Claudie Haigneré (Ministre déléguée à la Recherche et aux Nouvelles technologies) : 
"Je veux favoriser le partage et la diffusion des connaissances et des savoirs"

Par le Journal du Net (Benchmark Group)
URL : http://www.journaldunet.com/itws/it_haignere.shtml
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20 mars 2003

Discrète sur les dossiers Nouvelles technologies depuis son entrée au gouvernement, Claudie Haigneré monte désormais au créneau. Elle profite de la fête de l'Internet, dont elle est la marraine, pour affirmer sa présence et faire entendre sa voix dans un domaine où plusieurs de ses confrères et consoeurs se sont exprimés ces derniers mois. Dans une interview au JDN, elle fait le point sur les chantiers en cours et à venir, et fixe ses propres priorités.

Propos recueillis par François Bourboulon le 20/03/2003


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Ministère de la recherche et des Nouvelles technologies
Fete de l'Internet

JDN. Qu'attendez-vous de la fête de l'Internet, pendant laquelle vous êtes très présente ?
Claudie Haigneré. J'ai le grand honneur de porter l'ensemble de la politique Internet et nouvelles technologies du gouvernement, et plus particulièrement d'être la marraine de la fête de l'Internet. Cette année, elle dure toute une semaine, et non plus trois jours, car il nous a semblé important, dans ce rôle de promotion de l'Internet pour tous, d'avoir du temps pour que tous accèdent à la diversité des contenus et des usages, notamment ceux qui ne le peuvent pas ou n'en ont pas le réflexe.

Quels points forts retenez-vous ?
Je retiendrai trois actions-phare de la part des pouvoirs publics : les fonctionnaires pourront se libérer une heure pendant la semaine pour se former "par compagnonnage" avec des collègues plus chevronnés. Par ailleurs, un coup d'accélérateur est donné cette année à l'opération "Internéthon" de l'AFNET, qui permet de recycler des ordinateurs non utilisés dans les administrations vers des associations éducatives et d'insertion. Enfin, nous avons monté un "e-Village" à la Cité des Sciences et de l'Industrie. Mais je rappelle que la fête de l'Internet comporte 1.200 opérations dans toutes les régions.

Il y a eu plusieurs appels au boycott de cette fête. Que vous inspirent-ils ?
J'ai été confrontée il y a quelques jours à ces prises de position de la part de certains pionniers de l'Internet. Je reconnais qu'ils jouent un peu le rôle de vigiles sur le Web, sur ses règles de fonctionnement, ses usages. Ils sont très présents dans l'animation des réseaux. Mais je déplore le fait qu'on propose un boycott, parce qu'au contraire la fête de l'Internet peut permettre de démultiplier l'accès.

Le récent projet de loi numérique a suscité de vifs débats. Que pensez-vous des décalages qui sont apparus ?
Je voudrais rappeler un élément en particulier : la communication sur Internet ne saurait être assimilée à une communication audiovisuelle, sauf bien sûr en ce qui concerne la diffusion de radio et de télévision. Je souhaiterais insister sur le fait qu'on doit être très clair sur le caractère hypersensible des contenus répréhensibles et manifestement délictueux. (la pédophilie, l'incitation à la haine raciale, l'apologie de crimes contre l'humanité). Mais entre un délit comme ceux que j'ai mentionnés et un délit de contrefaçon, il y a une différence de nature évidente. C'est le discours politique que l'on va porter vis à vis de nos concitoyens et, si besoin est, lors de la seconde lecture de la loi sur la confiance dans l'économie numérique. Nous serons obligés d'avoir cette discussion.

Vous attendiez-vous à un débat aussi sensible ?
On est conscient qu'on doit être d'avantage à l'écoute de ce qui s'est exprimé et je pense que cette écoute, vous l'avez au sein du gouvernement. Maintenant, il faut trouver la bonne façon de formuler les choses. Quand les règles du jeu ne sont pas bien définies, il faut parfois les peaufiner.

A quels autres projets gouvernementaux allez-vous vous attacher ?
Je suis de près la transposition de la directive sur les droits d'auteur dans la société de l'information. C'est un sujet intéressant à plusieurs titres, en particulier pour le ministre délégué à la Recherche que je suis, puisqu'il comporte une "exception pédagogique et de recherche" qui ouvre la voie à la société de la connaissance pour tous, au rayonnement international de nos universités et à une meilleure diffusion de nos travaux de recherche. Des universités doivent pouvoir proposer leurs cours en ligne, c'est nécessaire pour leur rayonnement international alors que la concurrence est toujours plus forte entre universités, et pour le rayonnement de la culture et du savoir francophones. Nos auteurs, nos sociétés d'auteurs, nos "industries culturelles" doivent participer à ce grand dessein, l'accès à la connaissance universitaire et scientifique en ligne. C'est un travail d'Encyclopédie numérique du XXI° siècle, comme celui mené autrefois par les mouvements encyclopédistes.

