Denis Payre (Kiala) : "Kiala sera le réseau européen de livraison hors-domicile"
Par le Journal du Net (Benchmark Group)
URL : http://www.journaldunet.com/itws/it_payre.shtml


Pour en savoir plus
Si Kiala est un nom relativement nouveau dans le paysage de l'Internet français et, plus largement, dans la vente à distance, le nom de son co-fondateur, Denis Payre, l'est nettement moins. Co-fondateur de l'éditeur de logiciel Business Object en 1990, il est également à l'origine de l'association d'entreprises de la nouvelle économie Croissance Plus. Aujourd'hui, il préside Kiala, une plate-forme de services logistiques pour la vente à distance, complétée par un réseau de points-relais. Lancée en juillet 2001 sur le marché belge, la société se prépare à investir les marchés français et allemand courant 2002. Denis Payre explique ce qu'est Kiala et revient sur son parcours fortement associé à l'Internet et, aujourd'hui, à la vente à distance.

Propos recueillis par Anne-Laure Béranger le 04/02/2002

JDNet. Après avoir co-fondé Business Objects, un éditeur de logiciels, vous avez lancé en juillet 2001 une plate-forme de services logistiques. Comment s'est effectué le passage de l'un à l'autre ?
Denis Payre. En fait, j'ai quitté Business Object début 1997. Au bout de sept ans, j'ai voulu mener une vie un peu moins trépidante, moins nomade. Et puis je n'ai pas souhaité m'installer en Californie alors que cela devenait indispensable à l'époque, puisque tous nos grands clients, tous nos grands actionnaires étaient américains. Je suis donc resté quelques temps au conseil d'administration et puis j'ai fini par quitter le conseil et le capital. Ensuite, pendant trois ans, j'ai eu une toute autre activité. J'ai été investisseur en capital-risque à titre personnel et j'ai également co-fondé Croissance Plus, qui est une association d'entrepreneurs de croissance en France.
Par la suite, j'ai eu envie de redémarrer un projet européen. Je ne voulais pas relancer un éditeur de logiciels, mais un projet qui contenait une dimension technologique assez forte, puisque c'est mon domaine. L'idée m'est venue de travailler sur la logistique, lorsque j'ai rencontré Marc Fourrier, un ingénieur de 45 ans, spécialiste de l'économie de la logistique. Il a créé deux sociétés de conseil en management qui ont très bien réussi, Eurossept Associés et Clerversys. C'est un expert en systèmes d'information et logistique. C'est aussi un business-angel qui a bien réussi, puisqu'il est à l'origine de deux sociétés française côtées au Nasdaq, Ilog et Wavecom. Il connaît aussi bien le monde de la technologie que des télécoms.

Comment décrivez-vous Kiala et quels sont vos partenaires commerciaux ?
C'est un réseau de 260 points de livraison en Belgique qui regroupe des stations-service, des épiceries de proximité, des librairies... Il permet au consommateur achetant à distance de récupérer son colis où et quand il veut et de le retourner facilement si nécessaire. Un de nos premiers partenaires commerciaux a été La Redoute. Elle nous a confié la partie de son réseau constitué par des indépendants, en nous chargant de reprendre ces commerces ou de les abandonner. Sur la centaine de points, nous en avons gardé quarante. Nous avons également démarré avec 3 Suisses, mais uniquement au Luxembourg, et puis il nous a confié la Belgique au bout de quelques mois. Nous travaillons depuis septembre avec Quelle et, en test, avec Yves Rocher. Depuis novembre, la société de téléachat Shoplijn nous a rejoints. Et depuis janvier 2002, nous avons comme client l'équivalent belge des Pages jaunes, qui possède 70 boutiques en ligne. Nous sommes en discussion avec d'autres vendeurs en ligne, dont Proxis, qui devrait nous rejoindre en mars ou avril. Actuellement, nous avons 60% du marché belge de la vente à distance dans notre réseau et nous pensons atteindre les 80% d'ici 2002.

