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Mardi
7 mai 2002
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Comment
Giat Industries aménage une gestion des connaissances
très "stratégique"
Participant à des appels d'offres internationaux, l'industriel de l'armement doit respecter au mieux les contraintes des marchés qu'il aborde. Au programme: détection des signaux faibles et harmonisation du partage des connaissances... -->
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L'information stratégique
à caractère technologique et concurrentiel
s'inscrit naturellement dans la culture des entreprises
du secteur de la défense et de l'armement. Rien
de surprenant donc à ce qu'en France, Giat
Industries se soit engagée dans l'harmonisation
de ses processus de gestion des connaissances pour améliorer
son efficacité commerciale. Sans avoir recours
à la mise en place de systèmes coûteux
dans un contexte budgétaire relativement strict,
l'industriel a pris le parti ces dernières années
d'améliorer la circulation de l'information en
interne. Une démarche qui paraît complexe,
car si sa culture métier se montre par essence
favorable à la valorisation et à l'exploitation
de l'information stratégique, elle semble
moins propice à son partage entre des collaborateurs
et des experts du fait du passé militaire de l'entreprise.
Et pourtant, "le relationnel s'est très bien
développé afin de pallier les pénuries
d'informations générées par l'absence
de
moyens
fournis par l'entreprise", indique Patrick Cansell,
responsable de l'information stratégique au siège
de Giat Industries à Versailles-Satory. Mais
d'une part, ces échanges informels ne bénéficiaient
pas à tous les opérationnels, se limitant
à des cercles restreints voire fermés du
fait d'une certaine culture de la confidentialité.
Et d'autre part, "il n'était pas toujours
facile d'identifier les experts." Des experts qui
repartaient aussi avec leurs connaissances et leurs compétences
en cas de turnover.
Une interface intranet centrale du nom de GINet (Giat
Intelligence Network), entourée d'une cinquantaine
d'interfaces thématiques en HTML, a donc été
développée à partir d'informations
récupérées dans un nombre croissant
de bases de données. Aujourd'hui, ces bases sont
au nombre de huit, une neuvième étant en
préparation. Fin 2001, 160 utilisateurs opérationnels
disposaient d'un accès. A terme, le système
devrait être ouvert à environ 250 personnes.
Objectif :
améliorer la compétitivité du groupe
"Il y a deux ans, quand nous avons procédé
à un audit interne, 80 % des personnes que
nous avions sondées trouvaient que la circulation
de l'information était mauvaise", poursuit-il.
"Aujourd'hui, nous ouvrons de nouvelles perspectives
en donnant la possibilité à nos collaborateurs
d'accéder à de l'information utile et d'en
diffuser. Grâce à ce système, nous
permettons aux personnes impliquées de partager
leurs expertises et leurs connaissances, en leur faisant
prendre conscience que celles-ci seront exploitées
pour des affaires en cours. L'idée est de leur
offrir des moyens pour partager l'information, afin qu'ils
participent aux projets commerciaux de l'entreprise."
Les
moyens ? Des personnes d'abord, mais aussi la plate-forme
intranet de partage des connaissances marché, créée
à l'origine il y a un peu plus d'un an et demi
sous la forme d'une première base de données
de références contenant 1 500 fiches
sur les parcs de matériels blindés. "Après
sa mise en route, nous avons observé une décroissance
du nombre de questions qui nous parvenaient", indique
le porteur du projet. "Nous avons donc décidé
d'élargir son spectre à l'ensemble du marché
: les partenaires, les concurrents, les clients, le système
d'information décisionnel du client, les institutions,
etc. Nous nous sommes alors posé des questions
telles que : de quoi a-t-on besoin ? à quelles
personnes doit-on donner un accès ?"
"L'objectif de notre démarche est de permettre à
tous les acteurs de l'entreprise, concernés par le marché
au sens large, d'avoir accès aux informations utiles",
déclare Patrick Cansell. Et ce, "afin de leur
permettre de conduire au mieux leur mission de promotion,
de réalisation des offres, de stratégie produit ou de
vente."
"En identifiant en amont les experts susceptibles
de disposer d'informations utiles, en leur permettant
de participer à la démarche de vente grâce à leur expertise
et leur connaissance dans un contexte opérationnel précis,
on accroît le niveau de connaissance du marché et donc
le potentiel de l'entreprise. Cela implique non seulement
un décloisonnement des structures, mais aussi des mentalités.
C'est grâce à cela que l'on pourra ajuster nos argumentaires
face à la concurrence, améliorer nos offres et donc optimiser
notre positionnement. Le système mis en place est donc
à la fois un portail thématique d'accès à l'information
et un référentiel de ce que l'entreprise sait du marché
à un instant donné, référentiel que chacun peut contribuer
à enrichir. Plus qu'un outil d'information, c'est un instrument
de cohésion qui participe à la compétitivité du groupe."
Un vecteur
pour le projet: l'intelligence économique
Différent d'autres industriels comme Valeo (lire
retour d'expérience du 18 février 2002)
dont le but essentiel a été de consolider
et d'unifier sa mémoire d'entreprise, l'enjeu de
la gestion des connaissances chez Giat Industries est
donc aujourd'hui tourné principalement vers l'intelligence
économique, c'est à dire la maîtrise
la plus parfaite possible de son environnement extérieur.
