Emploicenter. Pourriez-vous
d'abord nous rappeler l'origine du Betor ?
Jean-Michel Rousseau.
Le Bétor a été créé en 1963 par des
ingénieurs de bureaux d'études techniques qui voulaient
mettre en place un syndicat pour des cadres issus de métiers non
industriels. Les métiers des services informatiques sont devenus
prépondérants pour le Bétor au cours des années
70. Nous nous sommes ensuite engagés dans la high-tech au sens
large.
Quel est le nombre
d'adhérents de votre syndicat ?
La réponse est complexe
car nous ne couvrons pas l'ensemble du secteur informatique pour la France
au sein de la CFDT. Par exemple, les salariés d'une petite entreprise
locale de Clermont- Ferrand ne dépendront pas du Bétor mais
plutôt du syndicat CFDT local. Mais, pour répondre précisément
à la question, nous avons aujourd'hui environ 3 500 adhérents.
36 % d'entre eux sont issus du secteur informatique, environ 15 %
du secteur de la publicité et 15 % des bureaux d'études.
Le secteur du conseil ne représente que 6 % de nos adhérents.
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35
HEURES
"Un bon accord 35 heures se situe au-delà de la moyenne
de 12 jours de RTT"
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Où en est le
secteur high-tech dans la mise en place des 35 heures ?
Nous avons signé beaucoup
d'accords sur les 35 heures mais il m'est difficile de dresser un bilan
car je n'ai pas de chiffres sur l'ensemble des entreprises du secteur.
Ce que je peux dire, c'est que les grandes entreprises comme Atos, Cap
Gémini ou encore Unilog sont passées assez vite aux 35 heures.
Pour les entreprises moyennes, on a deux cas de figure : certaines ont
décidé d'anticiper le mouvement et ont choisi de mettre
en oeuvre les 35 heures très tôt, mais elles sont minoritaires
sur le marché. De l'autre côté, la majorité
des petites entreprises ont maintenant compris qu'elles devaient franchir
le cap et travaillent actuellement à la préparation de leur
accord sans attendre un éventuel aménagement légal
du passage aux 35 heures. Nous sommes actuellement submergés de
demandes d'entreprises qui souhaitent mettre en place un tel accord.
Combien d'accords avez-vous
signé à ce jour ?
Le Bétor est un des grands
pourvoyeurs d'accords RTT en région parisienne avec environ 700
accords signés.
Comment expliquez-vous
que les entreprises soient si nombreuses à vous solliciter sur
le sujet ?
D'abord pour les entreprises,
la CFDT apparaît comme un interlocuteur presque naturel pour les
35 heures car nous avons porté cette revendication depuis les années
60. De plus, nous sommes considérés comme un syndicat réaliste
par rapport aux spécificités professionnelles de la branche.
Nous apparaissons comme un syndicat capable de prendre en compte les préoccupations
des cadres et des travailleurs indépendants.
On vous considère
donc comme un interlocuteur plus modéré ?
On peut dire les choses comme
ça. Je parlerais plutôt de notre pragmatisme.
Quelles sont les principales
dispositions de ces accords 35 heures ?
D'abord, on sait que, dans cette
branche, le contrôle du temps de travail est très relatif.
C'est pourquoi la plupart des accords se fondent sur des jours de récupération
RTT. Ce qui compte pour nous, c'est que le nombre de jours de RTT soit
significatif. En principe, en dehors de l'accord Cap Gémini qui
n'a pas été signé par la CFDT, nous ne signons pas
d'accord en deçà de 10 jours de RTT. Mais il y a aussi des
accords qui fixent 15 ou 17 jours. En revanche, il faut avouer que très
peu d'accords prévoyant plus de 20 jours de RTT ont tenu.
Pour quelles raisons
?
A partir d'un certain niveau,
ça pose des problèmes de choix des jours de RTT. Dans ces
métiers, la gestion des jours de congés payés était
déjà délicate et la gestion des RTT rend plus grande
cette difficulté de gestion. Cela entraine d'ailleurs une évolution,
car dans les premiers accords, les entreprises cherchaient à maximiser
le nombre de jours de RTT choisis par l'employeur. Mais dans la pratique,
on s'aperçoit que les entreprises ont tellement de difficultés
à planifier les jours de RTT imposés, qu'elles ont tendance
à laisser les salariés choisir également les jours
employeurs. Dans les accords récents, la tendance est donc à
laisser plus de jours au choix du salarié. Plus l'entreprise est
grande, moins elle sait gérer les jours de RTT.