Qui sont vos actionnaires ?
Marc Fourrier et moi-même avons investi 3 millions d'euros et nous avons levé 14 millions d'euros en septembre auprès d'investisseurs européens : la banque allemande West LB, Logispring (un fonds créé par TPG, la poste hollandaise et Booz Allen and Hamilton), Part'com (Caisse des Dépôts et Consignations), Arts Alliance, Déficom ou Sofindev. Nos investisseurs ont aujourd'hui une part non négligeable du capital. Nous disposions donc de 17 millions d'euros et nous comptons en investir 25 millions dans les quatre prochaines années. Notre ambition est d'ouvrir 10.000 points de livraison d'ici 2004.

Quels sont vos premiers résultats ?
Au 31 décembre, nous avons livré 160.000 colis et nous en avons repris 60.000, ce qui est la norme en Belgique. Les taux de retour sont de l'ordre de 30%. Nous avons géré 40.000 paiements contre remboursement et notifié 160.000 clients. Notre chiffre d'affaires en 2001 aura été de 200.000 euros. Ces résultats nous positionnent comme le leader européen dans ce métier.

Les points de livraison, ce n'est pas nouveau. 3 Suisses et La Redoute sont des pionniers dans ce domaine...
Nous nous étions penchés sur le problème de l'absence au domicile au moment du passage du livreur, un obstacle au développement de la vente à distance en général et du e-Commerce en particulier. Un consultant a mené pour nous une étude mondiale, en Europe, aux Etats-Unis et au Japon, pour répertorier les solutions à ce problème. En fait, elles sont rares aux Etats-Unis comme au Japon. C'est en France et en Belgique que nous avons trouvé la solution la plus intéressante, celle des Points Relais, développés par 3 Suisses et La Redoute. Avec un succès important, puisque ces réseaux, de 4.000 points chacun captent 50 et 60% des commandes de ces sociétés. Nous les avons copiés, mais également améliorés.

Dans quels domaines?
Notre plate-forme technologique tout d'abord. Nous avons beaucoup investi dans l'automatisation des procédures et la visibilité des colis dans le réseau. La première permet de réduire le temps que passent les gérants des points de livraison à manipuler les produits, à gérer l'encourt, à appeler les clients et à faire des opérations de reporting. Quant à l'absence de visibilité, elle doit être combattue car elle entraîne, lorsque surgit un problème, une cascade de coûts considérables. Le centre d'appels du vépéciste doit appeler le point de livraison, qui doit chercher si le colis se trouve dans sa réserve, s'il est dans le réseau, etc... Le second volet sur lequel nous avons essayé d'apporter de la valeur est la qualité du recrutement des points de livraison. Nous travaillons avec des grands réseaux établis, des stations-service ou des épiceries de proximité, pour avoir une certaine homogénéité. Nous avons une quinzaine de critères de sélection très exigeants, comme la taille de la réserve, la distance entre la réserve et la caisse, pour s'assurer que tous les aspects opérationnels soient validés. Nous avons également passé beaucoup de temps sur la localisation des points, avec des outils de géomarketing, en superposant quatre cartes : celle des foyers, celle des foyers qui achètent à distance, celle des grands axes de trafic et celle des centres commerciaux.

Quel a été le coût de ce projet ?
Nous avons investi 4 millions d'euros dans la plate-forme technologique, construite avec EDS et Arthur Andersen, qui permet d'automatiser toutes les procédures. La partie émergée de l'iceberg, c'est un petit terminal, signé Symbol Technologies, avec à l'intérieur un système PalmOS, un scanner et un modem intégré qui permet de télécharger régulièrement des données concernant les colis qui vont être livrés et de transmettre les données relatives aux colis qui ont été retournés, car nous gérons également les retours, ou ceux qui ont été retirés.

Vous gérez aussi les paiements ?
Nous offrons effectivement le paiement contre remboursement. Cette option a un grand intérêt pour les e-commerçants, en raison du manque de confiance, qui existe toujours, des consommateurs à l'égard du paiement en ligne. Chez nous, elle est également gérée de manière automatique en utilisant les moyens de paiement du point de livraison.

