JDNet. Pouvez-vous nous parler de l'histoire de Procter & Gamble
sur Internet ?
Henri-Jacques
Letellier. Depuis le mois d'avril 2000, nous avons créé
une cellule Internet. Cela ne veut pas dire que P&G ne s'est intéressé
au Web qu'à partir de cette date. Auparavant, nous avons étudié
ce nouveau support et essayé d'établir ce que nous pouvions
en retirer. Par exemple, nous avons analysé le marketing interactif
et soulevé la problématique du shopping en ligne pour la
grande distribution. Notre idée est de développerr une véritable
expertise des attentes du "shopper" en ligne par rapport à
nos marques et à nos catégories, de façon à
avoir un véritable rôle d'expert auprès des contributeurs.
Maintenant,
quelle est la stratégie de P&G en ligne ?
En ce qui concerne notre stratégie Internet, il y a 4 axes
majeures. Nous voulons créer d'autres relations avec les consommateurs,
inventer de nouvelles façons de créer, marketer et vendre
nos marques, réinventer la chaîne logistique, notamment avec
la plate-forme Transora,
et développer de nouvelles formes de partenariat. Pour ce dernier
élément, il est vrai que, dans certain cas, plutôt
que de construire le trafic vers nos sites, nous allons chercher quels
vont être les bons partenaires. Il faut s'assurer que nous mettons
bien nos contenus là où les internautes vont, plutôt
que des créer des plate-formes et chercher ensuite à y attirer
les internautes. Aux Etats-Unis, nous avons par exemple fait des essais
avec CoverGirl (test de maquillage en ligne, NDLR). Mais nous nous
sommes rapidement aperçus, que les gens viennent une fois puis
qu'ils n'ont pas de raison suffisante pour revenir très régulièrement.
En France, nous avons choisi certains sites partenaires. On peut par exemple
citer SeniorPlanet
avec Fixodent.
Qu'entendez-vous
par "inventer de nouvelles façons de créer, marketer
et vendre nos marques" ?
Aux Etats-Unis, on a lancé Reflect.com.
Il s'agit de produits de beauté que l'on peut entièrement
personnaliser. Quand nous disons "vendre nos marques", il ne
s'agit absolument pas de les vendre en direct. On peut vendre sur Internet,
on le fait par exemple avec Reflect.com ou de manière marginale
sur Pampers.com et
MonsieurPropre.com.
Mais on ne vend pas en direct Ariel, Pantene
ou d'autres marques P&G. Nous ne voulons absolument pas concurrencer
nos amis distributeurs. En fait, nous avons réalisé de nombreuses
études consommateurs sur Internet, surtout sur la femme internaute
qui réalise 70 à 80% les achats en ligne, ou qui les prescrits
à 90%. Nous nous sommes aperçus que la femme utilise Internet
avec un côté beaucoup plus pragmatique et utilitariste que
l'homme. Mais elle va également y rechercher un côté
ludique.
Comment comptez-vous communiquer vers la femme Internaute et créer
ainsi de nouvelles relations ?
En Europe, c'est très particulier. Nous payons l'accès Internet
à la minute, donc cela renforce le côté utilitariste.
En conséquence, la femme va sur le Web avec une idée bien
précise, et elle s'est fixée un but avant de se connecter.
En terme de marketing, il faut que nous nous positionnions sur le ou les
sites qu'elle va visiter, proposer une réponse à sa question
ou proposer un produit en adéquation avec ce qu'elle vient chercher.
Au départ, elle est hermétique à tout ce qui pourrait
la détourner de son but et nous devons rendre son cheminement perméable
pour lui faire passer notre message. Pour cela, nous devons développer
des messages pertinents dans le contexte et dans le temps. C'est toute
la difficulté.
Comment
pensez-vous intégrer vos marques pour leur donner un maximum de
visibilité ?
On peut segmenter
notre communication autour de deux grands axes : le côté
utilitaire contre le côté explorateur de l'internaute ou
la femme experte de l'Internet contre la femme dilettante sur l'Internet.
Le profil de l'internaute varie selon nos différentes marques et,
à chaque fois, nous choisissons un type de site et une forme de
communication. Si nous avons à faire à une cible utilitariste,
par exemple, nous allons nous orientez vers de l'information, du conseil,
de la solution et de la personnalisation. Pour un profil explorateur,
nous allons jouer sur d'autres types de valeurs comme les jeux. Internet
sera alors un média d'information. Nous communiquerons alors auprès
des sites communautaires et nous nous efforcerons de créer des
événements en collaboration avec d'autres partenaires. Dans
cette optique, à la limite, P&G peut même se positionner
comme un facilitateur d'achat sur le Net, en proposant des échantillons
ou des coupons.
Cela
s'applique-t-il de manière identique pour tous les pays ?
Internet nous
offre justement la possibilité de s'adapter à chaque culture
et de bénéficier de l'expérience locale. Notre positionnement
d'expert est très bien vu aux Etats-Unis pour Pampers, par exemple.
20% des mères de bébés, connectées ou non,
ont déjà visité le site Pampers.com pour obtenir
des informations. Internet nous donne donc la possibilité d'étendre
le territoire de nos marques et de changer la nature de la marque, tout
en gardant les spécificités locales. Cela se voit particulièrement
pour Monsieur Propre, qui est un site de détente en France alors
que Mr Clean, aux USA, est réellement un site utilitariste avec
des conseils et des solutions.
