Jean-Michel Yolin (Minefi) : 
"Internet doit devenir le système nerveux des PME"

Par le Journal du Net (Benchmark Group)
URL : http://www.journaldunet.com/itws/it_yolin.shtml
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11 février 2004

Jean-Michel Yolin vient de procéder à la huitième mise à jour de son rapport "Internet et Entreprise, mirages et opportunités ?", publié pour la première fois en 1997. Il en ressort qu'Internet n'est ni du contenu, ni du contenant mais un outil de réseau potentiellement très utile à la productivité des entreprises. En outre, Jean-Michel Yolin souligne l'utilité d'Internet pour la modernisation des administrations. Mais ce constat s'accompagne également d'une inquiétude face au retard pris par la France et ses PME dans l'adoption d'Internet.


Propos recueillis par Philippe Guerrier le 11/02/2004


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JDN. Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de réactualiser votre rapport sur les PME et Internet ?
Jean-Michel Yolin. A l'origine, c'est un rapport que j'ai réalisé en 1996 sur commande de Franck Borotra, qui était ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications sous le gouvernement d'Alain Juppé II. A l'époque, les débats autour des enjeux Internet appliqués aux PME-PMI débutaient en France. Mon rapport avait pour objectif d'éclaircir l'action du gouvernement dans ce domaine. Aujourd'hui, nous sommes dans une autre problématique.

De quelles manières les entreprises peuvent tirer parti des nouvelles technologies ?

Le principal intérêt se situe dans les relations interentreprises. En ce qui concerne les grands groupes, le développement de standards techniques et de protocoles d'échanges de données hétérogènes ont favorisé ce mouvement. Nous sommes passés d'une approche "ponts-et-chaussées" avec des schémas directeurs bien cadrés à une vision plus biologique avec des développements permanents.

Auriez-vous un exemple concret pour illustrer cette "vision biologique" ?
Dans le domaine de l'aéronautique, nous observons un phénomène de grappes d'entreprises avec un recours important à l'externalisation des prestations. Il arrive que la sous-traitance soit poussée jusqu'au quatrième niveau. Confrontée à des soucis de réduction des coûts de production et de délais de conception, l'industrie aéronautique réfléchit au moyen d'intégrer les sous-traitants dans un mode "cluster". C'est l'une des principales problématiques du programme BoostAero et de sa composante e-PME. Le vice-président de Boeing, en charge de la stratégie des systèmes d'information, a l'habitude de dire que, dans la conception d'un avion, il y a 80 % d'info-management et 20 % de produits physiques. C'est sur le premier volet que l'on peut obtenir des gains de productivité, notamment en maîtrisant les nouvelles technologies. Après une première véritable impulsion en décembre, le Groupement des Industries Françaises Aéronautiques et Spatiales (Gifas) devrait aboutir à une harmonisation des standards dans le courant de l'année, quitte à adopter les modèles américains.

Quels grands groupes français ont donné l'impulsion dans ce domaine ?
En 1999, la banque d'affaires Morgan Stanley estimait qu'Usinor était le groupe industriel qui avait intégré au mieux les enjeux Internet. A l'époque, Francis Mer était aux commandes de l'entreprise. Il considérait que la moitié du capital d'Usinor passait son temps à rouiller à travers le système d'organisation clients-fournisseurs et les outils de production. L'enjeu majeur pour le groupe n'était pas la création d'un site web ou de faire du commerce électronique, il s'agissait surtout de restructurer l'ensemble de la chaîne clients-fournisseurs pour être capable de vendre des solutions en acier dans une logique de fabrication sans stock. Autre exemple : Renault a également donné le ton en nommant Jean-Pierre Corniou à la tête de sa direction des systèmes d'information. Celui-ci n'a pas de profil d'ingénieur ou d'informaticien. Le groupe automobile a choisi un représentant du comité exécutif pour qu'il prenne la main sur l'organisation et le fonctionnement de l'entreprise. Le système de gestion des conseils d'administration des filiales du groupe et leur interconnexion est intéressant d'un point de vue gouvernance d'entreprise. Un autre exemple encore : la Snecma est efficace dans ses relations e-business avec General Electric et dans son process de services après-vente.

Quel bilan dressez-vous de l'état de la compétitivité numérique des PME en France ?
Le paysage des PME en France est très hétérogène mais elles ont en point commun une grande marge de progrès à réaliser dans le domaine des nouvelles technologies. Je pense que cela est dû à des différences d'approche culturelle. J'estime que la fracture se situe entre les pays de culture latine, basés sur un système hiérarchique, et les pays de culture anglo-saxonne, très orientés réseaux. Une récente étude de l'OCDE montre que la France est placée numéro quatre mondial pour la qualité de ses ingénieurs, ce qui est une place relativement honorable. Mais elle occupe la dix-neuvième place pour la capacité de ses structures à s'adapter à la nouvelle approche de l'Internet. Un score d'autant moins brillant que l'OCDE comprend vingt-cinq pays membres. Inéluctablement, la France va s'adapter à l'économie de réseaux, mais cela se fera sous la contrainte, pour faire face à la concurrence.

