Loïck Clermonté (Publicis Networks) : 
"La créativité publicitaire n'est pas encore à la hauteur de ce qu'Internet peut offrir"

Par le Journal du Net (Benchmark Group)
URL : http://www.journaldunet.com/itws/it_clermonte.shtml
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13 mai 2003

Depuis la bannière musicale d'IBM ou les films BMW réalisés pour le Web, bien rares sont les campagnes publicitaires qui ont fait parler d'elles pour leur créativité. Loïck Clermonté, directeur artistique chez Publicis Netwoks et qui possède une expérience de cinq ans en matière de communication en ligne, revient sur les atouts de l'e-pub mais aussi sur les freins qui restreignent encore le développement de la créativité sur Internet.


Propos recueillis par Florence Santrot le 13/05/2003


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JDN. Comment positionnez-vous la publicité en ligne par rapport aux autres types de publicité ?
Loïck Clermonté. Aujourd'hui, nous avons un très sérieux avantage par rapport à la communication classique, car nous sommes un média animé. Nous avons la possibilité de mixer l'image, la vidéo, le son et l'interactivité. C'est un des points essentiels de la publicité en ligne. Cela nous permet de faire réellement vivre les attributs du produit que nous devons promouvoir. Contrairement à la publicité en affichage où le visuel ne permet pas de donner d'expérience du produit au public, cela est possible en ligne grâce aux technologies et à la création de mini-sites dédiés vers lesquels renvoient les bannières de pub.

Malgré ces avantages, la publicité en ligne n'a semble-t-il pas encore donné toute sa puissance…
Il est clair qu'Internet rencontre encore des freins par rapport à ce qu'il peut offrir. Cela vient notamment du fait que c'est un média qui requiert des compétences différentes. Et pour être véritablement à la pointe en matière de publicité en ligne, il faudrait que les directeurs artistiques aient un peu plus une culture Internet. Aujourd'hui, ils ont encore souvent une vue trop "papier" ou "vidéo". Il manque la touche d'interactivité qui fait la particularité d'Internet. Côté technologie, si à une époque les annonceurs étaient un peu rétifs à l'emploi de technos très évoluées, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Ils commencent à avoir une véritable culture Internet et se sont habitués aux différentes technologies. La seule contrainte aujourd'hui que nous rencontrons aux niveaux des différentes technologies, c'est le taux d'équipement des internautes en plug-ing permettant de lire ces publicités, notamment pour la 3D.

Et les formats ?
Ce n'est pas une gêne selon moi. Ce n'est pas le format qui pose problème mais plutôt le poids. Rentrer une publicité dans une bannière standard, c'est-à-dire 468x60 pixels, ce n'est pas trop gênant. En revanche, être limité à un poids de 12 Ko, ça restreint la créativité car nous ne pouvons pas utiliser toutes les technologies à notre disposition et nous sommes obligés de diminuer la qualité des images pour rentrer dans le carcan du poids. Cela limite aussi les initiatives en matière d'interactivité. Avec la solution du Flash transparent, cela devient vraiment intéressant car, même avec un poids limité, nous pouvons laisser libre cours à notre imagination et nous exprimer pleinement.

La question du budget des campagnes, plus limité sur Internet que sur d'autres supports, est-il aussi un handicap ?
Je ne pense pas que ce soit réellement un problème à notre niveau. Un directeur artistique ne va pas se dire "si l'annonceur consacre 10 % de son budget pub à la création, alors je vais passer un temps limité à la création". Nous prenons le temps qu'il faut pour avoir l'idée qui satisfera l'annonceur. Pour autant, il est vrai que le temps de création et de déclinaison d'une publicité en ligne est souvent réduit. C'est souvent de l'ordre d'une semaine à quinze jours pour la création, la production et la déclinaison sous différents formats.

N'avez-vous pas aussi le sentiment d'une certaine paresse en terme de publicité en ligne vu le nombre de reprise de spots TV sur Internet ?
C'est vrai que c'est une des tendances du moment mais je pense que c'est un phénomène éphémère. C'est un peu comme il y a trois-quatre ans quand les entreprises se contentaient de mettre leur plaquette papier en ligne pour faire leur site institutionnel. Il va falloir un peu de temps pour comprendre que l'atout majeur d'Internet est qu'il permet de faire vivre l'expérience d'un produit.

