JDNet. Malgré
des soubresauts, les marchés financiers n'émettent toujours
pas de signaux de reprise. Jusqu'où peut aller la purge ?
Olivier Jacquinot.
La réponse est délicate : nous sommes dans une période où l'aveuglement
collectif est aussi fort que celui dont a bénéficié la bulle Internet.
En deux ans, nous sommes passés de l'euphorie générale à la défiance
absolue. Et si le concept de la Nouvelle Economie est mort, ses
conséquences courent toujours. En l'état, la seule certitude reste
que les ingrédients pour une reprise sont là car les liquidités
sont importantes et il y a de nombreux projets de valeur. Pour certaines
valeurs TMT, la solution passera sûrement par des opérations de
"public to private" (NDLR : sorties de cotation après l'acquisition
d'un bloc significatif d'actions par un investisseur). Les valorisations
sont basses alors que certaines sociétés disposent d'opportunités
réelles en terme de marché.
Ce
retour de flammes touche des valeurs de référence
comme France Télécom. L'opérateur historique
a-t-il tout simplement commis les mêmes erreurs que tout le
monde ?
Le parcours réalisé par France Télécom depuis
sept ans est remarquable. L'opérateur a réussi à développer un comportement
commercial en s'appuyant sur des évolutions tarifaires et une formidable
transformation de son organisation et de sa culture. Aujourd'hui,
ses résultats opérationnels sont d'ailleurs bons. En cela, la chute
des marchés n'est pas raisonnée, ni discriminante. Elle touche de
la même manière des entreprises qui ont une réalité industrielle.
En outre, il y a un point à ne pas oublier dans le cas de France
Télécom : si sa dette reflète une politique de croissance externe
au moment des valorisations folles, elle reflète aussi son statut
hybride. Pour ne pas diluer la part de l'Etat dans son capital,
l'opérateur a été contraint de payer ses acquisitions en numéraire.
Des opérations menées par échanges de titres n'auraient pas eu le
même impact.
Au-delà
de l'explosion de la bulle Internet, il y a aussi la suspicion provoquée
par les affaires Enron ou WorldCom...
Ces deux affaires ne doivent pas être prises
pour une situation générale. Avec la Nouvelle Economie, les perspectives
de croissance sont devenues une nouvelle religion financière. A
force de vouloir offrir aux marchés les indicateurs et les prévisionnels
qu'ils attendaient, afin de décrocher des valorisations excessives,
les dérapages étaient inéluctables. La solution passe aujourd'hui
par un renforcement des audits mais aussi par un retour à la réalité.
Des indicateurs comme l'Ebitda, très en vogue depuis quatre ans,
ne doivent plus être considérés seuls. La prise en compte des investissements,
et donc du coût du capital, est essentiel dans ces industries très
capitalistiques.
Le retournement
boursier n'épargne les géants nés de la Nouvelle
Economie comme AOL Time Warner et Vivendi Universal. Leur modèle
a-t-il vécu ?
Le fameux concept de convergence entre tuyaux
et contenus est lui aussi en voie d'extinction. Ce concept peut
avoir de la valeur dans une période d'innovation où il faut inventer
de nouvelles offres et structurer le marché, donc pouvoir intervenir
tout au long de la chaîne de la valeur. Aujourd'hui, nous n'en sommes
plus là et chaque métier reprend, indépendamment, de la valeur,
d'où une nécessaire désintégration verticale. Pour un groupe de
diffusion, la logique est d'accueillir le plus grand nombre de contenus.
Et pour un groupe de production, la logique est d'écouler ses contenus
sur le plus grand nombre de réseaux. Les synergies s'arrêtent là.
Au sein du secteur
TMT, chaque acteur doit donc reprendre sa place...
Absolument. Ce que doivent affronter AOL Time Warner
et Vivendi Universal est comparable aux dérives recontrées
dans le secteur des télécoms. Avec l'Internet et le
mobile, les opérateurs et les fabricants de terminaux ont
également eu l'ambition de mettre un pied dans le monde des
contenus. Les grands networks qui ont résisté à
ce concept bénéficient aujourd'hui d'une position
stable et forte.
Un autre marché
a pris de l'essor dans le secteur des télécoms :
celui de l'accès Internet. Les positions vous paraissent-elles
établies parmi les FAI ?
Nous sommes sur un marché neuf où,
en Europe, les opérateurs historiques jouent un rôle
clef. Les possibilités de concentration sur ce marché
sont encore possibles, tant au niveau national qu'au niveau européen.
Et la situation financière de certains acteurs, conjuguée
à un manque de stratégie, devrait favoriser des mouvements
d'envergure dans les mois qui viennent.
Estimez-vous
que les services mobiles, comme les SMS surtaxés ou l'i-Mode,
vont offrir une nouvelle marge de manoeuvre aux opérateurs ?
Les opérateurs ont tiré les leçons du Wap : pour
que les services mobiles décollent, il faut mettre en place une
chaîne de valeurs qui s'appuie aussi bien sur les fabricants de
terminaux que sur les éditeurs de services. Le Wap a commis une
autre erreur en cherchant à vendre une transposition brute de l'Internet
sur les mobiles. Il faut au contraire repenser l'Internet pour les
applications nomades, créer de nouveaux services qui correspondent
à d'autres besoins. Quoi qu'il en soit, les nouveaux services mobiles
ne connaîtront pas un développement aussi rapide que celui que nous
avons connu en 1997-2000 avec le GSM. Nous sommes dans une logique
d'extension de marché et de développement de nouveaux services,
plus dans une révolution.
Au milieu de
cette bourrasque financière, que deviennent les start-up ?
Pour les start-up, il y a une double réalité.
D'un côté, les investissements sont devenus rares,
surtout en seed capital. De l'autre, l'e-transformation est un mouvement
de fond qui continue. Et nous sommes encore loin d'avoir trouvé
les bons modèles économiques et d'avoir fait le tour
des développements possibles. Il y a donc de la place pour
les start-up. Il faut être patient et attendre que la mécanique
d'investissement se dégrippe.
Quelle est la
situation française en matière de high-tech ?
Ce n'est pas une grande révélation
que de dire que la France n'est pas en pointe dans ce domaine. En
Europe, le Royaume-Uni et l'Allemagne restent encore les marchés
forts. Sinon, en matière de veille, les Etats-Unis et le
Japon sont les deux marchés les plus avancés qu'il
convient de suivre attentivement.