Martin Vial (La Poste) : "D'ici quatre à cinq ans, toutes les entreprises vendront sur Internet"
Par le Journal du Net (Benchmark Group)
URL : http://www.journaldunet.com/itws/it_vial.shtml


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Pour ses activités dans les nouvelles technologies, La Poste a créé en décembre 1986 une société holding spécifique, nommée Sofipost. Une quinzaine de filiales ont été rassemblées dans cette structure et forment l'ensemble des activités Internet de La Poste. Hormis la création ex-nihilo de sociétés et le développement d'activités en partenariat avec des entreprises spécialisées, Sofipost n'hésite pas à prendre des participations minoritaires. Elle vient récemment d'en faire la démonstration avec la société E-Mail Vision, spécialisée dans les solutions marketing par mail. Sofipost a pris une "participation minoritaire significative" et compte développer des solutions de ce type pour les clients de La Poste dans les prochains mois. Les sociétés contrôlées par Sofipost ont réalisé un chiffre d'affaires consolidé de 406 millions d'Euros en 2000 et emploient 3.000 personnes. Martin Vial, président du groupe La Poste depuis décembre 2000, trace un premier bilan et détaille ses objectifs.



Propos recueillis par Florence Santrot le 01/010/2001

JDNet. Quelle est la stratégie de La Poste face à Internet ?
Martin Vial. Internet constitue à la fois une formidable opportunité de développement et un défi. En effet, comment allons-nous passer de la distribution du courrier physique au courrier électronique ? Il faut savoir que 90% du courrier est émis par les entreprises et la moitié de ce trafic est constitué par des envois en masse : facturation, relevé de comptes, prospection commerciale, etc. Le courrier électronique va se substituer à une partie de ce courrier industriel.

A quel horizon  ?
La mutation sera progressive et se fera par paliers. Par exemple, la dématérialisation de la TVA et des déclarations fiscales des entreprises, qui commence à s'engager, se fait par paliers : cela commence par les très grosses entreprises qui, une fois qu'elles seront rentrées dans ce dispositif, vont entraîner tous leurs sous-traitants pour des raisons d'homogénéité du système. Autre exemple, les déclarations de l'Urssaf vont, elles aussi, favoriser le passage à la dématérialisation des correspondances échangées. Surtout, les grandes entreprises qui consacrent à la facturation de leurs clients des budgets importants commencent elles aussi à raisonner en ce sens pour abaisser leurs coûts. Elles dématérialisent en premier lieu leurs flux vers les entreprises, avant les particuliers qui ne possèdent pas encore les systèmes de réception. La Poste entend accompagner cette révolution comme l'opérateur principal du courrier sous toutes ses formes. Il faut savoir que pour La Poste, la facturation susceptible de faire l'objet d'une substitution électronique génère un revenu situé entre 8 et 10 milliards de francs.

Votre volonté d'accompagner la dématérialisation du courrier est-elle coordonnée au niveau européen ?
Le projet international sur lequel nous avons commencé à travailler est un projet de courrier électronique international avec la poste canadienne. Ce projet a été lancé il y a un peu plus d'un an. Mais sa mise en œuvre est assez lourde et nous sommes encore au stade des études préalables. En revanche, en ce qui concerne le courrier hybride, c'est-à-dire la transformation d'un fichier électronique en courrier physique, nous avons créé une société commune avec plusieurs postes européennes il y a quelques années. Nous sommes, par ailleurs, l'un des premiers opérateurs français de gestion de documents et d'éditique avec notre nouvelle filiale Aspheria, née du mariage de Datapost et de Mikros.

Comment réagissez-vous face au commerce électronique  ?
Le commerce électronique est pour nous un axe majeur de développement. Mais il faut savoir que la pratique de l'achat à distance est beaucoup plus faible en France qu'en Allemagne ou aux Etats-Unis. Le déploiement du commerce électronique physique prendra du temps. Mais aujourd'hui, les grandes entreprises française sont dans une phase de création de sites associés à leurs marques quasi systématique. Donc je pense que toutes les entreprises vendront sur le net à horizon de 4-5 ans. Il ne faut pas en douter et c'est la raison pour laquelle La Poste est présente sur le créneau.

