JDNet. Vous êtes
surpris par le ralentissement actuel du marché publicitaire en
ligne ?
Christian Blachas.
Pour moi, il n'y a pas de ralentissement du marché propre à
Internet, mais un ralentissement du marché publicitaire en général.
On a tous connu une année 2000 vraiment extraordinaire, ce qui
rend particulièrement difficile toute comparaison avec cette année
historique. Mais les annonceurs télécom ont pour la première
fois, l'année dernière, été les principaux
annonceurs du marché. France Télécom est devenu le
premier annonceur en France devant les annonceurs traditionnels que sont
les lessiviers et les constructeurs automobiles. Or ce sont aujourd'hui
ces même valeurs qui font les frais du marasme sur les marchés
financiers. Les dotcoms, qui ont elles aussi contribué au dynamisme
du marché en 2000, subissent aussi de plein fouet la crise financière
et donc, par contrecoup, l'ensemble des annonceurs issus des nouvelles
technologies revoient à la baisse leurs investissements sur Internet
comme sur les autres supports.
Peut-on parler d'effondrement
du secteur?
Non, je ne crois pas. Nous vivons simplement une situation de blocage
psychologique du fait des analystes financiers qui, comme d'habitude,
foutent la merde. Ces gens-là se sont aperçus au mois de
novembre que le marché publicitaire en 2001 ne connaîtrait
pas une croissance à deux chiffres.
Ils ont commencé à propager les pires rumeurs sur le thème
d'une détérioration des résultats des grands groupes
médias, ce qui a entraîné un effondrement irrationnel
des valeurs de la communication.
Regardez l'effondrement des titres Tf1 et M6, c'est spectaculaire, alors
que rien ne justifie cette défiance dans une période où
ces deux groupes n'ont jamais fait autant de profits, et je suis prêt
à parier que ce sera la même chose en 2001. Cette attitude
irrationnelle entretient une véritable psychose chez les annonceurs
qui restent en position d'attente. Les médias, les agences et tout
le secteur de la communication en souffrent, y compris sur Internet.
Il ne s'agirait donc
pas d'une défiance vis à vis d'Internet?
Non, Internet est certes plus touché que les autres médias,
parce qu'il subit de plein fouet les faillites des dotcoms mais je suis
convaincu que cela rentrera dans l'ordre rapidement. Il suffira que trois
ou quatre annonceurs importants de l'économie traditionnelle expliquent
dans la presse spécialisée comme la nôtre qu'ils ont
augmenté leur chiffre d'affaire de 20 à 30% grâce
à leurs investissements en ligne et le marché publicitaire
en ligne redémarrera avec les annonceurs traditionnels.
La créativité
des campagnes vous semble-t-elle évoluer dans le bon sens?
Pas encore suffisamment, mais il faut reconnaître que le format
reste très limité et surtout les débits actuels sur
le réseau ne permettent pas d'utiliser vraiment le support Internet
dans toute sa richesse. Aujourd'hui, il faut être réaliste,
la publicité en ligne n'est pas très bandante. La publicité
en ligne sera vraiment créative quand le haut-débit sera
accessible à tout le monde.
Les techniques ont
quand même évolué avec le développement du
flash et les débuts de l'ADSL...
Non, sur le plan technologique, il y a encore beaucoup trop de problèmes.
Tous les jours, je surfe et je tombe sur des sites qui plantent, trop
long à charger, et je pique des crises. C'est encore un obstacle
majeur à la vraie vulgarisation et généralisation
du support, au moins pour la génération à laquelle
j'appartiens, qui n'est pas née avec Internet.
Le manque de créativité
ne vient-il pas du manque d'investissement des grandes agences dans l'Internet?
Sur ce plan, je crois au contraire que toutes les grandes agences on fait
de très très gros efforts. Tous les grands groupes ont constitué
des équipes de créatifs spécialisées. Aujourd'hui,
par exemple, je suis vraiment bluffé par une agence comme Grey
Interactive à la fois pour ces campagnes et les sites qu'ils réalisent
[NDLR : Grey Interactive a conçu quatre des sites récompensés
aux Clics d'or 2001, Lire l'article
du JDNet]. Ils ont tout compris. Le problème ne vient plus
des agences. Le jour où on pourra faire de la vraie vidéo,
la créativité explosera.
Comment se porte votre
portail Toutsurlacom, qui a soufflé sa première bougie au
début de l'année?
Nous avons fait 2,5 millions de pages vues l'année dernière,
soit plus de deux fois l'objectif fixé pour un peu plus de 14.000
abonnés à la Newsletter, qui est encore provisoirement gratuite.
