Les enjeux juridiques du jeu vidéo
Par le Journal du Net (Benchmark Group)
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Mardi 10 février 2004


par Marc d'Haultfoeuille
Avocat à la Cour,
Clifford Chance
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Le régime juridique
de l'annuaire universel

(06/01/04)

Dans la continuité du plan annoncé en avril 2003 par Jean-Pierre Raffarin, le rapport de Fabrice Fries, Conseiller référendaire à la Cour des comptes, intitulé "Propositions pour développer l'industrie du jeu vidéo en France" est une étape importante dans le secteur des jeux vidéo (Lire l'article du JDN du 28/01/04). Pour mémoire, ce rapport fait cinq propositions: mettre en place un fonds de production, attirer l'investissement via un crédit d'impôt de 20 % sur les dépenses de développement réalisées en France, inscrire le jeu vidéo dans les dispositifs existants d'aide à la recherche et à l'innovation, favoriser le financement du coût de fabrication des jeux sur consoles, impliquer les acteurs de l'industrie dans le débat sur les contrats de projet.

Cette étape ne doit pas faire oublier que le jeu vidéo ne bénéficie pas aujourd'hui d'une législation spécifique ou de dispositions particulières. Les débats sur son régime juridique et sa protection ont été vifs et ne sont toujours pas clos. A l'heure actuelle, il n'existe qu'une certitude : le jeu vidéo est une œuvre de l'esprit et est ainsi protégeable par le droit d'auteur (Cass. Ass.Plén., 7 mers 1986, Atari Inc. c/Valadon, et Cass. Ass. Plén., 7 mars 1986, Willimas Electronics Inc. c/Claudie T. et Sté Jeutel).

Dans la mesure où le jeu vidéo intègre à la fois des créations logicielle, graphique et sonore répondant de manière interactive aux manipulations du joueur, il s'agit d'une œuvre complexe. Or, le droit français n'a prévu de régime spécifique que pour chacune des composantes, envisagée séparément. La complexité de la qualification juridique du jeu vidéo est donc à la hauteur de sa nature.

1 - Les débats sur la qualification juridique
La qualification d'œuvre audiovisuelle a été soutenue pour les jeux vidéo. En droit français, cette qualification est définie de manière stricte: il s'agit "d'une séquence animée de sons et d'images" (art L112-2 6 du Code de la propriété intellectuelle - CPI). Mais l'interactivité propre au jeu vidéo semble y faire obstacle. Selon la Cour de cassation, un jeu vidéo, par son interactivité, offre non des séquences animées d'images, mais plutôt des séquences fixes d'images animées (C.Cass. 18 janv 2003, pourvoi n°00 20 294).

La qualification de base de données, c'est-à-dire "un recueil d'œuvres, de données ou d'autres éléments indépendants disposés de manière systématique ou méthodique et individuellement accessibles par des moyens informatiques ou d'une autre manière" (art L112-3 du CPI) a été également soulevée. En outre, le droit sui generis attaché à cette qualification permet de protéger le contenu de la base contre l'extraction ou la réutilisation substantielle par un tiers non autorisé. Pour autant, même si cette composante est indéniablement présente, définir un jeu vidéo comme une simple base de données témoigne d'une vision réductrice.

La jurisprudence et la doctrine ont donc mis l'accent sur la composante logicielle. Ainsi, la Cour de cassation, considère que l'interactivité assurée par le logiciel est la caractéristique majeure du jeu, faisant du logiciel l'élément primordial du jeu vidéo (Aff. Midway, C.Cass. 21 juin 2000). Il a été également précisé que "la programmation informatique du jeu électronique est indissociable de la combinaison des sons et des images formant les différentes phases du jeu".

Dans un tel contexte, certains juristes optent pour une qualification distributive du jeu vidéo, qui entraîne un dépeçage de l'ensemble de ses diverses composantes. Cependant, une telle conception peut être difficile à mettre en pratique, car il n'est pas toujours aisé de distinguer les composantes entre elles. Il semble au contraire que le jeu vidéo doit être apprécié dans sa globalité. La qualification unitaire permet ainsi de ranger le jeu vidéo parmi la catégorie juridique prépondérante, en l'occurrence celle d'œuvre logicielle. En effet, le jeu vidéo devrait être perçu comme un logiciel mettant en action différentes données, et créant ainsi un environnement graphique et sonore animé. Aucune distinction ne peut être opérée entre le programme au sein du jeu, et les effets animés visibles à l'écran.

2 - Les débats sur les titulaires des droits
Les acteurs de cette industrie sont nombreux et divers : scénaristes, game designers, illustrateurs, programmateurs, infographistes, musiciens, testeurs, studios, distributeurs ...

De ce fait, un débat est né sur la nécessité de favoriser soit l'œuvre de collaboration soit l'œuvre collective (art L. 113-2 du CPI). Un jeu est une oeuvre de collaboration, lorsque les différentes personnes physiques réalisent leur part de création (image, musique, animation …), parfaitement identifiables, et finalisent le jeu en se consultant les uns avec les autres. Cette qualification confère une co-titularité aux différents auteurs du jeu. L'œuvre collective, en revanche, est une œuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom. Dans ce cas, il n'est plus possible de déterminer la part de contribution de chacun des auteurs et la titularité des droits est attribuée à celui qui l'exploite (une société). Selon le contexte de création, l'un ou l'autre des régimes sera applicable.

3 - Les nouveaux débats
Deux sujets sont aujourd'hui naissants. Le premier vise la fameuse exception de copie privée et sa taxe attachée. Cependant, au vu des dernières consultations avec certains représentants du secteur, elle ne serait pas mise en œuvre pour les jeux vidéo.

Le second concerne le filtrage des contenus mis en ligne. En effet, selon le projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique (LEN), les fournisseurs d'accès à Internet (FAI) et les hébergeurs devraient mettre en place un dispositif permettant de contrôler les contenus. Dans un objectif de protection des mineurs et afin d'éviter une mise en cause de leur responsabilité, ils pourraient par conséquent limiter voir exclure certains types de jeux vidéo téléchargeables ou accessibles en ligne qui ne seraient pas jugés tout public.

A l'heure où l'industrie française du jeu vidéo doit être soutenue, il est donc opportun de clarifier enfin les débats. Les Commissions mixtes qui ont été mises en place ont donc toute leur importance.

[Marc.dHaultfoeuille@CliffordChance.com]

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[Rédaction, JDNet]