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20/06/01

Le retour du Grand Bleu

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[C'est à la suite de la parution de plusieurs entretiens mentionnés dans notre dossier e-Prestataires que Thierry Klein a souhaité donner sa vision du retournement de situation que subissent aujourd'hui les agences web. Les réactions seront les bienvenues. Vous pouvez les envoyer sur cet email.]


A la fois prophètes et gourous de la nouvelle économie, les Web agencies promettaient de chambouler le monde si policé du conseil. Un univers dans lequel, pour reprendre le bon mot du milieu, un bon consultant c'est quelqu'un qui regarde la montre de son client pour lui donner l'heure. Pour les Web agencies, au contraire, il ne s'agissait plus de prendre la montre du client pour lui donner l'heure, mais plutôt de regarder sa propre montre et d'en profiter pour changer l'heure du client. Dans le monde du conseil, qui privilégie " l'écoute " du client jusqu'à l'absurde (ou jusqu'à la flagornerie, si on considère que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute), c'était une révolution, d'autant plus que ça avait l'air de marcher ! Les Web Agencies gagnaient des parts de marché, attiraient les consultants de l'ancienne économie, gagnaient en notoriété, etc… Comment expliquer alors que le chamboulement tant attendu semble, in fine, ne pas avoir lieu ? Voici quelques pistes de réflexion.

Première piste :
L'heure donnée par les Web agencies était fausse. Il est maintenant évident pour tous que les Web Agencies, si elles avaient des connaissances supérieures à la plupart des structures existantes de conseil dans le domaine du Web, n'ont pas été capables de comprendre suffisamment la situation pour conseiller leurs clients de façon efficace. L'échec, en particulier, des startups, qu'elles ont largement contribué à lancer et largement conseillées est patent. Disons très simplement que la promesse de valeur que délivraient les Web agencies n'a pas été tenue, à tel point que l'expression Web agency elle-même est d'ailleurs maintenant connotée négativement.

Deuxième piste :
Dans le conseil, il vaudra toujours mieux prendre la main de son client pour lui dire l'heure que de lire l'heure sur sa propre montre. Les Web agencies ont surfé sur l'urgence et se sont adressées directement aux directions générales et aux directions marketing des entreprises, en leur proposant des approches nouvelles. Ce faisant, elles ont négligé la puissance des directions Informatiques internes - et la puissance de leurs concurrents réels, qui sont bien les sociétés de conseil et les SSII. Or, avec le retour du bâton de la nouvelle économie, les interlocuteurs des projets Web ont changé, et dépendent maintenant de la direction informatique qui, traditionnellement conservatrice, privilégiera toujours ses interlocuteurs existants à de nouveaux acteurs, quel qu'en soit le coût économique.

Troisième piste :
On peut perdre beaucoup d'argent pendant un certain temps, on peut perdre un peu d'argent pendant beaucoup de temps, on ne peut pas perdre beaucoup d'argent tout le temps. Les Web agencies se sont appliquées à elles-mêmes les stratégies qu'elles appliquaient à leurs clients et ont financé leurs développements à perte pour gagner rapidement des parts de marché. En voulant se développer trop vite, les Web agencies ont créé des équipes hétérogènes, peu stables et qui ne seront peut être jamais rentables. Quel que soit leur capital initial, la plupart devront être recapitalisées, ce qui veut dire, dans le contexte actuel, qu'elles perdront leur indépendance (cas favorable) ou déposeront leur bilan (plus probablement).

Quatrième (et dernière) piste :
Les Web agencies ont négligé la capacité de réaction de leurs grands concurrents du service. Les réactions des acteurs de type " traditionnel " ont d'ailleurs été remarquables sur le plan marketing. On oublie presque, aujourd'hui, que des sociétés telles qu'Accenture (ex Andersen Consulting), IBM, SAP, Cap Gemini ou autres proviennent de l'ancienne économie.

Ayant senti le vent du boulet, ces sociétés ont complètement changé leur image en intégrant au moins le vocabulaire de la nouvelle économie. J'insiste sur le terme "image" car la structure interne de leurs prestations n'a pas, à mon sens, été radicalement modifiée. On parle d'e-gestion, d'e-comptabilité, d'e-crm…. Dans certains cas, des divisions entières de ces entreprises ont simplement été renommées "division Internet", dans d'autres cas, les prestations Internet sont purement et simplement sous-traitées…à des Web agencies ! Quel exploit de marketing : là où les Web agency ont déçu avec des promesses non tenues, les grands du conseil réussissent sans aucune promesse et -dans la plupart des cas, à mon sens - sans compétences spécifiques !

Quel avenir pour les Web Agencies ?
Qu'adviendra-t-il des Web Agencies ? Certaines possèdent des équipes dont le savoir-faire Internet est unique. Mais, peu rentables, elles peuvent à tout moment les perdre au bénéfice des concurrents de l'ancienne économie. Elles sont la plupart du temps trop petites et trop peu structurées pour pouvoir se positionner réellement sur les marchés les plus importants et les plus rentables. Surtout, aveuglées par leur réelle avance technique et marketing, elles n'ont pas encore compris que leurs concurrents principaux n'étaient pas "les autres acteurs du Web", mais plutôt les acteurs traditionnels, qui ont su convertir leur offre. Face à ces concurrents remarquables, elles doivent se regrouper, chercher des partenaires, des alliances et surtout marquer leurs différences plutôt que de copier le jargon des autres.

Il se peut aussi que les mutations en cours les dépassent largement : ce qui est en train de se jouer, à l'heure où Le Monde annonce une "crise mondiale pour l'informatique", c'est en fait la victoire, au sein des entreprises, des "gros" systèmes serveurs, à base d'une informatique centralisée et tournée vers l'intérieur sur les PC légers et distribués, tournés vers l'extérieur, qui, après avoir dominé le marché des particuliers s'étaient installés en masse dans les entreprises. Cela fait longtemps qu'IBM attendait ce moment - le début de sa revanche sur Microsoft. "Je ne rencontre aujourd'hui pas un seul chef d'entreprise qui n'ait un projet global de e-business. Le PC n'est que le bout de la chaîne", commentait, rassurée, Cathy Kopp, présidente d'IBM France, dans le même numéro du Monde. Le lendemain, IBM et SAP annonçaient une alliance dans le domaine des logiciels et des services… Le retour du Grand Bleu, en quelque sorte.


Avant de rejoindre la Web agency Citycom, en tant que directeur technologie et stratégie, puis en tant que président, Thierry Klein, a notamment oeuvré dans le conseil chez Gemini Consulting.


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