Qui doit superviser l'ensemble Internet ?
Beaucoup de débats et de réflexions doivent être menées, mais il a sans doute une place pour une structure consultative de "sages", qui viserait à éclairer les choix de la puissance publique sur les usages d'Internet. Le Forum des Droits sur l'Internet a commencé à jouer un rôle en ce sens et pourrait trouver sa place dans un tel dispositif.

Vous envisagez une nouvelle structure ou une adaptation du Forum actuel?
Je crois qu'il faut réfléchir. Le Forum des droits sur l'Internet a déjà un rôle bien structuré, mais il faut voir maintenant comment il peut s'intégrer dans une structure qui serait effectivement placée au-dessus.

Vous êtes ministre des Nouvelles technologies mais on vous a finalement moins entendue que d'autres ministres dans ce domaine. Quel bilan tirez-vous des premiers mois de l'action gouvernementale ?
Plusieurs actions ont déjà été menées. Dès notre arrivée, nous avons souhaité prolonger l'impulsion qui avait été donnée. En ce qui concerne le premier élément du discours du Premier ministre sur le plan Reso 2007, l'accès à l'Internet, je retiens la baisse des tarifs des forfaits Adsl, qui a donné une formidable accélération au nombre d'abonnés. On s'est fixé un objectif ambitieux avec 10 millions d'abonnés à haut débit à l'horizon 2007. La baisse de l'Adsl a permis de donner l'impulsion puisque nous sommes actuellement le deuxième pays européen dans la connexion haut débit.
Je retiens aussi la libéralisation du Wi-fi, que ce soit via les hot-spots ou plus largement en matière d'aménagement du territoire. Un volet du Ciadt de décembre 2002 a été consacré à ce dernier, avec à la fois des fonds pour les technologies alternatives et des modifications au niveau réglementaire, en particulier la possibilité pour les collectivités locales de devenir des opérateurs en cas de carence. Un autre aspect, plus européen, est que la commission européenne a fait connaître son accord pour qu'au niveau français puissent être utilisés les fonds Feder aux fins de faciliter le déploiement des réseaux haut-débit des collectivités locales. .

Et quelles priorités vous fixez-vous dans les prochains mois?Où souhaiteriez-vous imprimer votre marque ?
Très clairement, apporter une impulsion à la promotion des usages. Je ressens très profondément qu'il faut élargir la connaissance, la diffusion. Au sein du comité interministériel pour la société de l'information, le Cisi, j'aimerais pouvoir amener des mesures concrètes pour améliorer cette liaison avec le grand public.

Vous voulez humaniser les nouvelles technologies ?
Je veux favoriser le partage et la diffusion des connaissances et des savoirs. La fête de l'Internet révèle s'il en était besoin les usages multiples dans les domaines de la santé, de l'assistance aux handicapés, en matière de culture, d'éducation. Il faut que chacun se sente bien avec l'Internet, que ce soit un lien complémentaire à d'autres liens, que l'intenaute ait confiance dans cet outil et qu'il sache l'utiliser.

Concrètement, qu'allez-vous faire ?
Beaucoup de travail interministériel, j'allais dire bi-ministériel, en tandem. Aujourd'hui j'étais avec Chistian Jacob pour Internet et famille. Le thème Internet et handicap est riche et tout ce qu'apportent les nouvelles technologies aux handicapés est vraiment remarquable. Il y a beaucoup de choses à faire avec l'Education nationale dans les écoles, dans l'enseignement supérieur, avec le monde de la culture, dans le télétravail. Et, pourquoi pas, aborder la spécificité de la femme dans son utilisation de l'internet. Il y a donc de multiples domaines que j'aimerais pouvoir porter, faire connaître. Ce sera ma mission principale.

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Qu'est-ce que vous aimez et n'aimez pas dans l'Internet ?
Je l'aime de plus en plus, au fur et à mesure où je le découvre en étant à ce ministère en charge des nouvelles technologies. Comprendre comment ça marche, quels sont les problèmes des acteurs, des hébergeurs, être à l'écoute de ceux qui l'utilisent et de ceux qui le font. A travers ces connaissances supplémentaires, j'ai trouvé plus d'attrait à l'Internet. Tout en sachant que la notion de civilité sur le Net est indispensable à une bonne appropriation des usages. Et c'est une valeur que j'aimerais vraiment faire passer.


Claudie Haigneré, 46 ans, est ministre déléguée à la Recherche et aux Nouvelles technologies depuis mai 2002. Médecin, rhumatologue, spécialiste en médecine aéronautique, Docteure ès-sciences, option Neurosciences, et membre de l'Académie des Technologies, elle a notamment été responsable des programmes de physiologie et de médecine spatiale à la Division sciences de la vie du CNES, assuré la coordination scientifique de la mission franco-russe Antares pour les expériences des sciences de la vie. En 1996, elle a effectué un vol de seize jours à bord de la station orbitale russe Mir et est la première astronaute française à avoir volé à bord de la Station Spatiale Internationale (ISS). Officier de la Légion d'Honneur, Chevalier dans l'Ordre national du Mérite, Claudie Haigneré est décorée de l'Ordre russe de l'Amitié des Peuples.