"Notre problématique se concentre sur la connaissance
et l'analyse de notre marché", précise
le responsable de l'information stratégique en
charge de l'amélioration des pratiques de veille.
"Nos collaborateurs, qu'ils soient commerciaux, logisticiens,
qu'ils travaillent en production ou à la R&D,
ont des connexions avec le marché qui leur sont
propres. Un technicien qui a passé six mois dans
un pays aura des connaissances dont il ne soupçonne
parfois même pas l'intérêt que nous
pouvons en tirer."
Ces informations à caractère stratégique
peuvent intégrer par exemple les matériels
montrés lors de salons internationaux, mais aussi
des aspects culturels et sociaux du pays qui peuvent jouer
sur sa façon de négocier les contrats, ainsi
que sa situation géopolitique. L'objet est ici
de détecter des signaux faibles pour enrichir les
connaissances des commerciaux qui seront chargés
des négociations dans le cadre des appels d'offres
auxquels répond Giat Industries.
Identifiés et contactés par la direction
commerciale et des affaires internationales où
travaille Patrick Cansell, les experts des pôles
de veille mais aussi d'autres entités produisent
toutes sortes de comptes-rendus susceptibles d'informer
les forces de vente. Parmi ceux-ci, des "rapports
d'étonnement" figurent en petit nombre. Dans
tous les cas, l'information est filtrée par les
experts. Les fiches qui en résultent comprennent
à la fois des informations structurées et
non structurées. Elles sont saisies par le service
marketing, et validées par les experts. "Nous
réalisons des synthèses de une ou deux pages
sur chaque thème jugé stratégique:
pays clients, concurrents, partenaires", complète
Patrick Cansell. "Ensuite, des collaborateurs se
chargent de la mise à jour de ces synthèses."
Pas encore
de KM global, mais des projets fédérateurs
Giat Industries, dont le plus connu des produits phares
n'est autre que le char Leclerc, emploie près de
7 000 personnes dont environ 1 700 ingénieurs
et cadres. En parallèle, 7,5 % de la masse
salariale est affectée à la formation. Pour
son exercice 2000-2001, l'industriel de l'armement a enregistré
un chiffre d'affaires de 770 millions d'euros, en
hausse de 39 % environ par rapport à l'année
fiscale précédente. Dans le même temps,
son budget consacré à la recherche et au
développement a augmenté de 93 millions
à 154 millions d'euros. Le groupe est donc
sorti de sa période de vache maigre, et le moment
s'avère propice pour une reprise des investissements.
D'après le porteur du projet, "ce qui est
possible aujourd'hui ne l'était pas deux ans plus
tôt car les commandes étaient alors inférieures
à nos prévisions".
De fait, les projets repartent mais ce n'est pas pour
autant que le groupe s'engage dans une refondation globale
autour du KM (knowledge management). "Nous n'avons
pas pour l'instant de démarche à l'échelle
du groupe", poursuit Patrick Cansell, "celle-ci
s'inscrit plutôt au niveau des entités stratégiques
de la RH, de la R&D et de la production. Ce sont des
projets fédérateurs, mais qui sont davantage
orientés vers la maîtrise des compétences
technologiques."
Vers une démarche
de plus grande ampleur ?
Non relié à un quelconque back-office dans
l'entreprise, l'intranet a été développé
en langage dynamique ASP à partir des huit bases
de données SQL Server. Le serveur et les licences
Microsoft faisaient déjà partie de l'existant.
De fait, aucun budget spécifique n'a été
débloqué, et l'investissement réalisé
sembler se limiter à un faible nombre de jours/homme
en interne sur les aspects liés au développement.
L'objectif, pour la direction, étant visiblement
de tester l'efficacité du projet avant peut-être
d'engager des investissements plus conséquents.
"Jusqu'à aujourd'hui, nous étions plutôt
dans une démarche expérimentale", reprend
Patrick Cansell. "J'ai entamé les travaux
dans le cadre d'une thèse, sans obtenir d'appui
spécifique dans ma démarche. Aujourd'hui,
le volet intranet n'est pas remis en question et nous
commençons à tirer parti des interfaces
pour les métiers liés à la vente.
Il est plus que probable que si à terme, nous arrivons
à démontrer un réel retour sur investissement,
nous obtiendrons les budgets nécessaires pour la
mise en place d'outils plus évolués consacrés
au partage de l'information."
A partir de là, la question se posera peut-être
de savoir si une approche plus globale de la gestion des
connaissances pourra trouver sa place à l'échelle
du groupe. Mais pour l'instant, "le fait de vouloir
tendre vers une démarche d'intelligence économique
efficace implique que l'on s'adapte à ce contexte
tout en essayant progressivement de faire évoluer
la culture de l'entreprise. Il s'agit bien sûr d'une
condition de changement, mais pas forcément à
grande échelle. Au préalable, cela nécessite
que nous ayions mis en place cette démarche au
niveau d'un périmètre restreint. Notre objectif
est d'atteindre une masse critique avec suffisamment d'analyses
d'experts pour que le système soit pertinent à
petite échelle avant de l'être à plus
grande échelle. Pour que cela fonctionne, il faut
être pragmatique. D'où notre choix de nous
positionner sur la connaissance du marché, et sur
des projets commerciaux structurants."
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[François Morel, JDNet]
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