Christian Blachas (CB News - Toutsurlacom) : "Un jour ou l'autre, sur Internet, les gens payeront"
Par le Journal du Net (Benchmark Group)
URL : http://www.journaldunet.com/itws/it_blachas2.shtml


Fondateur de l'hedomadaire CB News et créateur de l'émission Culture Pub sur M6, Christian Blachas est un c hef d'entreprise atypique. En observateur du monde de la communication, il analyse la situation actuelle du marché publicitaire et s'agace des excès des marchés financiers. Spécialiste des médias, il explique pour quoi il n'a pas renoncé à imposer un jour un modèle payant pour l'abonnement à la Newsletter de Toutsurlacom, éditée par CB News.

Propos recueillis par Fabien Claire le 27/03/2001

JDNet. Vous êtes surpris par le ralentissement actuel du marché publicitaire en ligne ?
Christian Blachas. Pour moi, il n'y a pas de ralentissement du marché propre à Internet, mais un ralentissement du marché publicitaire en général. On a tous connu une année 2000 vraiment extraordinaire, ce qui rend particulièrement difficile toute comparaison avec cette année historique. Mais les annonceurs télécom ont pour la première fois, l'année dernière, été les principaux annonceurs du marché. France Télécom est devenu le premier annonceur en France devant les annonceurs traditionnels que sont les lessiviers et les constructeurs automobiles. Or ce sont aujourd'hui ces même valeurs qui font les frais du marasme sur les marchés financiers. Les dotcoms, qui ont elles aussi contribué au dynamisme du marché en 2000, subissent aussi de plein fouet la crise financière et donc, par contrecoup, l'ensemble des annonceurs issus des nouvelles technologies revoient à la baisse leurs investissements sur Internet comme sur les autres supports.

Peut-on parler d'effondrement du secteur?
Non, je ne crois pas. Nous vivons simplement une situation de blocage psychologique du fait des analystes financiers qui, comme d'habitude, foutent la merde. Ces gens-là se sont aperçus au mois de novembre que le marché publicitaire en 2001 ne connaîtrait pas une croissance à deux chiffres.
Ils ont commencé à propager les pires rumeurs sur le thème d'une détérioration des résultats des grands groupes médias, ce qui a entraîné un effondrement irrationnel des valeurs de la communication.
Regardez l'effondrement des titres Tf1 et M6, c'est spectaculaire, alors que rien ne justifie cette défiance dans une période où ces deux groupes n'ont jamais fait autant de profits, et je suis prêt à parier que ce sera la même chose en 2001. Cette attitude irrationnelle entretient une véritable psychose chez les annonceurs qui restent en position d'attente. Les médias, les agences et tout le secteur de la communication en souffrent, y compris sur Internet.

Il ne s'agirait donc pas d'une défiance vis à vis d'Internet?
Non, Internet est certes plus touché que les autres médias, parce qu'il subit de plein fouet les faillites des dotcoms mais je suis convaincu que cela rentrera dans l'ordre rapidement. Il suffira que trois ou quatre annonceurs importants de l'économie traditionnelle expliquent dans la presse spécialisée comme la nôtre qu'ils ont augmenté leur chiffre d'affaire de 20 à 30% grâce à leurs investissements en ligne et le marché publicitaire en ligne redémarrera avec les annonceurs traditionnels.

La créativité des campagnes vous semble-t-elle évoluer dans le bon sens?
Pas encore suffisamment, mais il faut reconnaître que le format reste très limité et surtout les débits actuels sur le réseau ne permettent pas d'utiliser vraiment le support Internet dans toute sa richesse. Aujourd'hui, il faut être réaliste, la publicité en ligne n'est pas très bandante. La publicité en ligne sera vraiment créative quand le haut-débit sera accessible à tout le monde.

Les techniques ont quand même évolué avec le développement du flash et les débuts de l'ADSL...
Non, sur le plan technologique, il y a encore beaucoup trop de problèmes. Tous les jours, je surfe et je tombe sur des sites qui plantent, trop long à charger, et je pique des crises. C'est encore un obstacle majeur à la vraie vulgarisation et généralisation du support, au moins pour la génération à laquelle j'appartiens, qui n'est pas née avec Internet.

Le manque de créativité ne vient-il pas du manque d'investissement des grandes agences dans l'Internet?
Sur ce plan, je crois au contraire que toutes les grandes agences on fait de très très gros efforts. Tous les grands groupes ont constitué des équipes de créatifs spécialisées. Aujourd'hui, par exemple, je suis vraiment bluffé par une agence comme Grey Interactive à la fois pour ces campagnes et les sites qu'ils réalisent [NDLR : Grey Interactive a conçu quatre des sites récompensés aux Clics d'or 2001, Lire l'article du JDNet]. Ils ont tout compris. Le problème ne vient plus des agences. Le jour où on pourra faire de la vraie vidéo, la créativité explosera.

Comment se porte votre portail Toutsurlacom, qui a soufflé sa première bougie au début de l'année?
Nous avons fait 2,5 millions de pages vues l'année dernière, soit plus de deux fois l'objectif fixé pour un peu plus de 14.000 abonnés à la Newsletter, qui est encore provisoirement gratuite.

