31/01/01
Luc Terral, Atlantic Telecom: "La
valeur ajoutée des grands comptes bientôt pour
les PME."
Groupe
d'origine écossaise fondé en 1994, Atlantic
Telecom se définit comme opérateur de services
de télécommunications à l'attention des professionnels
indépendants et des PME-PMI en Europe. Créée en octobre
97, la filiale française compte aujourd'hui près
de 120 personnes et représente avec l'Allemagne environ
30 % du parc client européen. A l'échelle européenne,
le groupe a dévoilé en septembre 2000 un chiffre
d'affaires de 333 millions de francs environ, soit
près du triple par rapport à l'année
précédente. Commercialisés en direct
auprès des PME, ses services couvrent depuis l'accès
sec commuté ou permanent, jusqu'à l'hébergement
de messageries électroniques sécurisées
et de sites marchands réalisés en ligne. En
parallèle, l'opérateur apporte ses services
aux TPE et aux particuliers par le biais de sa filiale First:Telecom.
Positionné notamment sur le dégroupage de
la boucle locale en France, Atlantic Telecom prévoit
de lancer des services DSL dans ce cadre à partir
de l'été prochain. Une stratégie que
nous détaille le P-D.G. de la filiale française
Luc Terral, et qui se heurte pour l'instant à quelques
écueils.
JDNet Solutions : Qu'attendez-vous exactement du dégroupage
de la boucle locale ?
Luc Terral : Nous attendons la possibilité
d'offrir plus de services aux petites entreprises en s'appuyant
sur les nouvelles technologies. Le dégroupage nous
permet d'installer des modems DSL à haut débit
sur la boucle locale de l'abonné PME. De fait, nous
pouvons lui offrir les services existants sur un support
voix/données.
Nous allons donc fournir des accès permanents à
Internet jusqu'à 2,3 Mbps par accès,
qui est la vitesse maximum du SDSL (Symetric digital subscriber
line). Cette technologie est une variante d'ADSL (A pour
asymetric) qui présente des débits symétriques
et permet ainsi de supporter d'autres applications que la
navigation web et le téléchargement d'e-mails
et de fichiers. Il est important de pouvoir offrir de la
voix et des services associés à la voix tels
que les commutateurs de conférences téléphoniques
sur une ligne dégroupée.
En
quoi SDSL permet-il plus qu'ADSL de diffuser des données
en continu ?
C'est uniquement une question de vitesse
de modem. La ligne et la fréquence disponibles sont
utilisées soit équitablement dans les deux
sens, soit dans un sens avec plus de débit que dans
l'autre. Mais si l'on y gagne d'un côté, l'on
y perd de l'autre. Alors qu'ADSL peut présenter des
débits supérieurs jusqu'à 6 Mbps
dans un seul sens, SDSL fournit plus ou moins 2 Mbps
dans les deux sens. SDSL est la technologie que France Télécom
utilise pour la mise en place de Numéris et de liaisons
spécialisées.
Bientôt, il existera aussi des technologies de très
haut débit VDSL permettant des vitesses de plusieurs
dizaines de Mbps. Ces techniques sont actuellement dans
les labos et sont soumises à des tests.
D'accord
pour le SDSL. Mais n'allez-vous pas fournir aussi des accès
ADSL ?
Bien sûr. Cela ne nous empêche
pas d'offrir un accès ADSL à un client qui
n'aurait besoin que d'un débit asymétrique
pour télécharger des fichiers ou des e-mails.
Mais ADSL, tel qu'il est conçu, ne permet pas de
transférer de la voix sur DSL et d'établir
des réseaux virtuels entre plusieurs sites. Il s'agit
en fait d'une technologie résidentielle qui n'est
pas adaptée au fonctionnement des PMEs. De plus,
l'ADSL tel qu'il est commercialisé aujourd'hui par
France Télécom est limité à
son propre réseau qui n'offre pas de garantie de
service. Le débit n'est pas garanti et peut devenir
très faible par accès RTC.
Quelle
est actuellement l'étendue de vos réseaux
?
Pour l'instant, nous avons seulement
déployé 55 kilomètres sur Paris.
En Allemagne, où notre projet a un an d'avance, les
réseaux couvrent une dizaine de métropoles,
soit près de 331 répartiteurs Deutsche
Telekom qui sont équipés par Atlantic pour
offrir du DSL.
