JDNet. Quelle est
la stratégie de La Poste face à Internet ?
Martin Vial.
Internet constitue à la fois une formidable opportunité de développement
et un défi. En effet, comment allons-nous passer de la distribution du
courrier physique au courrier électronique ? Il faut savoir que 90% du
courrier est émis par les entreprises et la moitié de ce trafic est constitué
par des envois en masse : facturation, relevé de comptes, prospection
commerciale, etc. Le courrier électronique va se substituer à une partie
de ce courrier industriel.
A
quel horizon ?
La mutation sera progressive
et se fera par paliers. Par exemple, la dématérialisation de la TVA et
des déclarations fiscales des entreprises, qui commence à s'engager, se
fait par paliers : cela commence par les très grosses entreprises qui,
une fois qu'elles seront rentrées dans ce dispositif, vont entraîner tous
leurs sous-traitants pour des raisons d'homogénéité du système. Autre
exemple, les déclarations de l'Urssaf vont, elles aussi, favoriser le
passage à la dématérialisation des correspondances échangées. Surtout,
les grandes entreprises qui consacrent à la facturation de leurs clients
des budgets importants commencent elles aussi à raisonner en ce sens pour
abaisser leurs coûts. Elles dématérialisent en premier lieu leurs flux
vers les entreprises, avant les particuliers qui ne possèdent pas encore
les systèmes de réception. La Poste entend accompagner cette révolution
comme l'opérateur principal du courrier sous toutes ses formes. Il faut
savoir que pour La Poste, la facturation susceptible de faire l'objet
d'une substitution électronique génère un revenu situé entre 8 et 10 milliards
de francs.
Votre
volonté d'accompagner la dématérialisation du courrier est-elle coordonnée
au niveau européen ?
Le projet international
sur lequel nous avons commencé à travailler est un projet de courrier
électronique international avec la poste canadienne. Ce projet a été lancé
il y a un peu plus d'un an. Mais sa mise en uvre est assez lourde et
nous sommes encore au stade des études préalables. En revanche, en ce
qui concerne le courrier hybride, c'est-à-dire la transformation d'un
fichier électronique en courrier physique, nous avons créé une société
commune avec plusieurs postes européennes il y a quelques années. Nous
sommes, par ailleurs, l'un des premiers opérateurs français de gestion
de documents et d'éditique avec notre nouvelle filiale Aspheria, née du
mariage de Datapost et de Mikros.
Comment
réagissez-vous face au commerce électronique ?
Le commerce électronique
est pour nous un axe majeur de développement. Mais il faut savoir que
la pratique de l'achat à distance est beaucoup plus faible en France qu'en
Allemagne ou aux Etats-Unis. Le déploiement du commerce électronique physique
prendra du temps. Mais aujourd'hui, les grandes entreprises française
sont dans une phase de création de sites associés à leurs marques quasi
systématique. Donc je pense que toutes les entreprises vendront sur le
net à horizon de 4-5 ans. Il ne faut pas en douter et c'est la raison
pour laquelle La Poste est présente sur le créneau.
Qu'offre concrètement La Poste aux entreprises en terme de commerce électronique
?
Nous avons deux types
d'offres : pour les grands vendeurs sur le Net, d'une part, et pour les
PME d'autre part. En ce qui concerne les leaders du commerce électronique
français (Alapage, Fnac.com, Amazon.fr
), nous sommes leur prestataire
logistique et transport. Et ils nous utilisent d'autant plus qu'en matière
de tracking, Chronopost a très rapidement mis au point des dispositifs
d'interconnexion entre les systèmes d'information du logisticien avec
ceux du vendeur. Par ailleurs, La Poste a investi fortement ces deux dernières
années dans le secteur du colis, par acquisitions en Europe et par alliances :
nous avons signé un accord avec FedEx l'année dernière. FedEx utilise
notre réseau français et européen (une quinzaine de pays) pour la distribution
de ses colis tandis que nous utilisons leur réseau aérien international
pour toutes nos livraisons hors-Europe ou dans les zones européennes où
nous ne sommes pas encore. Nous sommes ainsi devenus le troisième groupe
européen sur le marché du colis.
Et
pour les PME ?
Nous avons créé pour
elles une filiale nommée Esipost.
Notre analyse, c'est que les toutes petites et moyennes entreprises n'ont
en général pas les moyens ou pas encore la ressource de développer elles-mêmes
des sites performants et surtout pour pouvoir faire l'intégration de services.
Esipost, propose aux clients non seulement la création et la gestion du
site mais aussi bien sûr tout le dispositif et la sécurisation du paiement.
Les sites sont hébergés actuellement par Wanadoo. En amont, nous leur
proposons du conseil et de la prestation de marketing direct (en collaboration
avec notre autre filiale Maileva, qui permet d'envoyer du courrier physique
à partir d'un ordinateur connecté) et, en aval, nous assurons bien évidemment
le transport et la logistique. Notre objectif est de répondre à un besoin
qui se situe à la fois au niveau de la compétence et de l'intégration
de services. Les services sont proposés véritablement sur mesure pour
les entreprises qui le souhaitent, pour un montant de quelques dizaines
de milliers de francs en moyenne.
Sur
le plan technologique, quels dispositifs avez-vous mis au point pour faciliter
les échanges électroniques inter-entreprises ?
Nous offrons à nos
clients une gamme de services pour la gestion de données pour les entreprises.