Quelle est pour vous
la fourchette d'un bon accord RTT ?
La question est difficile, je
dirais que la moyenne étant de 12 jours, un accord qui se situe
au-dessus de cette moyenne est un bon accord. Mais il ne faut pas se limiter
aux seuls jours de RTT pour apprécier l'intérêt d'un
accord 35 heures.
Quels sont les autres
paramètres à prendre en compte ?
Je pense par exemple au fait
de décompter les cadres considérés comme autonomes
en jours de travail et non plus en heures. Il s'agit d'une mesure introduite
par la loi Aubry II. Pour eux, on considère qu'ils travaillent
217 jours par ans sans référence à des heures de
travail ou à des heures supplémentaires. La seule exigence
est de leur accorder au moins 10 heures de pause entre deux journées
de travail.
Mais quel est l'intérêt
pour le cadre ?
Et bien on sait que cette pratique
est courante dans notre secteur alors que très peu de contrats
de travail introduisaient la notion de forfait pour les cadres. L'intérêt
de la loi Aubry, c'est qu'elle consacre cette situation de fait, tout
en limitant cette pratique aux cadres de niveau III selon la convention
collective, soit des niveaux de salaires de l'ordre de 2 fois le plafond
de la sécurité sociale ce qui correspond à près
de 30 KF par mois. On reconnaît
donc l'existence du cadre autonome à partir du moment où
son niveau de salaire consacre ce niveau de responsabilité. C'est
un élément collatéral des accords. Cela choque dans
d'autres branches mais contrairement à des secteurs comme la pub
et les télécoms, nous avons ainsi limité cette pratique
à un niveau restreint de cadres. Mais cet accord de branche Syntec
n'a été voté que la CFDT et la CGC.
Beaucoup d'accords
35 heures font une différence entre le nombre de jours de RTT accordés
aux cadres et ceux accordés aux non-cadres, qu'en pensez-vous ?
Beaucoup d'accords sont effectivement
plus généreux pour les non-cadres. Mais nous n'approuvons
pas cette pratique car elle ne reconnaît pas la qualité de
l'investissement des cadres. Cependant, cela ne nous empêche pas
non plus de signer un accord prévoyant ce type de disposition.
Comment intervenez-vous
pour la négociation d'un accord 35 heures ?
Pour les sociétés
qui n'ont pas de délégués syndicaux, la loi prévoit
la possibilité qu'un salarié soit mandaté par une
organisation syndicale pour négocier. Dans notre cas, le salarié
doit être adhérent au Bétor pour négocier en
notre nom et c'est finalement le syndicat qui contre-signe définitivement
l'accord.
La nécessité
de boucler les accords 35 heures n'entraîne-t-elle pas des adhésions
de circonstances ?
C'est un risque, il y a effectivement
des salariés qui adhèrent au Bétor pour cette unique
raison, mais l'enjeu pour nous est de les convaincre de poursuivre leur
engagement au-delà du seul accord des 35 heures. Sur nos 3 500
adhérents, je pense que 700 sont venus à l'occasion des
mandatements 35 heures.
Quel est le taux de
salariés syndiqués dans le secteur, sachant que la moyenne
nationale se situe à 8,6 % de
la population active selon l'Insee ?
Nous avons peu de visibilité
mais je pense qu'il se situe à 1 ou 2% seulement des actifs du
secteur. Nous cherchons donc à montrer aux salariés mandataires
l'intérêt du syndicat dans ses négociations avec l'employeur,
même lorsqu'il s'agit d'une petite structure.
Quelle a été
la conséquence des 35 heures pour les entreprises ?
Cela a permis aux sociétés
de remettre à plat la charge de travail, notamment pour les cadres.
Même s'ils ne sont pas toujours d'accord sur le principe, tous les
salariés sont attentifs aux conditions du passage aux 35 heures.
Mais les entreprises
françaises ne sont-elles pas pénalisées par les 35
heures à l'échelle internationale malgré l'intérêt
que la loi présente pour les salariés ?