Vous pensez encore pouvoir faire migrer ces abonnés vers un mode payant ?
Pour l'instant, on n'arrive pas à vendre l'information sur Internet, ce qui est un vrai problème. C'est pourquoi nous avons remis à plat notre stratégie marketing.
Nous allons faire une offre globale à nos lecteurs, qui comprendra à la fois l'abonnement à CB News, à la Newsletter et la possibilité de recevoir nos guides.
Mais mon objectif reste le même : je veux à terme que les gens payent un abonnement spécifique pour avoir accès à cette Newsletter.

Le site Toutsurlacom est-il autonome financièrement?
Nous avons fait 1,8 million de francs de recettes publicitaires et nous devrions faire 2 millions cette année. Sur cette base, le site se finance, mais en réalité, c'est difficile à apprécier dans la mesure ou, au-delà de l'équipe de trois journalistes dédiée, l'ensemble de la rédaction de CB produit du contenu pour le site.
Mais si on se penche sur l'exploitation pure, en gros, le site est à l'équilibre. Cela dit, nous avons investi en amont avant le lancement 2 millions de francs, mais je considère ça comme le ticket d'entrée pour être présent sur le Web.

Le lancement du site gratuit a-t-il eu une incidence sur les abonnements à CB News version papier ?
Non, en tout cas pas d'influence négative : le nombre d'abonnés continue à progresser de 5 à 6% par an.
En revanche, nous attendons les prochaines études Ipsos pour savoir si le lectorat s'est accru. D'après nos études, 30% des abonnés à la Newsletter n'étaient pas abonnés à CB News. Il s'agit d'un véritable vivier d'abonnés potentiels que nous espérons convertir également à CB News.

L'information gratuite est disponible en abondance sur Internet. Vous ne croyez pas que le gratuit est devenu la règle pour ce type de contenu ?
Pas du tout, c'est pour moi une question de principe : tout se paye c'est normal. Un jour ou l'autre, les gens payeront. Simplement, nous trouvons des astuces car le marché n'est pas encore prêt. Mais je suis formel : l'abonnement est mon objectif. De toute façon, la pub ne peut financer l'ensemble du contenu, il faudra bien trouver des ressources et je suis sûr qu'après cette période de folie, on va revenir à des choses plus rationnelles. Napster pour cela est un excellent exemple : il était aberrant de voir prospérer un piratage organisé au mépris des droits des auteurs et des éditeurs. De toute façon, je considère que l'information n'a de valeur réelle que si on va la chercher et si on la paye.

Mais mettez-vous à la place du lecteur qui du jour au lendemain devra payer ce qui lui était offert!
Attendez, moi je suis un vrai drogué de l'Equipe. Depuis quarante ans, tous les matins, je vais acheter mon journal. Je connais très bien aujourd'hui les gens de l'Equipe, mais j'ai toujours refusé qu'ils me l'envoient gratuitement! Je veux faire la démarche de l'acheter tous les matins, c'est plus excitant et l'effort que je fais est indissociable du plaisir que j'en retire. C'est comme pour la séduction avec une femme, si elle vous tombe dans les bras, ce n'est pas très drôle, ce qui compte, c'est de la chasser. Je suis peut-être un peu barge et tant pis si je passe pour un type de la vieille école.

Vous aimez le site de l'Equipe?
Bien sûr. J'y vais de temps en temps mais seulement lorqu'il y a une actualité dense pour ne pas risquer de passer à côté de quelque chose d'important.
En revanche, j'adore le journal, en particulier lorsqu'il ne se passe pas grand chose dans l'actualité sportive. Quand un journaliste couvre un événement le week-end et doit tenir toute la semaine dessus, là c'est génial. C'est à ce moment là que l'on nous fait rentrer dans les coulisses.

M6 a beaucoup investi sur Internet, en particulier en déclinant plusieurs marques importantes sur le Web comme Capital ou Turbo. Vous n'avez jamais envisagé de créer une version de Culture Pub en ligne ?
Tout à fait, nous y pensons, mais le problème est que nous diffusons des images qui ne nous appartiennent pas. Nous ne voulons pas en faire une exploitation commerciale. Sur Toutsurlacom, nous présentons chaque jour un nouveau spot, mais il s'agit d'un contenu d'information. Nous ne voulons pas créer une banque de films publicitaires, il s'agirait d'une espèce d'exploitation commerciale d'un contenu qui ne nous appartient pas. Nous resterons toujours sélectifs sur le contenu et la quantité de films proposés.

Mais il existe déjà des sites pirates de l'émission, non ?
Oui, on nous pique de plus en plus de films pour les diffuser sur Internet avec le sigle M6 et le sigle de l'émission. Malheureusement, on ne peut pas y faire grand chose. Les gens se repassent ça en parmanence et ça me gonfle, car ça entre en concurrence frontale avec ce que l'on fait, même si c'est aussi une forme de reconnaissance. Nous avons quand même trois documentalistes qui travaillent en permanence à trouver des films dans le monde entier. Il est vrai que cela n'a peut-être aucune conséquence sur l'émission mais le fait que l'on nous pique notre boulot m'emmerde. Je sais qu'Internet c'est la liberté, mais cela ne permet pas de faire n'importe quoi!

