Jacques Chirac : "Mon projet
pour la France numérique" Par le Journal du Net (Benchmark Group) URL : http://www.journaldunet.com/itws/it_chirac.shtml |
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1. Bilan et projet "La puissance publique s'est contentée de courir après l'événement" Le Journal du Net. Il est
communément admis que les nouvelles technologies et Internet en particulier
sont un enjeu décisif pour les dix années à venir, aussi bien pour notre
économie, nos entreprises que pour la société française dans son ensemble.
Partagez-vous cette analyse ? Il n'y a en France ni carte d'identité électronique, ni possibilité de voter par Internet, ni paiement d'impôts en ligne Comparé aux actions menées par nos voisins, le bilan de la France reste très moyen. C'est avant tout le dynamisme des Français qui a porté les progrès de l'Internet. La puissance publique n'a pas su dessiner une vision politique, elle s'est contentée de courir après l'événement. C'est pourquoi je
souhaite que le prochain quinquennat soit celui d'un nouvel élan pour
l'entrée de la France dans la société de l'information. Je veux porter
le projet d'une "France numérique", profondément modernisée, autour de
trois priorités : Il y a deux ans, les responsables
politiques se sont intéressés de près au phénomène. Vous avez vous-même
rencontré à plusieurs reprises les professionnels du secteur ou visité
des entreprises. Aujourd'hui, cet intérêt semble moindre. Est-ce simplement
une impression ? D'une façon générale, quelle
est votre vision de l'apport des nouvelles technologies au développement
de la France et de l'Europe ? La France et l'Europe, la France en Europe, peuvent et doivent en faire leur domaine d'excellence. Nos équipes de chercheurs, nos entrepreneurs, nos travailleurs qualifiés sont nos premiers atouts. Nous avons les moyens, ensemble, de faire des nouvelles technologies une chance économique, mais également un moteur de coopération, un projet d'unité. Le développement de ces projets de recherche nécessite que nous travaillions ensemble : public et privé, pays voisins en Europe. Ceci est d'autant plus légitime que nous sommes porteurs d'un message : la conciliation de l'avancée du progrès et du respect de l'homme. Les nouvelles technologies, quel que soit leur domaine d'application, posent des questions éthiques : du respect de la vie privée à la protection intellectuelle et artistique, des limites à apporter à la liberté d'expression. Je suis convaincu que l'Europe est porteuse d'une réponse originale à ces questions. Parce que je crois que le progrès de la science n'a de sens que s'il se fait dans le respect et même l'approfondissement de la démocratie, l'Europe doit s'engager pleinement dans la voie de cette conciliation au niveau international. 2. Nouvelle économie"La réussite professionnelle et financière ne doit plus être suspectée" JDNet. Le premier phénomène
lié à l'Internet a été ce qu'on a appelé la Nouvelle économie, avec ses
excès et ses dérives, mais qui a aussi permis un essor de l'esprit d'entreprise
en France. Avec le recul, comment jugez-vous cette période ? Que faut-il
en retenir à votre sens ? Je suis donc plus que jamais convaincu de l'importance de libérer les initiatives afin que la créativité, l'imagination, le dynamisme de nos entrepreneurs puissent se déployer dans tous les secteurs économiques. Cela implique un allègement important des obstacles et des contraintes. Je souhaite réunir les partenaires sociaux pour organiser un "Grenelle des simplifications administratives". Je suis également favorable à la création d'un médiateur des entreprises dans chaque département. Un soutien actif à la création d'entreprise est également nécessaire. Cela suppose, enfin et surtout, que la réussite professionnelle et financière ne soit plus suspectée et donc pénalisée, honteuse et découragée. Comment aujourd'hui accompagner
et favoriser la création d'entreprises dans le domaine de la high-tech
? Les pouvoirs publics doivent-ils jouer un rôle ? J'ai indiqué ma volonté d'engager un effort massif en faveur de la création d'entreprises, avec comme objectif "un million d'entreprises en plus" sur cinq ans. Je compte relever le défi en appliquant le principe "Pas de taxes, ni de charges avant le premier euro de chiffre d'affaires". Il faut donner de nouveaux droits aux entrepreneurs. Dans notre pays, plus on prend de risques, moins on est protégé. Il serait souhaitable notamment que les créateurs d'entreprises puissent bénéficier de l'assurance-chômage et qu'une distinction puisse être faite entre leur patrimoine privé et le patrimoine affecté à l'entreprise. Des efforts importants doivent également être faits pour dégager des financements, ce sont eux qui ont permis le formidable boom que nous avons connus sous la génération start up. Je veux renforcer les incitations fiscales pour orienter l'épargne de proximité vers l'investissement dans les nouvelles entreprises. Il faut élargir le dispositif de la loi Madelin en favorisant les investisseurs providentiels, les business angels. Je souhaite plus généralement ramener la fiscalité des entreprises françaises au niveau de la moyenne européenne et assouplir par la négociation les 35 heures pour les salariés qui le souhaitent. Ainsi nos entreprises cesseront d'être pénalisées dans la compétition internationale, et l'emploi ne se délocalisera plus à l'étranger. La fiscalité française doit être juste et non confiscatoire. Je souhaite une réforme de grande ampleur de l'impôt sur le revenu et celle des mécanismes d'intéressement au bénéfice des créateurs d'entreprises ou de leurs salariés. Si, dans la high tech, les entreprises nouvelles bénéficieront de ce plan général, elles devront faire par ailleurs l'objet d'une attention toute particulière, en raison des enjeux colossaux de ce domaine pour le dynamisme de notre économie dans les années à venir. Seul un Plan de mobilisation nationale pour l'innovation nous permettra de le relever. Outre un effort significatif en faveur de la recherche publique et privée - l'objectif étant de consacrer dans dix ans 3 % du PIB à la recherche développement, soit un effort supplémentaire de 50 % par rapport à la situation actuelle -, ce plan devra prévoir un statut de la jeune entreprise innovante qui est avide de meilleures relations entre entreprises et chercheurs publics. Aujourd'hui, les nouvelles
technologies s'installent dans toute l'économie, dans tous les processus
de production, de décision et d'information. Quel jugement portez-vous
sur ce phénomène de "e-transformation"? Pour les entreprises, l'e-transformation
est aussi synonyme d'investissements, en une période pas forcément favorable.