Comment les clients sont-ils prévenus que leur colis est disponible ?
Nous avons mis en place un robot téléphonique qui appelle les clients lorsque le colis est bien arrivé. Il lui rappelle l'adresse et l'heure à laquelle il peut retirer son colis. Ce système de notification automatisé permet d'aller plus vite que l'envoi d'un courrier, d'alerter le client s'il n'est pas allé chercher son colis dans les cinq jours et de déclencher automatiquement le retour au bout de quatorze jours. Ce service existe pour les téléphones filaires et les téléphones GSM. D'ailleurs, grâce à des accords avec des opérateurs de téléphonie comme Proximus et Mobistar, nous sommes capables de déposer un message sur une messagerie sans déranger le client. Mais les alertes peuvent également être envoyées par e-mail et à partir de fin 2002-début 2003, par SMS. Mais dans ce domaine, nous ne constatons pas une demande énorme, bien que la Belgique ait été un pays pionnier.

Pourquoi avoir choisi la Belgique comme lieu d'implantation des activités de Kiala ?
Le projet était d'emblée européen. Mais la Belgique est un pays idéal pour lancer ce type de plate-forme, car relativement petit, où l'on peut faire un lancement national tout en ne dépensant pas des sommes gigantesques et en pouvant se permettre des petites erreurs d'ajustement au départ. Et enfin, c'est un pays où se trouvent réunis tous les grands vendeurs à distance européens, avec de petites organisations, ce qui facilite le contact avec la direction générale. Cette implantation nous a permis d'avoir un pilote européen au sein de toutes les sociétés de vente à distance européennes, que ce soit l'allemand Otto, présent à travers 3 Suisses en France, PPR, via La Redoute, ou Karstadt-Quelle.

Quels sont vos projets en France ?
Nous projetons de lancer notre service en France, sous la forme d'un pilote, avec une vingtaine de points, dans la région Lyon-Bourgogne-Saint-Etienne, probablement entre juillet et septembre. Cette région a été choisie par les grands vépécistes français car ils la jugent représentative en raison de sa structure de population. Elle comprend des grands pôles urbains et des zones rurales. Nous recrutons aujourd'hui essentiellement dans l'épicerie de proximité, car nous pensons que c'est un bon modèle en France, ce type de commerce permettant des achats combinés nombreux. Nous lancerons également le service en septembre aux Pays-Bas et à la fin de l'année en Allemagne.

En France, un certain nombre de projets de relais-colis ont vu le jour. Certains, comme Zendis, ont fait un passage éclair. Que faut-il pour réussir dans ce métier ?
Aujourd'hui, la vente à distance traditionnelle a des flux quarante fois supérieurs à ceux de l'e-Commerce. Donc pour réussir dans ce métier, il faut s'associer aux grands vendeurs à distance traditionnels, qui au passage, sont aussi de grands e-commerçants. Un certain nombre d'acteurs ont également sous-estimé la complexité de ce métier. Le concept à l'air très simple, mais l'exécution de ce concept est industrielle. Il faut des compétences dans des tas de métiers différents et, en premier lieu, comprendre la vente à distance. Un fois que vous avez convaincu un Amazon ou un Redoute, il vous faut encore convaincre leurs clients, s'intégrer à leur mailing-list et à leur site web au bon endroit. Il faut ensuite comprendre la franchise et le transport, à la fois au plan technique et économique. Il faut bien comprendre les technologies, le logiciel mais aussi les télécom. Il faut enfin, des compétences en création de marque.

Que représente le e-Commerce dans votre activité ?
Il représente encore une part assez faible. En France, nous discutons avec tous les e-tailers et tous sont intéressés, car ils ont une clientèle moins disponible et plus active, donc plus sensible à notre service. Nous espérons que l'e-Commerce atteindra assez rapidement entre 5 et 10% de nos flux.