Vous venez de dévoiler le palmarès des Clics d'or. L'année dernière, le grand gagnant s'appelait Clust aujourd'hui disparu. Que vous inspire cette disparition ?
Les banques et les investisseurs sont des gens complétement irrationnels. La vitesse avec laquelle ils décident de financer massivement un projet puis de le laisser tomber du jour au lendemain est désespérante.
Il y a un an, tout le monde se jetait là-dedans, c'était la branchitude même s'ils n'y comprenaient rien, il se contentaient de suivre quelques zozos et aujourd'hui il n'y a plus personne parce qu'ils ont la trouille.
Après tout, s'ils y ont laissé des plumes, c'est bien fait pour leurs gueules!

Mais certaines agences de communication ont profité, pour ne pas dire abusé, des capitaux confiés aux dotcoms...
Non, il ne faut pas dire ça. Le problème numéro un pour un site, c'est la notoriété or. C'est pour ça il faut investir. On ne va pas reprocher aux agences d'avoir contribué à développer la notoriété des sites. Certes, il y a peut-être eu des abus. Encourrager les gens à faire du Tf1 à 20h30 n'était peut-être pas la meilleure solution, sachant que le spot coûte 300 kf les 30 secondes. On pouvait peut-être miser sur des stratégies plus subtiles, comme les chaînes thématiques, beaucoup moins chères.
C'est vrai que certaines agences s'en sont foutu plein les fouilles avec ça, mais ce n'est pas une généralité. Acquérir une notoriété coûte beaucoup d'argent, sinon il faut être malin et ceux qui restent sont peut-être les plus malins.

Quelle a été la priorité du palmarès des Clics d'or 2001 ?
Je n'ai pas participé au jury, mais ce qui ressort de leurs délibérations, c'est vraiment la prime à la créativité, à la fois dans le concept et dans la réalisation.

En dehors du palmarès, quel est votre site préféré ?
Vous allez sans doute trouver ça con, mais c'est les Pages jaunes. Je suis fasciné par le boulot que ça représente avec les plan et surtout les photos sous deux ou trois angles différents. Je pense qu'avec le développement de l'Internet mobile, cette base d'informations deviendra indispensable.

Vous surfez beaucoup chez vous après avoir quitté votre bureau ?
Pas énormément, je vais surtout chercher des partitions sur quelques sites. En fait, mes vrais passions sont la musique et le sport : les sites de partition, l'Equipe et les sites consacrés à Elvis me suffisent. Pour moi, c'est ce qu'il y a de plus important dans la vie.

Vous achetez en ligne ?
Pas du tout. Ce n'est même pas un problème de sécurité de paiement, mais j'ai un besoin tactile de toucher les produits. J'aime bien aller chez Virgin et à la Fnac. C'est vrai que ça m'emmerde car je dois prendre ma bagnole, me garer, mais j'en retire aussi un plaisir, j'aime regarder les rayons, toucher les CD avant de les acheter. L'achat en ligne, c'est pas encore mon truc.
En revanche, si un site pouvait me livrer des clopes et mon Whisky, je n'hésiterais pas! C'est vraiment un service pour lequel je serai prêt à payer deux fois mon paquet de cigarettes. C'est un peu comme les pizzas livrées à domicile, une idée géniale!

Y a-t-il des choses que vous ne supportez pas sur Internet ?
Je ne supporte plus de trouver le matin quand j'arrive une boîte mail débordante de communiqués de presse en tout genre. Je jette, je perds du temps et dans le lot il y avait peut-être des choses intéressantes. Ca me gonfle franchment, comme les dizaines de fax que je reçois chaque jour pour des sujets dont je n'ai rien à faire.



Christian Blachas, 53 ans, est diplômé de l'EFAP (Ecole française des attachés de presse). Débutant sa carrière comme journaliste à l'ACP (Agence Centrale parisienne de Presse), il est ensuite en charge de la rubrique publicité à L'Echo de la presse et de la publicité (1970/71). Il fonde alors l'hebdomadaire Stratégies (1971), puis devient directeur du Groupe Stratégies. De 1984 à 1986, il dirige la rédaction du mensuel "Création Magazine", qu'il a fondé. Depuis avril 1986, il est PDG de CB News SA et directeur de la publication de l'hebdomadaire CB News, qu'il a créé. Il est également associé de la SNC Aguesseau Interactive (qui édite www.toutsurlacom.com) et administrateur du groupe Aguesseau Communication SA. Producteur et co-présentateur de l'émission hebdomadaire Culture Pub sur M6, il joue aussi dans le groupe de rock "Culture Rock Club" et est l'auteur de "Le mystère Elvis" (1997, Michel Laffont).

Pour tout problème de consultation, écrivez au webmaster
Copyrights et reproductions - Données personnelles
4, rue Diderot - 92156 Suresnes Cedex, FRANCE -
Hébergement: Fluxus