Que peut faire la puissance publique, en France comme en Europe, pour
favoriser la compétitivité, le dynamisme, l'amélioration des infrastructures
technologiques ou des savoir-faire? La recherche privée doit être favorisée ; le statut de la jeune entreprise innovante qui consacre la moitié de ses dépenses en recherche le permettra. L'investissement dans la recherche publique ne doit pas pour autant être ralenti. Il peut compenser les difficultés des entreprises en période de ralentissement. Il peut et doit surtout leur profiter grâce à un resserrement des liens avec les entreprises. Il est grand temps, dans le monde de la recherche comme ailleurs, de faire tomber les murs étanches et souvent idéologiques qui séparent privé et public. Le combat pour l'innovation doit au contraire être l'occasion de voir ensemble la France en grand. Comment assurer la formation
permanente des salariés qui doivent en évoluer et progresser dans leur
savoir-faire et leur carrière ? Quels aménagements réglementaires
pourraient favoriser les nouvelles façons de travailler que permettent
les nouvelles technologies et auxquelles aspirent les Français, le télétravail
notammentt ? Le constater sans en tirer toutes les conséquences dans l'organisation du travail, c'est se priver de tirer tous les bénéfices des technologies de l'information. Autrement dit, je souhaite que les entreprises fassent preuve de souplesse, en s'adaptant aux situations particulières, et non d'une flexibilité aveugle, qui se ferait au détriment de la vie du salarié. Il est désormais indispensable d'adapter nos règles sociales à l'avènement de la société numérique. La méthode s'impose d'elle-même : c'est celle du dialogue social. Car lui seul permet la prise en compte de la variété des situations, des entreprises comme des salariés. 3. Accès à l'Internet en France"Objectif : un ordinateur par famille en 2007" JDNet. La France compte aujourd'hui
environ 10 millions d'internautes. Que retenez-vous en priorité : la progression
continue de cette population ou sa relative faiblesse, notamment par rapport
à d'autres pays ? Que vous inspire le thème
de "démocratisation de l'Internet" ? Autour de ce thème de démocratisation,
on parle beaucoup tuyaux, débits et programmes, en oubliant que la première
condition pour profiter de l'Internet est de disposer d'un ordinateur.
En ce domaine, la France reste en retard sur ses principaux voisins européens.
Que préconisez-vous dans ce domaine ? Aux yeux de tout le monde,
l'implantation de l'Internet dans les écoles, collèges, lycées et universités
est vitale. Beaucoup a déjà été fait en ce sens. Quelles sont vos priorités
aujourd'hui ? Existe-t-il à vos yeux une
"fracture numérique" entre les différentes catégories de Français, entre
régions ou entre départements ? Le chantier le plus communément
cité est celui de l'accès des Français à l'Internet haut-débit. Selon
les professionnels du secteur, il est la condition du déploiement rapide
de services Internet efficaces et donc de la pérennité du secteur. Partagez-vous
cette analyse ? Quelles seraient selon vous
les mesures les plus urgentes pour accélérer ce déploiement ? Le premier axe est de favoriser l'offre ADSL par la concurrence sur la boucle locale téléphonique. C'est l'ouverture à la concurrence qui a permis l'essor spectaculaire de la téléphonie mobile. Les obstacles tarifaires et non tarifaires encore opposés aux nouveaux opérateurs doivent donc être levés. Aujourd'hui, l'Etat qui est actionnaire majoritaire de France Télécom a les moyens de l'imposer. Dans les régions "non rentables", où le simple jeu de l'économie de marché ne permettrait pas l'installation de l'Internet rapide, une intervention publique est nécessaire. Les collectivités locales sont les mieux placées pour déceler les problèmes et établir un plan régional de déploiement du haut débit. L'Etat devra soutenir leur action dans le cadre des contrats de plan Etat-Régions qui, pour l'instant, ne font qu'une maigre part au développement des infrastructures de télécommunication à haut débit. L'Etat sera dans son rôle de garant de la cohésion nationale, mais ne se substituera pas à l'initiative privée. Le rôle de France Télécom,
dont l'Etat est actionnaire, est souvent stigmatisé. Jugez-vous ces critiques
justifiées et qu'attendez-vous de l'"opérateur historique" ? "Je suis favorable au vote en ligne" JDNet. Dans quelle mesure
Internet modifie-t-il, selon vous, les rapports citoyens-pouvoirs publics?