Avec notre filiale Seres, nous avons développé un EDI (Echange de Données
Informatisé) qui est aujourd'hui utilisé par plus de 4.000 clients.
Nous avons aussi créé en matière d'échange électronique et de courrier
électronique une filiale regroupant les compétences de Steria et de Somepost
Informatique. Aujourd'hui, sur les échanges de documents sécurisés, nous
travaillons beaucoup avec Steria et avec Atos.
Notre cible dans ce domaine, c'est clairement les grands comptes de la
cible professionnelle.
Vous
êtes également présent sur la sécurisation des échanges
Oui, c'est le deuxième
élément de notre stratégie dans ce domaine, avec la filiale que nous avons
créée avec Sagem et baptisée CertiNomis. Il s'agit de la première autorité
de certification créée en France. Nous avons commencé par la télé-déclaration
pour les impôts, la TVA etc. Et puis nous avons parallèlement développé
un produit de traitement des échanges de factures entre les grandes entreprises
et leurs fournisseurs. Il s'agit de Post@xess, un produit intégré dont
la clientèle est exclusivement composée de grands comptes. Enfin,
nous sommes également partenaires d'autres services de sécurisation au
travers de nos services financiers. En matière de certification et de
sécurisation de paiement, nous sommes à la fois fournisseur de services
et utilisateurs de dispositifs concurrents.
Quelles
sont vos principales actions à destination du grand public ?
S'agissant du grand
public, nous entendons être un grand gestionnaire d'adresses électroniques
sécurisées, pérennes et gratuites. Ceci permettra à chaque Français de
disposer d'une adresse postale électronique " labelisée " par La Poste.
En offrant un tel service, nous pouvons fidéliser les grands émetteurs
de courrier à moyen terme en leur permettant de passer progressivement
de l'émission de courriers physiques à l'émission de courriers électroniques,
grâce à la gestion des fichiers électroniques, que nous assurons pour
leur compte.
Votre
opération d'adresse électronique pour chaque lycéen est-elle une réussite ?
Nous avons lancé cela
à la rentrée 2000. Le bilan est encore mitigé parce que nous sommes en
phase de développement.
Où
en est votre projet de La Poste FAI ?
Ce n'est pas véritablement
un projet. A ce stade, nous analysons le marché et le modèle économique
des FAI. Nous souhaitons utiliser l'expérience déjà acquise par d'autres
dans ce domaine, car il faut avancer vite et optimiser le levier financier
que peuvent nous apporter des partenaires. C'est pourquoi nous développons
nos filiales en partenariat avec d'autres sociétés et groupes. Nous ne
pourrons pas nous contenter d'être un simple fournisseur d'adresses électroniques,
a fortiori si elles sont gratuites. En offrant un accès électronique à
tous les Français, nous renouvelons et modernisons nos missions d'intérêt
général traditionnelles. C'est ce que nous avons déjà entrepris en mettant
un millier de bornes d'accès dans les bureaux de poste.
Que
devient votre projet d'investissement privé pour vos activités internet ?
Nous étudions effectivement
un projet de société de capital risque qui vise à associer des investisseurs
tiers, privés ou non privés. Nous recherchons des investisseurs qui cherchent
à investir leur fonds à risque dans le financement de projets sur Internet
et sur les nouvelles technologies dans le cadre du groupe La Poste. Nous
préparons un tour de table et cela prend évidemment du temps. Nous sommes
sur une échéance de quelques mois. Ce qui attire les partenaires potentiels,
c'est à la fois la puissance du groupe, la marque La Poste et la réalité
de notre développement dans les NTIC. Depuis le début de l'année, 100
millions de pages ont été vues par des internautes sur nos sites. Nous
avons diffusé un demi-million d'adresses électroniques (pour moitié sur
Laposte.fr et pour moitié sur Illiclic) et 100.000 personnes utilisent
régulièrement nos bornes cyberposte. Mais un tel développement nécessite
un financement significatif.
Envisagez-vous
de fusionner vos sites Illiclic et Laposte.net ?
Nous offrons trois
grands points d'accès aux internautes : Illiclic, Laposte.fr et Lapostefinance.fr.
Ce dernier site est clairement destiné à la clientèle de nos services
financiers. Nous n'avons pas besoin de faire de la prospection commerciale
massive sur le net pour des services financiers, comme le font certaines
banques virtuelles, parce que nous gérons déjà 49 millions de comptes
pour 28 millions de clients. Illiclic lui, est un portail généraliste
dans lequel nous offrons toutes sortes de services qui ne sont pas postaux.
Et nous n'envisageons pas de fusionner ce portail avec Laposte.fr, car
nous tenons à garder notre marque sur le net. Il n'y a pas beaucoup de
redondances entre les deux sites parce les internautes viennent sur Illiclic
pour y trouver les services d'un portail généraliste alors qu'ils viennent
sur Laposte.fr pour chercher des services postaux. Donc les deux sites
n'ont pas la même cible. .
Mais
où se situe votre légitimité à créer un portail généraliste alors que
vous mettez surtout en avant le courrier sous toutes ses formes comme
moteur de vos activités sur le web ?
Nous ne pouvons pas
vouloir faire du commerce électronique, faire du courrier électronique,
développer du service de sécurisation, etc. si on n'a pas un lieu, un
portail, sur lequel nous pouvons faire venir les clients. A partir du
moment où nous sommes un opérateur de courrier électronique majeur, nous
sommes tenus d'avoir un portail.