Quels
sont les freins au dégroupage auxquels vous vous
trouvez confrontés en France ?
Les répartiteurs seront hébergés
chez France Télécom qui en est le propriétaire.
L'architecture en vue du déploiement de notre réseau
est encore en cours de définition et de validation,
car les opérateurs alternatifs attendent toujours
les informations complémentaires nécessaires
à la conception de ces réseaux.
Par conséquent, nous sommes en attente d'informations
qui concernent en particulier la zone arrière des
répartiteurs. Si nous prenons en exemple une zone
de 100 000 abonnés, il faut savoir quelles
sont les zones de cuivre desservies par chaque répartiteur,
ce qui nous permet de qualifier notre intérêt
en terme de marché. En y appliquant des études
de géomarketing, nous pouvons savoir s'il existe
dans la zone des entreprises intéressées par
l'hébergement, et connecter un répartiteur.
Depuis
combien de temps attendez-vous ces informations ?
Nous attendons depuis plus de deux
mois. Après, il y a aussi d'autres informations inconnues
comme la disponibilité des répartiteurs et
les délais d'obtention, les coûts finaux et
toute une liste largement reprise par la presse. En leur
absence, ces informations rendent très difficile
le déploiement.
En fait, c'est une situation que nous avons déjà
connue dans le passé avec la libéralisation
du marché de la téléphonie. Le catalogue
pour l'interconnexion de l'offre aux opérateurs concurrents
n'a été rendu disponible pour l'année
qui venait que quelques jours avant la fin décembre.
Nous sommes donc encore dans une situation de monopole de
fait sur le dégroupage. Car pour l'instant, aucun
opérateur n'a eu accès à ces répartiteurs.
Cette situation devrait normalement évoluer en 2001
avec des contrats plus acceptables. Et alors, les opérateurs
pourront mettre en oeuvre leurs projets.
Du
coup, quand vos offres seront-elles effectives ?
Compte tenu de toute la série
d'incertitudes qui pèsent sur la mise en oeuvre effective
du dégroupage, les premières offres devraient
au mieux être commercialisées cet été.
Etes-vous
en concurrence avec la boucle locale radio ?
Nous ne sommes pas concurrents sur
le domaine professionnel des petites entreprises et indépendants.
En revanche, nous le sommes sur les segments des entreprises
moyennes et des grands comptes. Les coûts d'équipement
nécessaires pour l'exploitation d'accès radio
sont prohibitifs et pas intéressants pour un petit
compte. Les modems DSL sont beaucoup moins chers, et les
coûts vont encore baisser de 50 % sur les 18 prochains
mois, si l'on se base sur le marché américain.
Et
les coûts d'Internet par le classique réseau
téléphonique commuté (RTC) ?
Ce sont des technologies différentes.
Pour l'accès Internet par RTC, le gouvernement a
demandé à France Télécom une
offre illimitée. Si celle-ci est confirmée,
elle aura un impact sur le mode de fonctionnement et les
coûts d'accès, mais pas sur les coûts
de production et le matériel.
Ceci dit, un point fondamental est que le réseau
RTC a été conçu pour la téléphonie
et pas pour une connexion permanente et ininterrompue à
Internet. La problématique actuelle consiste à
créer un réseau purement données afin
de contourner le RTC général car ce dernier
n'est pas conçu pour supporter des débits
importants. Si toutes les entreprises sont connectées
ainsi, il y aura forcément des conséquences
en matière de qualité de la voix sur le réseau
France Télécom.
A long terme, chacun sait qu'avec les réseaux DSL,
il pourra transporter de la voix en plus des données,
et non l'inverse sur des réseaux voix trafiqués.
Mais le DSL en volume et en masse prendra plusieurs années
en fonction de la volonté de favoriser la pénétration
d'Internet au sens le plus large possible. De plus, Internet
illimité est une bonne chose pour le grand public,
mais pas forcément pour les professionnels et les
PMEs.
Quel
rôle jouent donc les technologies DSL au sein de votre
offre ?
Nous considérons que le DSL
vient se greffer comme une brique supplémentaire
aux offres existantes. Pour disposer d'un accès Internet
permanent, nous offrons un accès sur une liaison
spécialisée et demain nous offrirons le support
DSL avec la possibilité d'héberger des sites
en SDSL.