Par rapport aux autres modes de livraison, quels sont les bénéfices des relais-colis ?
Notre prix de vente est calculé pour être au même niveau que la poste, car c'est le seul moyen de capter des flux massifs pour construire un réseau moderne avec une densité suffisante. Notre solution représente donc une économie de coût par rapport aux transporteurs express. A tel point que nous sommes aujourd'hui en discussion avec ces transporteurs pour leur offrir une solution pour livrer les particuliers.

Que pensez-vous du m-Commerce ?
Je crois pas mal au m-Commerce avec le GPRS pour des produits très normalisés, comme les services, les tickets de spectacle. Pour des produits plus physiques, même un livre ou un CD, c'est plus limité à court terme, tant que l'on ne dispose pas de l'UMTS.

Vous évoquiez Croissance Plus. Quel bilan tirez-vous de vos actions et quels sont celles que vous menez actuellement ?
Nous nous sommes beaucoup battus pour rénover le régime des stock-options en France. Avec succès d'ailleurs, puisque nous avons convaincu le gouvernement Jospin et, à l'époque, Dominique Strauss-Kahn, de faire voter un certain nombre de lois qui ont beaucoup impacté l'environnement français des entreprises de croissance, comme les BSPCE (Bons de souscription de parts de créateurs d'entreprises). A l'expiration de mon mandat de président, j'ai voulu donner à Croissance Plus une dimension plus européenne. A l'époque, et aujourd'hui encore, les principaux gouvernements européens avaient du mal à comprendre le modèle des entreprises de croissance, l'importance des stock-options, celle du capital-risque, etc. J'ai donc conduit la fusion de Croissance Plus avec Europe 500, qui était déjà présente dans la plupart des pays européens. C'est ainsi qu'est née à Bruxelle en mai 1999, Growth Plus Europe. J'occupe aujourd'hui un des deux postes de vice-président. Dans ce cadre, nous avons conduit, pour la deuxième année consécutive avec Andersen un benchmarking des environnements des entreprises de croissance en Europe, ceci afin de sensibiliser les gouvernements européens sur ce thème. Nos actions auprès de la Commission européenne semblent avoir porté leurs fruits, puisque la création d'un environnement plus compétitif pour les entreprises de croissance a été un des thème de la conférence des chefs d'Etats européens de Lisbonne. Quant aux actions en France, elles concernent essentiellement la sensibilisation des candidats à la présidence de la République aux thèmes contenu dans notre Livre blanc (Lire l'article du JDNet du 28/11/01).

Qu'est-ce que vous aimez sur Internet ?
Je suis un très bon client d'Amazon, car il dispose d'un stock de livres rares ou en langue étrangère assez important. Et puis Internet est une vitrine sur le monde. C'est d'une transparence totale. Il n'y a rien de tel pour suivre vos concurrents.

Et qu'est-ce que vous détestez ?
Les temps de réponse. Lorsqu'on aura réglé les problèmes de bande passante, nous aurons la télévision au bout des doigts.

Quels sont vos sites préférés ?
Amazon et les sites de voile en général, car je suis un passionné de voile.



Denis Payre, 39 ans, est titulaire d'un MBA de l'Essec. Il a commencé sa carrière chez Thomson aux Etats-Unis, avant d'intégrer Oracle où il est responsable des ventes. en 1990, il crée avec Bernard Liautaud Business Objects. PDG de la société, en charge de l'international et du marketing institutionnel, il contribue pendant sept ans au développement international de la société et implante sa société dans quinze pays en direct, dont les Etats-Unis, le Japon ou l'Allemagne, et dans soixante pays à travers des distributeurs. En 1994, Business Objects est la première société européenne de logiciels introduite sur au Nasdaq. En 1997, il se retire de Business Objects, devient Business Angel et crée également l'association Croissance Plus. Enfin, en 2000, il s'associe avec Marc Fourrier pour fonder Kiala, dont il est aujourd'hui le président.

Pour tout problème de consultation, écrivez au webmaster
Copyrights et reproductions - Données personnelles
4, rue Diderot - 92156 Suresnes Cedex, FRANCE -
Hébergement: Fluxus