C'est un débat complexe
et sans fin. Prenez par exemple la concurrence que nous livrent les pays
de l'Europe de l'Est comme la Tchécoslovaquie ou la Pologne dans
lesquels les niveaux de salaires ne sont pas comparables avec les nôtres
: nous n'allons pourtant pas réduire les salaires en France ! Ce
qui compte c'est plutôt la tendance vers laquelle se dirigent ces
pays émergents et le sens général vers lequel les
autres pays évoluent. Au niveau syndical, l'expérience française
est observée avec beaucoup d'attention, en Espagne, Italie et en
Belgique notamment, Ce sont des pays dont nous sommes très proches
sur le plan culturel. En Allemagne, ils explorent une autre voie avec
le projet de faire évoluer le temps de travail en fonction de l'avancement
du salarié dans sa carrière. Nous rejoignons également
cette idée avec le principe du compte épargne temps. L'idée
est de pouvoir travailler davantage à un certain moment de sa carrière
pour récupérer du temps libre pour l'avenir.
Pour finir sur les
35 heures, pensez-vous qu'elles ont permis des créations d'emploi
?
Il y a eu des créations
de postes au début de la loi Aubry dans les grandes entreprises,
mais il s'agissait d'une période de forte croissance et l'impact
réel de la loi a été difficile à cerner. Nous
avons remarqué peu de croissance d'effectifs d'administratifs mais
plutôt des embauches pour les postes productifs. Je pense qu'il
s'agissait plutôt d'une conséquence de la bonne tenue du
contexte économique. Le ralentissement du marché de l'emploi
à partir de juillet dernier conforte cette idée.
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MARCHE
DE L'EMPLOI HIGH-TECH
"Les SSII sont dans une phase d'anticipation de la crise car
elles manquent de visibilité"
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Quel est votre sentiment
sur l'évolution du marché à court et moyen terme
?
En dehors des constructeurs
informatiques qui sont très touchés actuellement, les SSII
sont plutôt dans une phase d'anticipation de la crise car elles
manquent de visibilité. Cela n'a rien à voir avec la crise
du début des années 90. Il y a beaucoup de reports de contrats
mais ce n'est pas une vraie tempête. Je pense qu'il s'agit d'une
situation transitoire qui devrait évoluer à partir de la
fin du premier semestre 2002.
Quelles sont les conséquences
des nouvelles formes de travail comme le télétravail, le
travail collaboratif ou encore le statut d'indépendant sur la notion
d'entreprise?
Nous avons entamé une
réflexion en Europe sur le télétravail et les notions
de travailleurs dépendants et indépendants. La première
chose à préciser est que le télétravail est
encore très peu développé. En Belgique, par exemple,
un pôle d'activité ultra-moderne avec des infrastructures
permettant le télétravail avait été mis en
place, mais aujourd'hui il est très peu utilisé. Le véritable
télétravail reste très rare. On a vu se développer
une autre forme de télétravail, qui est plus une délocalisation
du travail avec les call-centers internationaux, mais cela n'a pas grand
chose à voir avec ce que nous imaginions il y a quelques années.
Et que pensez-vous
du nombre non négligeable d'informaticiens qui choisissent le statut
de freelance ?
Nous sommes hostiles à
l'idée que des entreprises remplacent leurs salariés par
des freelances contractualisés. C'est une façon de précariser
le statut de salariés qui passent d'une relation employeur-salarié
à une relation client-prestataire. Nous nous interrogeons sur la
socialisation des travailleurs isolés. Mais de mon point de vue,
ce phénomène reste marginal. Plus largement, ce qui nous
pose question est la socialisation de l'ensemble des salariés du
secteur high-tech car la technologie a pour conséquence un isolement
de plus en plus important des personnes. Cela nous pose également
des problèmes en tant qu'organisation syndicale.
De quels problèmes
s'agit-il ?
Les salariés n'ont plus
vraiment de rapports entre eux, de sorte que, pour le syndicat, il faut
établir et entretenir des liens avec chaque salarié individuellement.
Ce n'est pas le mode de fonctionnement traditionnel du syndicat qui était
plutôt organisé par section d'entreprises. Actuellement,
20 à 30 % de nos adhérents le sont à titre individuel.
Vous utilisez beaucoup
Internet et le mail pour vos relations avec vos adhérents ?
C'est même devenu le moyen
privilégié pour communiquer dans le cadre de la vie syndicale.
Or, l'utilisation de la messagerie professionnelle pour ces correspondances
pose parfois problème à l'employeur. En général,
nous cherchons à résoudre ces difficultés grâce
à des accords avec les entreprises concernées.
Que
vous inspire la récente jurisprudence de la cour de cassation qui interdit
à l'employeur d'accéder aux mails personnels des salariés ?
