Henri-Jacques Letellier (Procter & Gamble) : "Internet nous donne la possibilité d'étendre le territoire de nos marques"
Par le Journal du Net (Benchmark Group)
URL : http://www.journaldunet.com/itws/it_letellier.shtml


Procter & Gamble est l'une des plus grandes sociétés mondiales de produits de biens de consommations. Créé en 1837, P&G est présent dans 70 pays, possède 300 marques et a réalisé un chiffre d'affaires de 8,6 milliards de francs en 2000. On estime que P&G dépense annuellement près de 3 milliards de dollars en publicité. Henri-Jacques Letellier et Robert Auffray sont en charge de la cellule Internet de Procter & Gamble en France. Leur tâche consiste à évaluer l'importance d'Internet dans le plan de communication de la marque. Le Web représente en effet une grande nouveauté pour P&G. C'est la première fois que le lessivier a l'opportunité de communiquer en direct avec ses consommateurs et d'établir ainsi une relation nouvelle avec eux. Henri-Jacques Letellier nous explique la stratégie du groupe sur ce support et les projets que la marque développe peu à peu.

Propos recueillis par Florence Santrot le 19/03/2001

JDNet. Pouvez-vous nous parler de l'histoire de Procter & Gamble sur Internet ?
Henri-Jacques Letellier. Depuis le mois d'avril 2000, nous avons créé une cellule Internet. Cela ne veut pas dire que P&G ne s'est intéressé au Web qu'à partir de cette date. Auparavant, nous avons étudié ce nouveau support et essayé d'établir ce que nous pouvions en retirer. Par exemple, nous avons analysé le marketing interactif et soulevé la problématique du shopping en ligne pour la grande distribution. Notre idée est de développerr une véritable expertise des attentes du "shopper" en ligne par rapport à nos marques et à nos catégories, de façon à avoir un véritable rôle d'expert auprès des contributeurs.

Maintenant, quelle est la stratégie de P&G en ligne ?
En ce qui concerne notre stratégie Internet, il y a 4 axes majeures. Nous voulons créer d'autres relations avec les consommateurs, inventer de nouvelles façons de créer, marketer et vendre nos marques, réinventer la chaîne logistique, notamment avec la plate-forme Transora, et développer de nouvelles formes de partenariat. Pour ce dernier élément, il est vrai que, dans certain cas, plutôt que de construire le trafic vers nos sites, nous allons chercher quels vont être les bons partenaires. Il faut s'assurer que nous mettons bien nos contenus là où les internautes vont, plutôt que des créer des plate-formes et chercher ensuite à y attirer les internautes. Aux Etats-Unis, nous avons par exemple fait des essais avec CoverGirl (test de maquillage en ligne, NDLR). Mais nous nous sommes rapidement aperçus, que les gens viennent une fois puis qu'ils n'ont pas de raison suffisante pour revenir très régulièrement. En France, nous avons choisi certains sites partenaires. On peut par exemple citer SeniorPlanet avec Fixodent.

Qu'entendez-vous par "inventer de nouvelles façons de créer, marketer et vendre nos marques" ?
Aux Etats-Unis, on a lancé Reflect.com. Il s'agit de produits de beauté que l'on peut entièrement personnaliser. Quand nous disons "vendre nos marques", il ne s'agit absolument pas de les vendre en direct. On peut vendre sur Internet, on le fait par exemple avec Reflect.com ou de manière marginale sur Pampers.com et MonsieurPropre.com. Mais on ne vend pas en direct Ariel, Pantene ou d'autres marques P&G. Nous ne voulons absolument pas concurrencer nos amis distributeurs. En fait, nous avons réalisé de nombreuses études consommateurs sur Internet, surtout sur la femme internaute qui réalise 70 à 80% les achats en ligne, ou qui les prescrits à 90%. Nous nous sommes aperçus que la femme utilise Internet avec un côté beaucoup plus pragmatique et utilitariste que l'homme. Mais elle va également y rechercher un côté ludique.