Comment peut-on faire vivre l'expérience d'un produit en ligne ?
Par exemple, pour la nouvelle campagne pour la Renault Twingo [voir la pub , intégrée lors de son lancement sur le site Voila.fr, ndlr ], nous sommes partis de l'esprit des spots TV pour adapter le concept sur Internet. Nous avons créé un mini-site où l'internaute retrouve l'esprit de la campagne mais dans un univers différent. Dès la page d'accueil, nous avons voulu éviter la page d'intro classique pour une animation associée à un menu de navigation innovant. C'est un site vertical avec un ascenceur escamotable sur la droite de l'image. Pour la dernière campagne Renault Mégane où nous mettions l'accent sur sa tenue de route, nous avons créé en accompagnement des bannières publicitaires un mini-site avec un jeu vidéo permettant à l'internaute de piloter la Mégane sur la lune. Il s'agit d'un circuit très travaillé au niveau des courbes mais la voiture a une tenue de route parfaite en toute circonstance. De la sorte, nous pouvions donner une certaine expérience des performances de la voiture aux internautes.

Pour vous, une campagne publicitaire en ligne ne se conçoit pas sans mini-site ?
L
a bannière est toujours perçue par l'internaute comme la promesse de quelque chose. Il est important de penser à ce qu'il y aura derrière pour que le public ne soit pas déçu. Si, après un clic, il se retrouve bêtement sur la page d'accueil d'un site avec pas ou peu de relation avec la bannière, il se sent frustré et c'est normal. La publicité en ligne peut avoir un impact nettement plus négatif que pour un autre type de publicité car le fait que l'internaute clique sur un bandeau ou un Flash transparent est une démarche beaucoup plus impliquante que dans le cas d'un téléspectateur qui est passif. Pour éviter cet écueil, il faut donc penser la pub comme un scénario et imaginer le parcours d'un internaute.

Le métier de directeur artistique interactif est-il vraiment très différent de celui des directeurs artistiques qui s'expriment sur d'autres supports que le Web ?
Le fondement du métier est identique mais il y a cette chose en plus, l'interactivité, qui fait que nous devons être un peu plus vigilants car nous travaillons avec des technologies en perpétuelle évolution. Pour pouvoir créer des publicités qui utilisent pleinement les possibilités du Web, il est nécessaire de connaître au moins les bases de ces technologies. Sans les maîtriser totalement - c'est le métier des développeurs Flash ou des ingénieurs techno -, il faut cependant que nous sachions ce qu'elles nous permettent de faire afin de créer des pubs à la fois innovantes et réalisables. Naturellement, l'appui des spécialistes techno est un atout, car ils donnent eux aussi leur avis sur la réalisation de la création et peuvent nous suggérer des idées.

En terme de créativité pure, où puisez-vous vos idées ? Y a-t-il des pays particulièrement innovants ?
Il faut tout d'abord souligner que les modes en matière de création en ligne sont souvent assez différentes des modes du moment en matière de print, par exemple. Les tendances graphiques sont souvent différentes de ce qu'il peut y avoir sur papier. Sur Internet, nous avons vu passer plusieurs modes en matière de publicité en ligne et de sites Internet : l'utilisation du vecteur, le pixel art, le photo-montage, etc. Pour trouver des idées, nous surfons beaucoup sur le Web. Dans ce métier, il faut être très curieux et passer des heures devant son écran à chercher les bonnes idées. En ce qui concerne les pays plus ou moins créatifs, je dirais plutôt qu'il y a des écoles différentes, une manière différente d'aborder la création publicitaire sur Internet. Et puis, en matière de créativité, il est vrai que le climat bizarre que nous avons connu l'année dernière a certainement fait que le public a vu assez peu de publicités Internet innovantes. Cette année, j'ai le sentiment que cela va mieux.

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Pouvez-vous nous citer quelques sites de référence où vous pouvez retrouver les dernières tendances en matière de design ?
Les portails Praktica et Graphiland sont dans mes favoris. Il y a aussi plusieurs sites russes, un pays où ils sont très férus de design web. Et puis il existe de nombreuses communautés consacrées à ce thème sur Internet. Cela nous permet d'échanger des idées et de discuter de ce qui se fait dans chacun de nos pays.


Loïck Clermonté a débuté sa carrière de directeur artistique en 1992 en agence de communication "print". A partir de 1998, il devient directeur artistique pour le compte d'une société d'informatique spécialisée dans la réalisation et l'hébergement de sites web. Il s'est ainsi initié à la 2D et à la 3D. Entre 2000 et 2002, Loïck Clermonté a travaillé pour Aeternet, société dédiée à la réalisation et à l'hébergement de sites web. Il était responsable du studio de création et avait la gestion d'une équipe de dix personnes (infographistes, intégrateurs et développeurs). Depuis 2002, Loïck Clermonté fait partie de Publicis Networks. Il est directeur artistique responsable des comptes Renault et UGC. Au "Web and Film Festival 2002", il a reçu l'award de la meilleurs navigation pour le site d'Amélie Poulain. Il a également été primé lors du Narrow Cast Award 2002 où il a reçu le prix du meilleur site de publicité pour Vidocq.