Existe-t-il
un site pour chacune de vos marques ?
C'est très variable. Monsieur Propre n'est pas véritablement
un site de marque car les produits n'apparaissent pas. Pour Pantene, cela
se justifie parce que nous avons une expertise. Il existe un noyau de
club et nous sommes dans un univers de la beauté, du "Moi".
Il est donc possible de développer une interaction intéressante.
Par contre, nous avons pensé que pour Ariel, Dash, cela se justifie
moins, mais cela ne veut pas dire que nous n'en ferons jamais. Il est
possible que nous fassions un jour des mini-sites comme nous en avons
fait pour Dryel [Produit
pour le nettoyage à sec ou à la main, NDLR]. Pour certaine marque,
notre présence sur le Web est moins nécessaire. Néanmoins,
l'existence d'un petit site est nécessaire pour ne pas décevoir
l'éventuel internaute qui va taper l'URL du nom d'une marque parce
qu'il est très fidèle. Une solution est aussi de rassembler
plusieurs marques sur un même site, avec un thème transversal.
C'est ce que nous avons fait avec notre site Hygiène
Family.
Pouvez-vous
nous dire quelques mots de Winnerland, votre site de jeux ?
C'est mon collaborateur, Robert Auffray, qui a travaillé dessus.
Winnerland
a été tout d'abord créé en Italie, il y a
de cela deux ans. C'était un des tous premiers sites de jeux avec
des gains sur Internet. Le site se positionne à la huitième
place en terme d'audience dans ce pays. Face à cette réussite,
nous avons décidé de développer ce concept dans d'autres
pays. Nous l'avons lancé simultanément en France, Espagne
et au Portugal. L'intérêt de ce type de site, c'est que le
consommateur joue avec les marques et qu'à la fin d'un jeu, il
connaît toutes les spécificités des produits. En ce
moment, nous proposons des jeux autour de Fébrèze, d'Ariel
et et de Pantene. Et, chose unique dans l'histoire de Procter&Gamble,
nous accueillons des partenaires extérieurs sur notre site. Ainsi,
iBazar sera présent
sur notre site dans les jours à venir dans le cadre d'un jeu de
l'oie et, fin mai, nous sortirons un jeu avec Monsieur Propre.
Procter
& Gamble fait partie des très grands annonceurs. Qu'en est-il
de la publicité sur Internet ?
Avant d'investir véritablement sur ce support, nous cherchons à
savoir quelle est l'efficacité sur Internet par rapport aux autres
médias. De toute façon, nous faisons rarement de la publicité
mono-média. Il faut donc que nous isolions l'efficacité
supplémentaire d'Internet. Il faut savoir si Internet peut réellement
nous apporter un plus en matière de communication, dans un plan
multi-médias. Pour l'instant, ce que nous avons établi,
c'est que les internautes, nous les touchons de toute manière sur
les autres médias. Procter & Gamble est en phase de test et
a établi des critères pour mesurer les résultats
de quelques campagnes ponctuelles. On apprend de manière très
empirique. Le jour où nous aurons des réponses, nous pourrons
définir clairement quelle place va prendre le média Internet
dans notre stratégie. En attendant, nous n'allons pas investir
sur un média qui ne touche potentiellement que 20% des foyers.
Nous avons d'ailleurs réalisé une étude avec 24/7
Media à propos de Winnerland, où nous avons fait que
de la communication online [lire l'article
JDNet du 16/03/01].
Quelle
est l'équipe dédiée à Internet en France et
possédez vous un budget particulier ?
En France, deux personnes travaillent à plein temps pour Internet,
Robert Auffray et moi. Mais, selon les sites et les projets, d'autres
personnes viennent se greffer. Pour l'ensemble du groupe Procter &
Gamble, on peut dire que 200 personnes dans le monde travaillent régulièrement
pour notre partie BtoC. En ce qui concerne le budget, cela varie marque
par marque. Nous n'avons pas de chiffre précis à communiquer.
C'est très variable selon les projets et selon la pertinence des
business plans.
Personnellement,
qu'est-ce que vous aimez sur Internet ?
J'ai été attirée par Internet parce qu'il s'agit
d'une zone que personne ne connaissait, notamment sur le plan marketing.
Pour une fois, nous ne savions pas ce que cela allait donner. Avec Internet,
nous avons découvert de nouveaux business models et cela nous a
ouvert l'esprit. Je trouve intéressant de voir que le Net nous
a forcé à casser notre modèle de pensée et
à modifier nos paradigmes. Par ailleurs, l'aspect communautaire
et l'idée qu'il y a encore beaucoup de choses à inventer
me plaisent réellement.
De
même, qu'est-ce qui vous irrite sur Internet ?
J'ai parfois l'impression qu'Internet favorise la fabrication de clones.
Le profiling des internautes permet aux sites d'exposer leurs clients
à des publicités en fonction de leur profil et donc de pouvoir
mettre au point des systèmes de convergence pour amener peu à
peu une partie des internautes à s'identifier à certains
idéaux-types. S'il n'y avait qu'Internet, certains groupes de consommateurs
ne seraient exposés qu'à un seul type de publicité
et c'est quelque peu effrayant.
Quels
sont vos sites préférés ?
Les moteurs de recherche et les annuaires.