Comment comptez-vous communiquer vers la femme Internaute et créer ainsi de nouvelles relations ?

En Europe, c'est très particulier. Nous payons l'accès Internet à la minute, donc cela renforce le côté utilitariste. En conséquence, la femme va sur le Web avec une idée bien précise, et elle s'est fixée un but avant de se connecter. En terme de marketing, il faut que nous nous positionnions sur le ou les sites qu'elle va visiter, proposer une réponse à sa question ou proposer un produit en adéquation avec ce qu'elle vient chercher. Au départ, elle est hermétique à tout ce qui pourrait la détourner de son but et nous devons rendre son cheminement perméable pour lui faire passer notre message. Pour cela, nous devons développer des messages pertinents dans le contexte et dans le temps. C'est toute la difficulté.

Comment pensez-vous intégrer vos marques pour leur donner un maximum de visibilité ?
On peut segmenter notre communication autour de deux grands axes : le côté utilitaire contre le côté explorateur de l'internaute ou la femme experte de l'Internet contre la femme dilettante sur l'Internet. Le profil de l'internaute varie selon nos différentes marques et, à chaque fois, nous choisissons un type de site et une forme de communication. Si nous avons à faire à une cible utilitariste, par exemple, nous allons nous orientez vers de l'information, du conseil, de la solution et de la personnalisation. Pour un profil explorateur, nous allons jouer sur d'autres types de valeurs comme les jeux. Internet sera alors un média d'information. Nous communiquerons alors auprès des sites communautaires et nous nous efforcerons de créer des événements en collaboration avec d'autres partenaires. Dans cette optique, à la limite, P&G peut même se positionner comme un facilitateur d'achat sur le Net, en proposant des échantillons ou des coupons.

Cela s'applique-t-il de manière identique pour tous les pays ?
Internet nous offre justement la possibilité de s'adapter à chaque culture et de bénéficier de l'expérience locale. Notre positionnement d'expert est très bien vu aux Etats-Unis pour Pampers, par exemple. 20% des mères de bébés, connectées ou non, ont déjà visité le site Pampers.com pour obtenir des informations. Internet nous donne donc la possibilité d'étendre le territoire de nos marques et de changer la nature de la marque, tout en gardant les spécificités locales. Cela se voit particulièrement pour Monsieur Propre, qui est un site de détente en France alors que Mr Clean, aux USA, est réellement un site utilitariste avec des conseils et des solutions.

Existe-t-il un site pour chacune de vos marques ?
C'est très variable. Monsieur Propre n'est pas véritablement un site de marque car les produits n'apparaissent pas. Pour Pantene, cela se justifie parce que nous avons une expertise. Il existe un noyau de club et nous sommes dans un univers de la beauté, du "Moi". Il est donc possible de développer une interaction intéressante. Par contre, nous avons pensé que pour Ariel, Dash, cela se justifie moins, mais cela ne veut pas dire que nous n'en ferons jamais. Il est possible que nous fassions un jour des mini-sites comme nous en avons fait pour Dryel [Produit pour le nettoyage à sec ou à la main, NDLR]. Pour certaine marque, notre présence sur le Web est moins nécessaire. Néanmoins, l'existence d'un petit site est nécessaire pour ne pas décevoir l'éventuel internaute qui va taper l'URL du nom d'une marque parce qu'il est très fidèle. Une solution est aussi de rassembler plusieurs marques sur un même site, avec un thème transversal. C'est ce que nous avons fait avec notre site Hygiène Family.