C'est une jurisprudence qui mérite d'être consolidée et nous allons bientôt
nous-même pouvoir l'éprouver car nous avons le cas d'un adhérent qui vient
d'être licencié suite à un mail échangé avec nous. Nous allons naturellement
accompagner le salarié dans son action fondée sur cette jurisprudence.
Que
pensez-vous de la multiplication des règlements intérieurs et des chartes
d'utilisation restrictives sur l'utilisation d'Internet et de la messagerie
dans l'entreprise ?
Une somme d'interdictions qui n'a pas fait l'objet d'une négociation en
amont est très vite lue et très vite oubliée par le salarié. On ne peut
pas imaginer que le salarié n'utilise jamais son poste de travail pour
consulter un horaire de train ou pour l'envoi d'un mail à des fins personnelles.
Tout est affaire de règles générales et de mesure. Mais cela revient au
problème posé par l'utilisation du téléphone professionnel il y a quelques
années. Cela pose aussi souvent la question de la possibilité d'accéder
au site du syndicat pour le salarié. Ce type de problème est généralement
réglé, non sans difficultés, dans le cadre des accords négociés dont je
vous parlais.
A
quelles difficultés faites-vous référence ?
Nous avons eu par exemple le cas d'une entreprise avec laquelle nous avions
négocié la duplication de notre site dans son propre Intranet. Mais dans
la pratique l'entreprise supprimait l'ensemble des liens hypertextes du
site. Une autre difficulté se pose lorsque nous voulons communiquer avec
l'ensemble des salariés de l'entreprise sous forme de liste de diffusion.
La hantise de l'entreprise reste l'idée d'une communication générale de
la part du syndicat pour déclencher un mouvement de grève.
La
fin de l'ère start-up a-t-elle modifié le regard des salariés du secteur
vis à vis de votre organisation syndicale ?
Absolument. Pendant cette période, l'idée du syndicalisme était à mille
lieues des préoccupations des salariés, en particulier des jeunes qui
ont rejoint ces structures. Tout se passait comme si ces salariés se pensaient
à l'écart du monde du travail ordinaire, loin des contingences classiques
des salariés. Le retournement a été violent et massif. Beaucoup de ces
jeunes salariés se sont retrouvés dans les lieux-communs du salariat du
jour au lendemain et ils ont alors été très nombreux à nous contacter
pour les aider lors de la disparition de leur entreprise.
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SYNDICALISME
"Le
syndicalisme peut être autre chose que la simple revendication
du maintien de tel ou tel avantage acquis"
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Que
pouviez-vous faire pour eux ?
Très peu de
choses malheureusement, car on nous demandait d'intervenir beaucoup trop
tard pour des entreprises très jeunes. Mais cette expérience permettra
peut-être de comprendre qu'aucune filière, aucune entreprise ne se situe
à l'extérieur du monde du travail et que le syndicalisme pouvait être
autre chose que la simple revendication du maintien de tel ou tel avantage
acquis.
Comment
expliquez-vous cela ?
En fait, bon nombre de ces salariés pensaient pouvoir établir un lien
direct avec leur employeur et que ce lien direct leur suffisait pour s'assurer
de la conformité de leur contrat de travail. Mais l'expérience nous montre
que les clauses de mobilité, de non-concurrence et même de dédit formation
sont de plus en plus courantes dans les contrats de travail du secteur
high-tech. Au final, les salariés signent des clauses parfois à la limite
de la légalité, par lesquelles ils s'engagent à rembourser une somme forfaitaire,
supérieure au coût de leurs formations s'ils démissionnent avant une certaine
date. D'autres clauses reviennent à les empêcher de continuer
à travailler dans le secteur après leur départ. Mais lorsque l'on
vient nous voir, il est souvent trop tard.
Quelle
demande formuleriez-vous à l'intention du futur président de la république
?
Je demanderais deux choses : d'abord une mesure d'aide économique au secteur
pour accélérer le développement de l'Internet haut-débit. Puis, je demanderais
également une refonte du droit du travail dans les très petites entreprises
pour permettre la poursuite des négociations sous forme de mandatement
au-delà des accords 35 heures.
Pour
finir, sur un plan plus personnel, vous utilisez beaucoup Internet ? Beaucoup
effectivement. D'abord, je reçois énormément de demandes par mails, une
quarantaine par jour en moyenne et cela représente maintenant une partie
non-négligeable de mon temps de travail. Sinon, j'achète aussi beaucoup
sur le web, depuis mes billets de train sur le site de la SNCF,
des jeux vidéo sur Alapage
et je réserve aussi souvent depuis les sites web des petits hôtels indépendants.