-il sa mutation Internet ? Peut-on parler d'une lame de fonds ?
Bien sûr, plus personne ne peut imaginer aujourd'hui une entreprise sans infrastructure Internet, comme le téléphone était indispensable. Internet transformera aussi les relations avec les clients, les fournisseurs, les employés, le CRM, le ERM, et tout cela continuera à bouleverser l'économie.

En tant qu'investisseur, quand pressentez-vous une éclaircie boursière pour les valeurs "high tech" ?
Elle est déjà là pour de nombreuses activités. Des entreprises ont vu leur cours de Bourse doubler depuis un an. Et même plus. Certaines ne se relèveront pas. Un peu comme les compagnies pétrolières qui ont beaucoup promis et rien trouvé.

Etes-vous toujours intéressé par des projets Internet ?
Bien sûr, nous sommes toujours intéressés à conseiller, aider à des fusions, à des regroupements, à imaginer des stratégies nouvelles, et il y a beaucoup de projets à lancer, en particulier maintenant, pour des entreprises qui veulent saisir de nouvelles opportunités. A condition de connaître parfaitement le marché mondial et de faire un pari correct sur l'évolution des technologies.

Faisons un point sur des dossiers que vous suivez particulièrement. Comment intervenez-vous auprès de sociétés comme Citations du Monde , Keeboo ou Chapitre.com ?
Vous citez des entreprises dans le domaine de l'Internet culturel, auquel je crois beaucoup. Pour elles, nous servons de conseil dans la définition de leur stratégie, nous les aidons à penser leur avenir, à imaginer des produits nouveaux, ou des stratégies d'alliance.

Existe-il un ou des projets Internet avec lesquels vous avez dégagé une plus-value significative ?
Plusieurs.

A l'inverse, combien de "start-downs" recensez-vous dans votre portefeuille ?
Pour l'instant, trois sur une vingtaine de participations.

Comment expliquez-vous ce paradoxe : Internet perçu à la fois comme un outil symbolique de la mondialisation et comme le média privilégié des organisations
anti-mondialisation ?

Internet réduit les distances et, en cela, il accélère la prise de conscience de la petitesse de la planète. Ceux qui manifestent contre la mondialisation demandent, pour la plupart, plus de mondialisation, et non pas moins. Plus de contrôle global. Et Internet sera un formidable instrument de gouvernance.

A l'occasion des deux forums mondiaux qui se sont déroulés simultanément à New York et à Porto Alegre, vous avez assisté à quelle manifestation ?
Au cours de cette période, j'avais des réunions importantes avec des Banques des pauvres.

Au sujet des nouvelles extensions des noms de domaine, êtes-vous favorable à la création d'une zone en .eu ?
Oui, bien sûr. Et je voudrais que tous les Européens, y compris les Russes et les Turcs, puissent l'utiliser.

A long terme, estimez-vous qu'Internet peut modifier considérablement le droit international ?
Ceci est un enjeu majeur, il faut créer un droit international du nomadisme, réel et virtuel. En même temps, il faut créer les institutions publiques qui décideront de ce qui doit être gratuit, de ce qui doit être confidentiel. Si on laisse, comme aujourd'hui, ces choix au marché, le cadastre, c'est à dire le cryptage et la commercialisation s'installeront partout. Internet aura perdu sa raison d'être.

Etes-vous satisfait du développement de l'administration électronique en France ?
ServicePublic.fr est un outil formidable mais mal connu. Ce n'est pourtant rien à côté de ce qui devra ëtre fait pour permettre à chacun de connaître ses droits, de se former et de se distraire sur le Net. La culture des nouvelles technologies n'est pas répandue aujourd'hui.

Si vous aviez une proposition liée au développement de l'Internet en France à soumettre aux candidats à l'élection présidentielle, ce serait laquelle ?
La promesse de fournir à chaque citoyen une adresse
e-mail personnalisée, où il recevrait en permanence toutes les informations sur ses droits sociaux. C'est possible. D'autres pays sont en train de le faire.

Le groupe bancaire Dexia s'associe à PlaNet Finance
En décembre dernier, PlaNet Finance a dressé un bilan de son action depuis sa création en octobre 1998. L'ONG a mis en place deux pôles d'action : la professionnalisation des institutions de microfinance et le financement de ses structures d'aide au développement. Pour la première partie, PlaNet Finance a contribué à la création de 47 sites web d'IMF, 470 professionnels ont été formés aux techniques de la microfinance, et 40 IMF ont été équipées en matériel informatique. Par son intermédiaire, un financement de "plusieurs millions d'euros" a pu être dégagé.
Pour le deuxième axe de travail, PlaNet Finance lance PlaNet Fund, un fonds d'investissement éthique entièrement dédié à la microfinance, avec l'appui du groupe bancaire Dexia. PlaNet Fund aura un double objectif, social et financier: Ce fonds sera structuré sous la forme d'une SICAV de droit luxembourgeois. Il sera doté d'un capital initial de 10 millions d'euros. Dexia en est le premier actionnaire, à hauteur de 1,5 million d'euros. La levée de fonds se poursuivra auprès d'autres investisseurs durant le premier semestre 2002.

 



Il est possible de consulter une biographie complète de Jacques Attali sur son propre site Attali.com.

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