Une chance, car cela permet aux citoyens de mieux faire entendre leurs points de vue, et de participer davantage au débat démocratique en dehors des échéances électorales. Quand l'internet se sera vraiment démocratisé, les citoyens pèseront davantage qu'auparavant dans la vie politique française. Mais l'internet peut aussi constituer une menace car un responsable politique doit privilégier la recherche de l'intérêt général du pays, qui n'est pas la somme des intérêts particuliers des Français. Cela signifie qu'un homme d'Etat doit parfois prendre des décisions très impopulaires, pour le bien de la Nation qu'il gouverne. Je pense par exemple aux hausses d'impôts auxquelles le gouvernement d'Alain Juppé, avec mon entier soutien, a dû procéder entre 1995 et 1997 pour qualifier la France pour l'Euro. La France ne pouvait rester en dehors de cette grande ambition d'une monnaie européenne. Aujourd'hui, l'internet, en permettant à toutes les communautés de manifester massivement et en temps réel leur désaccord à une décision politique, risque d'émousser le courage des hommes politiques. Une démocratie des lobbies apparaîtrait, dérive perverse de la démocratie d'opinion. C'est pour cela que l'indépendance d'esprit et le courage seront, plus que jamais à l'avenir, deux qualités primordiales des responsables politiques. Comment l'administration
peut-elle, en adoptant les nouvelles technologies, réconcilier les Français
avec une puissance publique souvent distante ? Par ailleurs, l'adoption de l'internet au sein des administrations devrait permettre de rationaliser certains circuits administratifs pour rendre plus efficace le fonctionnement de l'administration au bénéfice des usagers. Mais je mettrais deux bémols à cette vision idyllique des choses. D'abord, l'usage de l'internet est insuffisamment diffusé dans les foyers français pour qu'il puisse constituer l'unique outil de l'amélioration de la relation entre l'Etat et l'usager. Ensuite, ce dont les Français ont besoin, ce n'est pas seulement d'une base de données publiques, inerte, c'est de pouvoir établir un contact direct avec les fonctionnaires, pour obtenir la réponse adaptée à leur cas particulier. Derrière un site internet, comme derrière un accueil téléphonique ou un guichet traditionnel, il faudra des fonctionnaires motivés au service de l'accueil du public. L'internet ne remplacera jamais la médiation humaine . Quel peut ou doit être le
rôle d'Internet dans la vie politique ? Cette
campagne présidentielle est la première où l'Internet joue un rôle réel.
Pensez-vous que les nombreuses initiatives (sites officiels, officieux,
parodiques, critiques) puissent jouer un rôle quelconque ?
Quelle
est votre position face au vote en ligne aujourd'hui? Les Français manifestent
des craintes face à ce qu'ils estiment être les risques de l'Internet,
en matière de paiement mais aussi de protection de la vie privée ou de
leurs enfants. Quelles mesures les pouvoirs publics peuvent-ils prendre
pour réduire ces craintes ? Un écueil souvent rencontré
est le caractère "sans frontières" de l'Internet (affaire Yahoo notamment).
Quelle est votre position en la matière ? L'influence de l'opinion internationale est utile pour faire avancer les choses. A l'époque, j'avais eu l'occasion de dire aux dirigeants de Yahoo mon indignation sur les ventes d'objets nazis qui se produisaient sur leur site. Je crois que c'est la position commune adoptée par les dirigeants européens, relayée par l'indignation du grand public qui a permis, alors que Yahoo n'était pas en infraction avec la législation américaine, de mettre fin à ce scandale. Dans quelle mesure et avec
quels moyens techniques ou juridiques faut-il réguler lnternet ? Et qui
doit en être chargé ? Envisagez-vous de créer de
nouvelles structures de contrôle ou d'accompagnement ? Un ministère dédié
? A titre personnel, utilisez-vous
Internet ou le mail ? Quels sont vos sites préférés
? Avez-vous consulté les sites
qui vous étaient consacrés, pro et anti-Chirac ? Qu'aimez-vous
sur Internet ? Et que détestez-vous ? Quel service rêveriez-vous
de pouvoir utiliser ? ___________________
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