Qu'offre concrètement La Poste aux entreprises en terme de commerce électronique ?
Nous avons deux types d'offres : pour les grands vendeurs sur le Net, d'une part, et pour les PME d'autre part. En ce qui concerne les leaders du commerce électronique français (Alapage, Fnac.com, Amazon.fr…), nous sommes leur prestataire logistique et transport. Et ils nous utilisent d'autant plus qu'en matière de tracking, Chronopost a très rapidement mis au point des dispositifs d'interconnexion entre les systèmes d'information du logisticien avec ceux du vendeur. Par ailleurs, La Poste a investi fortement ces deux dernières années dans le secteur du colis, par acquisitions en Europe et par alliances : nous avons signé un accord avec FedEx l'année dernière. FedEx utilise notre réseau français et européen (une quinzaine de pays) pour la distribution de ses colis tandis que nous utilisons leur réseau aérien international pour toutes nos livraisons hors-Europe ou dans les zones européennes où nous ne sommes pas encore. Nous sommes ainsi devenus le troisième groupe européen sur le marché du colis.

Et pour les PME ?
Nous avons créé pour elles une filiale nommée Esipost. Notre analyse, c'est que les toutes petites et moyennes entreprises n'ont en général pas les moyens ou pas encore la ressource de développer elles-mêmes des sites performants et surtout pour pouvoir faire l'intégration de services. Esipost, propose aux clients non seulement la création et la gestion du site mais aussi bien sûr tout le dispositif et la sécurisation du paiement. Les sites sont hébergés actuellement par Wanadoo. En amont, nous leur proposons du conseil et de la prestation de marketing direct (en collaboration avec notre autre filiale Maileva, qui permet d'envoyer du courrier physique à partir d'un ordinateur connecté) et, en aval, nous assurons bien évidemment le transport et la logistique. Notre objectif est de répondre à un besoin qui se situe à la fois au niveau de la compétence et de l'intégration de services. Les services sont proposés véritablement sur mesure pour les entreprises qui le souhaitent, pour un montant de quelques dizaines de milliers de francs en moyenne.

Sur le plan technologique, quels dispositifs avez-vous mis au point pour faciliter les échanges électroniques inter-entreprises ?
Nous offrons à nos clients une gamme de services pour la gestion de données pour les entreprises. Avec notre filiale Seres, nous avons développé un EDI (Echange de Données Informatisé) qui est aujourd'hui utilisé par plus de 4.000 clients. Nous avons aussi créé en matière d'échange électronique et de courrier électronique une filiale regroupant les compétences de Steria et de Somepost Informatique. Aujourd'hui, sur les échanges de documents sécurisés, nous travaillons beaucoup avec Steria et avec Atos. Notre cible dans ce domaine, c'est clairement les grands comptes de la cible professionnelle.

Vous êtes également présent sur la sécurisation des échanges…
Oui, c'est le deuxième élément de notre stratégie dans ce domaine, avec la filiale que nous avons créée avec Sagem et baptisée CertiNomis. Il s'agit de la première autorité de certification créée en France. Nous avons commencé par la télé-déclaration pour les impôts, la TVA etc. Et puis nous avons parallèlement développé un produit de traitement des échanges de factures entre les grandes entreprises et leurs fournisseurs. Il s'agit de Post@xess, un produit intégré dont la clientèle est exclusivement composée de grands comptes. Enfin, nous sommes également partenaires d'autres services de sécurisation au travers de nos services financiers. En matière de certification et de sécurisation de paiement, nous sommes à la fois fournisseur de services et utilisateurs de dispositifs concurrents.

Quelles sont vos principales actions à destination du grand public ?
S'agissant du grand public, nous entendons être un grand gestionnaire d'adresses électroniques sécurisées, pérennes et gratuites. Ceci permettra à chaque Français de disposer d'une adresse postale électronique " labelisée " par La Poste. En offrant un tel service, nous pouvons fidéliser les grands émetteurs de courrier à moyen terme en leur permettant de passer progressivement de l'émission de courriers physiques à l'émission de courriers électroniques, grâce à la gestion des fichiers électroniques, que nous assurons pour leur compte.

Votre opération d'adresse électronique pour chaque lycéen est-elle une réussite ?
Nous avons lancé cela à la rentrée 2000. Le bilan est encore mitigé parce que nous sommes en phase de développement.