Quels conseils donneriez-vous aux PME qui souhaitent tirer des avantages des outils Internet ?
La messagerie électronique est indispensable. Ensuite, Il faut un diagnostic personnalisé - avec un oeil extérieur
si possible - pour régler le curseur des vrais enjeux de l'Internet. Les entrepreneurs ne doivent pas se laisser aveugler par des recettes de cuisine sur les nouvelles technologies que vendent les opérateurs et les prestataires. Les PME-PMI ont trop tendance à croire que l'usage de l'Internet se résume à la création d'un site Internet vitrine ou au commerce électronique BtoC.

Estimez-vous que la communication des pouvoirs publics pour sensibiliser les PME aux nouvelles technologies soit efficace ?
Non. Mais je ne suis pas sûr que la communication institutionnelle soit la meilleure façon pour appréhender les enjeux. La création d'un guichet unique poserait des soucis de légitimité. Seul le travail de terrain marche à travers les administrations locales, les chambres de métiers, de commerce ou d'agriculture. Ces relais locaux, proches des entreprises, doivent prendre conscience de la nécessité
d'intégrer les outils Internet pour développer la compétitivité. Ils peuvent s'appuyer sur des exemples de réussites par secteurs d'activités.

Cela reste compliqué, non ?
Il faut être pragmatique : en juillet 2003, nous avons créé le réseau R@cines de diffusion des technologies de l'information dans les PME. Il a vocation à servir de tronc commun pour les échanges d'information entre les différents réseaux partenaires (Acfi, Drire, réseau l'Echangeur…) déployés sur le terrain. Autre exemple concret : en avril 2003, le programme e-PME a été lancé sous l'impulsion conjointe des donneurs d'ordre aéronautiques (Dassault, Thalès, Snecma,…), des régions (collectivités locales, Drire, CCI, Chambres syndicales, réseau R@cine, etc.) et de l'Afnet (Association Française des Utilisateurs du Net) animée par Pierre Faure, Directeur e-business de Dassault Aviation.


Selon le député Jean-Pierre Charié qui a écrit un rapport sur la compétitivité numérique des PME, l'Etat accorde 100 millions d'euros pour développer l'usage des nouvelles technologies au sein des entreprises. Pensez-vous que cela soit efficace ?
Je n'en suis pas convaincu. Le fond du sujet n'est pas lié à l'argent ou aux programmes de subventions. Il faut que les entreprises prennent conscience qu'en investissant 1, elles voient un retour 10 dans l'année, ne serait-ce que sur les économies engendrées. De manière basique, l'usage de la messagerie électronique permet déjà d'aboutir à des économies.

Quel est votre site d'information favori ?
Le moteur de recherche Google. L'outil Kartoo est également intéressant d'un point de vue relationnel.

Quel est votre e-service public favori ?
Les portails Adminet.fr et service-public.fr.

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Comment utilisez-vous votre site personnel Yolin.Net ?
Je l'ai mis en ligne en 1996. Il m'a servi de journal de bord lors de l'élaboration du rapport initial sur les PME et Internet. C'est un outil d'action qui m'a permis de mettre à disposition des internautes des rapports d'étapes avant la version définitive. Je continue à le tenir à jour chaque semaine. Le développement des outils collaboratifs type Wiki m'intéresse beaucoup également.


Jean-Michel Yolin, ancien élève de l'Ecole Polytechnique (promotion 1965) et de l'Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris (promotion 1968), est ingénieur général des mines. Au sein du Conseil général des Mines, il préside la section innovations, développements économiques , enseignements et recherches rattachée au ministère de l'Economie et des Finances. Jean-Michel Yolin a débuté sa carrière en région, d'abord au service des mines, puis comme chargé de mission auprès du Préfet de région du Nord-Pas-de-Calais. De 1982 à 1986, il est directeur de la chimie, du textile et des industries diverses au ministère de l'industrie. De 1986 à 1992, il occupe les fonctions de Directeur régional de l'Industrie, de la Recherche et de l'Environnement d'Ile-de-France et Inspecteur Général des Carrières de la Ville de Paris. De 1992 à 1996, il est appelé au ministère de la Recherche et de la Technologie comme directeur de l'Innovation de la Technologie et de l'Action Régionale. Il rejoint le Conseil Général des Mines (CGM) en mai 1996, où il est chargé de nombreuses missions intéressant le développement industriel, l'enseignement supérieur et l'innovation. Il préside la nouvelle section "innovation et entreprises" commune au CGM et au Conseil Général des Technologies de l'Information en s'investissant tout particulièrement dans les questions posées par l'irruption des NTIC dans l'économie. Jean-Michel Yolin est également administrateur de l'Issoc, de l'Afuu, de l'AFTT et du Club de l'Arche.