"La banquise estivale aura totalement disparu dans 10 ans"

Le bateau Tara s'est laissé prendre et dériver dans les glaces de l'Océan Arctique. L'objectif ? Observer les impacts du réchauffement climatique sur la banquise. Retour sur ce voyage scientifique avec l'un de ses instigateurs, Christian de Marliave.

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La bateau Tara prisonnier des glaces. © Tara Arctic

L'équipage a-t-il rencontré des difficultés pendant l'expédition ?

Christian de Marliave : Il y a eu quelques frayeurs. Plusieurs dépressions se sont produites et des blocs énormes de glace entraient en collision avec la coque du bateau. Heureusement, il a tenu le coup ; il était conçu de manière à résister à de fortes pressions mécaniques. Le bateau est bien plus sûr que les bases dérivantes car si la glace se fissure, on ne craint rien.

Le plus dur pour l'équipage a été la nuit polaire. Elle a duré près de 147 jours et c'est éprouvant sur le plan psychologique. Mais une excellente ambiance régnait entre les membres de l'expédition.

Comment expliquez-vous une telle rapidité de la dérive du bateau ?

Tout le monde a été étonné ! Le bateau a parcouru 4 000 kilomètres en un an et demi (deux ans étaient prévus). La glace est très mobile à cause des vents ; les courants ont un impact négligeable. Cette vitesse de dérive est donc due à un régime dépressionnaire présent au-dessus de l'Arctique. Plus les vents soufflent, plus la glace bouge et moins elle a de temps pour se former et surtout s'épaissir. A terme, entre cette vitesse de déplacement et le fort pouvoir absorbant en rayonnement thermique de l'océan, la banquise disparaîtra, en été, d'ici 10 ans.

Pourquoi avoir monté une telle expédition ?

L'Arctique est un immense océan qui subit, depuis près de quinze ans, de gros changements. La communauté scientifique manque cruellement de données sur l'épaisseur de la banquise, les interactions océans, glace et atmosphère. Pour y remédier, nous avons lancé cette nouvelle expédition ; elle entre dans le programme européen Damoclès qui regroupe 10 pays, y compris les Etats-Unis et la Russie, et près de 45 laboratoires.

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Le ballon permet de mesurer la température, la direction et la force des vents. © Tara Arctic

Quels sont les objectifs de Tara Arctic 2007-2008 ?

Elle permet d'observer, de comprendre et surtout de quantifier les changements qui s'opèrent sur l'Arctique. En effectuant des mesures sous l'eau, dans l'atmosphère et sur la glace, nous pouvons ensuite déterminé des modèles de simulations capables de calculer l'évolution de cette banquise au cours du temps.

Quelles expériences l'équipage de Tara a-t-il mené pendant plus d'un an et demi ?

Il y en a plusieurs. Nous nous sommes d'abord intéressés à l'atmosphère car les études russes sur l'Arctique ne se sont pas penchées dessus. Nous avons utilisé un ballon gonflé d'hélium pour mesurer la température, la direction et la force des vents. Il pouvait monter jusqu'à 2 000 mètres d'altitude.

Des sondes ont été plongées dans l'eau pour également mesurer la température et la salinité de la colonne d'eau de la surface jusqu'au fond, ce que sont incapables de faire les satellites.

Sur le bateau, des capteurs enregistraient l'ozone de surface et des radiomètres estimaient l'albédo de l'Arctique (rapport entre la quantité de lumière perçue par la glace et celle renvoyée). 

Des sismographes étaient placés tout autour du bateau, dans un rayon de quatre kilomètres. Ils relevaient les mouvements de la banquise : craquements, fissures...

Quels constats ont d'ores et déjà été faits pendant l'expédition ?

Les scientifiques ont observé une disparition totale de l'ozone de surface en été, à ne pas confondre avec la couche d'ozone stratosphérique. Ils ont ensuite compris que le mercure contenu dans la glace, sous l'effet du rayonnement thermique, éliminait cet ozone.

Les crêtes de pression résultant de la rencontre de plaques de glace (un peu comme les plaques tectoniques) ont diminué de hauteur. Elles font en moyenne 5 mètres.

L'équipage a connu 50 jours de températures positives ce qui est du jamais vu ces dix dernières années.

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Visite d'un ours polaire et de ses petits. © Tara Arctic

Quelles sont les répercussions de cette fonte de la banquise en Arctique ?

La plus évidente est la disparition d'espèces. La flore et la faune sont menacées car leur habitat est en train de réduire comme peau de chagrin. L'ours polaire est le premier sur la liste des espèces en sursis.

Contrairement à ce qu'on attend de si de là, la fonte de la banquise ne va pas élever le niveau de l'eau ; elle va modifier la salinité puisqu'elle est constituée d'eau douce. Ce changement risque d'agir sur les courants marins. Ce qui serait inquiétant, c'est la fonte de la calotte glaciaire du Groenland car elle provoquerait une élévation de l'eau de 7 mètres si elle disparaissait entièrement. Mais ce scénario catastrophe n'est pas à l'ordre du jour.

La disparition de la banquise en été risque de générer des conflits géopolitiques entre plusieurs pays. De nombreuses ressources énergétiques fossiles sont emmagasinées dans le plateau continental. Il va donc y avoir des tensions pour savoir qui va pouvoir les exploiter (c'est d'ailleurs déjà le cas). Et puis, la disparition de la banquise va ouvrir de nouvelles voies de navigation et là, des conflits sont aussi à craindre.

Est-ce que Tara va repartir en mer pour de nouvelles expéditions ?

Oui, bien sûr. Pour 2008, le bateau va rester en calle sèche pour subir des réparations. Pendant ce temps, toute l'équipe communique auprès du grand public et des écoles sur l'expédition. En 2009, Tara reprendra le chemin des mers du globe ; deux projets sont déjà en discussion.

En savoir plus

Tara, voilier des glaces

Réchauffement climatique: ce qu'il faut retenir

Consulter

http://www.taraexpeditions.org/