Vous pensez encore
pouvoir faire migrer ces abonnés vers un mode payant ?
Pour l'instant, on n'arrive pas à vendre l'information sur Internet,
ce qui est un vrai problème. C'est pourquoi nous avons remis à
plat notre stratégie marketing.
Nous allons faire une offre globale à nos lecteurs, qui comprendra
à la fois l'abonnement à CB News, à la Newsletter
et la possibilité de recevoir nos guides.
Mais mon objectif reste le même : je veux à terme que les
gens payent un abonnement spécifique pour avoir accès à
cette Newsletter.
Le site Toutsurlacom
est-il autonome financièrement?
Nous avons fait 1,8 million de francs de recettes publicitaires et nous
devrions faire 2 millions cette année. Sur cette base, le site
se finance, mais en réalité, c'est difficile à apprécier
dans la mesure ou, au-delà de l'équipe de trois journalistes
dédiée, l'ensemble de la rédaction de CB produit
du contenu pour le site.
Mais si on se penche sur l'exploitation pure, en gros, le site est à
l'équilibre. Cela dit, nous avons investi en amont avant le lancement
2 millions de francs, mais je considère ça comme le ticket
d'entrée pour être présent sur le Web.
Le lancement du site
gratuit a-t-il eu une incidence sur les abonnements à CB News version
papier ?
Non, en tout cas pas d'influence négative : le nombre d'abonnés
continue à progresser de 5 à 6% par an.
En revanche, nous attendons les prochaines études Ipsos pour savoir
si le lectorat s'est accru. D'après nos études, 30% des
abonnés à la Newsletter n'étaient pas abonnés
à CB News. Il s'agit d'un véritable vivier d'abonnés
potentiels que nous espérons convertir également à
CB News.
L'information gratuite
est disponible en abondance sur Internet. Vous ne croyez pas que le gratuit
est devenu la règle pour ce type de contenu ?
Pas du tout, c'est pour moi une question de principe : tout se paye c'est
normal. Un jour ou l'autre, les gens payeront. Simplement, nous trouvons
des astuces car le marché n'est pas encore prêt. Mais je
suis formel : l'abonnement est mon objectif. De toute façon, la
pub ne peut financer l'ensemble du contenu, il faudra bien trouver des
ressources et je suis sûr qu'après cette période de
folie, on va revenir à des choses plus rationnelles. Napster pour
cela est un excellent exemple : il était aberrant de voir prospérer
un piratage organisé au mépris des droits des auteurs et
des éditeurs. De toute façon, je considère que l'information
n'a de valeur réelle que si on va la chercher et si on la paye.
Mais mettez-vous à
la place du lecteur qui du jour au lendemain devra payer ce qui lui était
offert!
Attendez, moi je suis un vrai drogué de l'Equipe. Depuis quarante
ans, tous les matins, je vais acheter mon journal. Je connais très
bien aujourd'hui les gens de l'Equipe, mais j'ai toujours refusé
qu'ils me l'envoient gratuitement! Je veux faire la démarche de
l'acheter tous les matins, c'est plus excitant et l'effort que je fais
est indissociable du plaisir que j'en retire. C'est comme pour la séduction
avec une femme, si elle vous tombe dans les bras, ce n'est pas très
drôle, ce qui compte, c'est de la chasser. Je suis peut-être
un peu barge et tant pis si je passe pour un type de la vieille école.
Vous aimez le site
de l'Equipe?
Bien sûr. J'y vais de temps en temps mais seulement lorqu'il y a
une actualité dense pour ne pas risquer de passer à côté
de quelque chose d'important.
En revanche, j'adore le journal, en particulier lorsqu'il ne se passe
pas grand chose dans l'actualité sportive. Quand un journaliste
couvre un événement le week-end et doit tenir toute la semaine
dessus, là c'est génial. C'est à ce moment là
que l'on nous fait rentrer dans les coulisses.
M6 a beaucoup investi
sur Internet, en particulier en déclinant plusieurs marques importantes
sur le Web comme Capital ou Turbo. Vous n'avez jamais envisagé
de créer une version de Culture Pub en ligne ?
Tout à fait, nous y pensons, mais le problème est que nous
diffusons des images qui ne nous appartiennent pas. Nous ne voulons pas
en faire une exploitation commerciale. Sur Toutsurlacom, nous présentons
chaque jour un nouveau spot, mais il s'agit d'un contenu d'information.
Nous ne voulons pas créer une banque de films publicitaires, il
s'agirait d'une espèce d'exploitation commerciale d'un contenu
qui ne nous appartient pas. Nous resterons toujours sélectifs sur
le contenu et la quantité de films proposés.