Où en est votre projet de La Poste FAI ?
Ce n'est pas véritablement un projet. A ce stade, nous analysons le marché et le modèle économique des FAI. Nous souhaitons utiliser l'expérience déjà acquise par d'autres dans ce domaine, car il faut avancer vite et optimiser le levier financier que peuvent nous apporter des partenaires. C'est pourquoi nous développons nos filiales en partenariat avec d'autres sociétés et groupes. Nous ne pourrons pas nous contenter d'être un simple fournisseur d'adresses électroniques, a fortiori si elles sont gratuites. En offrant un accès électronique à tous les Français, nous renouvelons et modernisons nos missions d'intérêt général traditionnelles. C'est ce que nous avons déjà entrepris en mettant un millier de bornes d'accès dans les bureaux de poste.

Que devient votre projet d'investissement privé pour vos activités internet ?
Nous étudions effectivement un projet de société de capital risque qui vise à associer des investisseurs tiers, privés ou non privés. Nous recherchons des investisseurs qui cherchent à investir leur fonds à risque dans le financement de projets sur Internet et sur les nouvelles technologies dans le cadre du groupe La Poste. Nous préparons un tour de table et cela prend évidemment du temps. Nous sommes sur une échéance de quelques mois. Ce qui attire les partenaires potentiels, c'est à la fois la puissance du groupe, la marque La Poste et la réalité de notre développement dans les NTIC. Depuis le début de l'année, 100 millions de pages ont été vues par des internautes sur nos sites. Nous avons diffusé un demi-million d'adresses électroniques (pour moitié sur Laposte.fr et pour moitié sur Illiclic) et 100.000 personnes utilisent régulièrement nos bornes cyberposte. Mais un tel développement nécessite un financement significatif.

Envisagez-vous de fusionner vos sites Illiclic et Laposte.net ?
Nous offrons trois grands points d'accès aux internautes : Illiclic, Laposte.fr et Lapostefinance.fr. Ce dernier site est clairement destiné à la clientèle de nos services financiers. Nous n'avons pas besoin de faire de la prospection commerciale massive sur le net pour des services financiers, comme le font certaines banques virtuelles, parce que nous gérons déjà 49 millions de comptes pour 28 millions de clients. Illiclic lui, est un portail généraliste dans lequel nous offrons toutes sortes de services qui ne sont pas postaux. Et nous n'envisageons pas de fusionner ce portail avec Laposte.fr, car nous tenons à garder notre marque sur le net. Il n'y a pas beaucoup de redondances entre les deux sites parce les internautes viennent sur Illiclic pour y trouver les services d'un portail généraliste alors qu'ils viennent sur Laposte.fr pour chercher des services postaux. Donc les deux sites n'ont pas la même cible. .

Mais où se situe votre légitimité à créer un portail généraliste alors que vous mettez surtout en avant le courrier sous toutes ses formes comme moteur de vos activités sur le web ?
Nous ne pouvons pas vouloir faire du commerce électronique, faire du courrier électronique, développer du service de sécurisation, etc. si on n'a pas un lieu, un portail, sur lequel nous pouvons faire venir les clients. A partir du moment où nous sommes un opérateur de courrier électronique majeur, nous sommes tenus d'avoir un portail.



Martin Vial, 45 ans, est président du groupe La Poste depuis le 19 décembre 2000. Diplômé de l'ESSEC en 1977 et de l'ENSPTT en 1982, il est nommé administrateur des PTT en 1982. Martin Vial a commencé sa carrière à la direction financière de la direction générale des Postes. Détaché en 1986 à la direction du Trésor au ministère de l'Economie et des Finances, il y exerce les fonctions d'adjoint du chef du bureau des banques et compagnies financières natioanles, chargé de la tutelle des établissements bancaires. En 1988, il est appelé comme conseiller technique au cabinet du ministre des Postes et Télécommunications et de l'Espace, dont il devient directeur-adjoint en février 1991. En mai 1991, il rejoint le ministère de l'Equipement, du Logement, des Transports et de l'Espace en qualité de directeur-adjoint puis de directeur du cabinet du ministre. Il revient en 1992 au ministère des PTT où il est nommé directeur du cabinet du ministre. En mars 1993, Martin Vial est nommé PDG de l'Aéropostale, fonctions qu'il exerce jusqu'en novembre 1997. Il devient alors directeur général du groupe La Poste.

Martin Vial est également l'auteur de "La lettre et la toile" (Albin Michel, 2000), un ouvrage consacré à l'analyse de la Net économie et du développement d'Internet.



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