Pouvez-vous nous dire quelques mots de Winnerland, votre site de jeux ?
C'est mon collaborateur, Robert Auffray, qui a travaillé dessus. Winnerland a été tout d'abord créé en Italie, il y a de cela deux ans. C'était un des tous premiers sites de jeux avec des gains sur Internet. Le site se positionne à la huitième place en terme d'audience dans ce pays. Face à cette réussite, nous avons décidé de développer ce concept dans d'autres pays. Nous l'avons lancé simultanément en France, Espagne et au Portugal. L'intérêt de ce type de site, c'est que le consommateur joue avec les marques et qu'à la fin d'un jeu, il connaît toutes les spécificités des produits. En ce moment, nous proposons des jeux autour de Fébrèze, d'Ariel et et de Pantene. Et, chose unique dans l'histoire de Procter&Gamble, nous accueillons des partenaires extérieurs sur notre site. Ainsi, iBazar sera présent sur notre site dans les jours à venir dans le cadre d'un jeu de l'oie et, fin mai, nous sortirons un jeu avec Monsieur Propre.

Procter & Gamble fait partie des très grands annonceurs. Qu'en est-il de la publicité sur Internet ?
Avant d'investir véritablement sur ce support, nous cherchons à savoir quelle est l'efficacité sur Internet par rapport aux autres médias. De toute façon, nous faisons rarement de la publicité mono-média. Il faut donc que nous isolions l'efficacité supplémentaire d'Internet. Il faut savoir si Internet peut réellement nous apporter un plus en matière de communication, dans un plan multi-médias. Pour l'instant, ce que nous avons établi, c'est que les internautes, nous les touchons de toute manière sur les autres médias. Procter & Gamble est en phase de test et a établi des critères pour mesurer les résultats de quelques campagnes ponctuelles. On apprend de manière très empirique. Le jour où nous aurons des réponses, nous pourrons définir clairement quelle place va prendre le média Internet dans notre stratégie. En attendant, nous n'allons pas investir sur un média qui ne touche potentiellement que 20% des foyers. Nous avons d'ailleurs réalisé une étude avec 24/7 Media à propos de Winnerland, où nous avons fait que de la communication online [lire l'article JDNet du 16/03/01].

Quelle est l'équipe dédiée à Internet en France et possédez vous un budget particulier ?
En France, deux personnes travaillent à plein temps pour Internet, Robert Auffray et moi. Mais, selon les sites et les projets, d'autres personnes viennent se greffer. Pour l'ensemble du groupe Procter & Gamble, on peut dire que 200 personnes dans le monde travaillent régulièrement pour notre partie BtoC. En ce qui concerne le budget, cela varie marque par marque. Nous n'avons pas de chiffre précis à communiquer. C'est très variable selon les projets et selon la pertinence des business plans.

Personnellement, qu'est-ce que vous aimez sur Internet ?
J'ai été attirée par Internet parce qu'il s'agit d'une zone que personne ne connaissait, notamment sur le plan marketing. Pour une fois, nous ne savions pas ce que cela allait donner. Avec Internet, nous avons découvert de nouveaux business models et cela nous a ouvert l'esprit. Je trouve intéressant de voir que le Net nous a forcé à casser notre modèle de pensée et à modifier nos paradigmes. Par ailleurs, l'aspect communautaire et l'idée qu'il y a encore beaucoup de choses à inventer me plaisent réellement.

De même, qu'est-ce qui vous irrite sur Internet ?
J'ai parfois l'impression qu'Internet favorise la fabrication de clones. Le profiling des internautes permet aux sites d'exposer leurs clients à des publicités en fonction de leur profil et donc de pouvoir mettre au point des systèmes de convergence pour amener peu à peu une partie des internautes à s'identifier à certains idéaux-types. S'il n'y avait qu'Internet, certains groupes de consommateurs ne seraient exposés qu'à un seul type de publicité et c'est quelque peu effrayant.

Quels sont vos sites préférés ?
Les moteurs de recherche et les annuaires.



Henri-Jacques Letellier était auparavant responsable des études de marché P&G pour la France. Plus récemment, il a occupé le poste de responsable des études consommateurs pour le marketing interactif au niveau Européen, et pour la distribution en ligne au niveau global.
Robert Auffray a occupé plusieurs fonctions au sein du departement informatique et a notamment eu la responsabilité de projets SAP au niveau européen puis mondial.


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