Mais il existe déjà
des sites pirates de l'émission, non ?
Oui, on nous pique de plus en plus de films pour les diffuser sur Internet
avec le sigle M6 et le sigle de l'émission. Malheureusement, on
ne peut pas y faire grand chose. Les gens se repassent ça en parmanence
et ça me gonfle, car ça entre en concurrence frontale avec
ce que l'on fait, même si c'est aussi une forme de reconnaissance.
Nous avons quand même trois documentalistes qui travaillent en permanence
à trouver des films dans le monde entier. Il est vrai que cela
n'a peut-être aucune conséquence sur l'émission mais
le fait que l'on nous pique notre boulot m'emmerde. Je sais qu'Internet
c'est la liberté, mais cela ne permet pas de faire n'importe quoi!
Vous venez de dévoiler
le palmarès des Clics d'or. L'année dernière, le
grand gagnant s'appelait Clust aujourd'hui disparu. Que vous inspire cette
disparition ?
Les banques et les investisseurs sont des gens complétement irrationnels.
La vitesse avec laquelle ils décident de financer massivement un
projet puis de le laisser tomber du jour au lendemain est désespérante.
Il y a un an, tout le monde se jetait là-dedans, c'était
la branchitude même s'ils n'y comprenaient rien, il se contentaient
de suivre quelques zozos et aujourd'hui il n'y a plus personne parce qu'ils
ont la trouille.
Après tout, s'ils y ont laissé des plumes, c'est bien fait
pour leurs gueules!
Mais certaines agences
de communication ont profité, pour ne pas dire abusé, des
capitaux confiés aux dotcoms...
Non, il ne faut pas dire ça. Le problème numéro un
pour un site, c'est la notoriété or. C'est pour ça
il faut investir. On ne va pas reprocher aux agences d'avoir contribué
à développer la notoriété des sites. Certes,
il y a peut-être eu des abus. Encourrager les gens à faire
du Tf1 à 20h30 n'était peut-être pas la meilleure
solution, sachant que le spot coûte 300 kf les 30 secondes. On pouvait
peut-être miser sur des stratégies plus subtiles, comme les
chaînes thématiques, beaucoup moins chères.
C'est vrai que certaines agences s'en sont foutu plein les fouilles avec
ça, mais ce n'est pas une généralité. Acquérir
une notoriété coûte beaucoup d'argent, sinon il faut
être malin et ceux qui restent sont peut-être les plus malins.
Quelle a été
la priorité du palmarès des Clics d'or 2001 ?
Je n'ai pas participé au jury, mais ce qui ressort de leurs délibérations,
c'est vraiment la prime à la créativité, à
la fois dans le concept et dans la réalisation.
En dehors du palmarès,
quel est votre site préféré ?
Vous allez sans doute trouver ça con, mais c'est les Pages
jaunes. Je suis fasciné par le boulot que ça représente
avec les plan et surtout les photos sous deux ou trois angles différents.
Je pense qu'avec le développement de l'Internet mobile, cette base
d'informations deviendra indispensable.
Vous surfez beaucoup
chez vous après avoir quitté votre bureau ?
Pas énormément, je vais surtout chercher des partitions
sur quelques sites. En fait, mes vrais passions sont la musique et le
sport : les sites de partition, l'Equipe
et les sites consacrés à Elvis me suffisent. Pour moi, c'est
ce qu'il y a de plus important dans la vie.
Vous achetez en ligne
?
Pas du tout. Ce n'est même pas un problème de sécurité
de paiement, mais j'ai un besoin tactile de toucher les produits. J'aime
bien aller chez Virgin et à la Fnac. C'est vrai que ça m'emmerde
car je dois prendre ma bagnole, me garer, mais j'en retire aussi un plaisir,
j'aime regarder les rayons, toucher les CD avant de les acheter. L'achat
en ligne, c'est pas encore mon truc.
En revanche, si un site pouvait me livrer des clopes et mon Whisky, je
n'hésiterais pas! C'est vraiment un service pour lequel je serai
prêt à payer deux fois mon paquet de cigarettes. C'est un
peu comme les pizzas livrées à domicile, une idée
géniale!
Y a-t-il des choses
que vous ne supportez pas sur Internet ?
Je ne supporte plus de trouver le matin quand j'arrive une boîte
mail débordante de communiqués de presse en tout genre.
Je jette, je perds du temps et dans le lot il y avait peut-être
des choses intéressantes. Ca me gonfle franchment, comme les dizaines
de fax que je reçois chaque jour pour des sujets dont je n'ai rien
à faire.