Nous devrions ainsi constater une forte évolution
du métier d'hébergeur. Les PMEs n'ont pas
forcément envie de mettre sur le tapis des ressources
pour disposer de salles conditionnées comprenant
la réfrigération et l'électricité.
Mais beaucoup d'opérateurs vont pouvoir offrir cet
hébergement avec un accès à haut débit.
Aujourd'hui, nous voyons surtout une montée de la
valeur ajoutée au dessus de l'hébergement.
Il y aura aussi des offres d'hébergement avec des
licences.
Demain, nous verrons également des opérateurs
se positionner uniquement sur le marché ASP. Et tout
ce que la technologie amène passe par la vulgarisation
vers un marché encore plus grand public. La valeur
ajoutée pour les grands comptes va devenir accessible
aux PMEs de 10 personnes qui ne sont pas spécialistes
d'Internet.
Vous
nous faites rêver ! Par quel miracle cela sera-t-il
possible ?
Simplement par le processus normal
de l'abaissement des coûts liés aux technologies.
Aujourd'hui, il faut payer notamment une liaison spécialisée
onéreuse. Demain, tout sera moins cher et accessible
aux PMEs, y compris l'élargissement des offres de
services. Demain, aussi, les solutions seront mutualisées
et partagées par des milliers d'entreprises.
Par exemple, l'EDI s'est développé il y a
une dizaine d'années dans les grandes entreprises
du fait de son côté propriétaire. Or,
Internet offre les mêmes avantages utilisables par
tous. Tout ce qu'apporte Internet est la mutualisation et
la mise en commun des ressources auprès du plus grand
nombre.
Plus
concrètement, comment vous situez-vous par rapport
au débat actuel sur la qualité de service
? Est-ce la même problématique en dédié
qu'en partagé ?
La notion de qualité de service
s'applique aussi bien en partagé qu'en dédié.
Rien n'empêche dans tous les cas de s'engager sur
des niveaux de disponibilité, de débits et
de transit. Mais la question soulevée tient surtout
dans le dimensionnement et l'architecture des solutions
à mettre en oeuvre. Pour cela, derrière il
faut des outils pour suivre la charge, anticiper la croissance
et pouvoir dimensionner à l'avance. Car si un client
sature le réseau en raison d'une information très
demandée, le reste de la communauté est impacté.
C'est le concept même de l'Internet : un réseau
pour tout le monde. Or, la limite de ce concept soulève
deux approches différentes pour régler les
problèmes. La première est l'autorégulation,
selon laquelle les utilisateurs et les consommateurs du
net doivent être conscients de ce qu'ils font sur
le réseau. Si un site attend un volume très
important, il doit savoir prévenir à l'avance
et faire preuve ainsi d'un comportement citoyen.
La deuxième approche consiste à créer
son propre réseau en privé. Lorsque vous créez
un intranet fermé au monde extérieur, vous
contrôlez tout. Mais vous n'êtes pas ouverts.
Dans certains cas, il est possible de mélanger les
deux, mais au client de savoir ce qu'il accepte en terme
de risques.
Autrement
dit, la qualité de service serait incompatible avec
Internet ?
Il faut savoir la quantifier. Une
entreprise peut choisir une machine dédiée
pour héberger ses services, avec une capacité
du réseau également dédiée à
cette machine. Ceci dit, si le réseau s'écroule
quelque part en cours de route, son site sera quand même
touché. Mais il reste possible de garantir un certain
niveau de qualité de service.
Quelle
est votre vision du marché à l'issue du dégroupage
?
Nous avons beaucoup parlé des
technologies de transmission liées au dégroupage.
Pour le client PME, l'intérêt sera dans le
service disponible en plus via Internet, car les technologies
se généralisent et sont vulgarisées.
Le véritable acquis pour le marché, nous le
découvrirons dans plusieurs mois avec l'émergence
de nouveaux services.
Luc Terral,
36 ans, dirige Atlantic Telecom SA, la filiale française
du groupe depuis sa création en 1997. Un an auparavant,
il venait d'intégrer la direction aux Etats-Unis
de l'opérateur américain Global One au titre
de directeur régional support avant-vente. De 1988
à 1995, il était directeur régional
de France Telecom North America. Titulaire d'un diplôme
d'ingénieur civil de Sup Telecom Bretagne et d'un
MBA obtenu au Stanford
College , il a démarré sa carrière
en 1987 en tant que consultant à l'ECID.
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