Le malheur des uns fait le
bonheur des autres. Quand l'opérateur moribond
KPNQwest
relâche plus de 100 000 clients dans la nature,
les carnets de commande tendent naturellement à
s'emplir chez les concurrents. De là à
envisager ce bénéfice de façon
durable, il n'y aurait qu'un pas qu'aucun acteur du
marché ne se hâte à franchir aussi
vite. En revanche, la banqueroute du principal opérateur
de données en Europe après son rachat
d'Ebone fin 2001 paraît initier une nouvelle donne.
D'autant plus que la nouvelle a succédé
à l'extinction des feux programmée deux
semaines plus tôt pour le 30 juin par Teleglobe,
un autre géant des réseaux de données
pan-européen.
Une profonde mutation paraît donc s'être
engagée dans le monde resserré des services
IP, et la cadence de progression de ce marché
vers la maturité traduit une impression d''accélération
de plus en plus nette.
C'est, en tout cas, ce que rapportent à leurs
niveaux les dirigeants français de l'opérateur
Colt
Telecom, de l'hébergeur IX Europe
et de l'intégrateur réseaux spécialiste
de la sécurité Via
Net.Works. Avec sa propre analyse, chacun pèse
les conséquences - positives et négatives
- des derniers soubressauts du "hollandais volant".
Un surnom possible pour KPNQwest dont le sort du réseau
et des équipes est aujourd'hui suspendu à
la décision finale des repreneurs potentiels,
l'opérateur global AT&T en tête. Un
porte-parole a en effet révélé
mardi à l'agence Reuters la participation officielle
du géant américain aux négociations.
Colt
Telecom : les clients veulent d'abord la pérennité
"Nous
avons été contactés par des clients
de KPNQwest dans la plupart des pays où nous
sommes présents", déclare Philippe
Charaix, directeur général adjoint de
Colt Telecom France. "Nous avons donc mis en place
une cellule spécifique pour leur répondre.
Nous maintenons active 24 heures sur 24 notre capacité
de prendre des appels, de procéder aux analyses
techniques et de formuler des propositions commerciales."
Colt Telecommunications, dont les activités d'opérateur
couvrent en même temps la voix, les données
et un panel très large de services à valeur
ajoutée, rend ainsi compte d'un mouvement de
clientèle en trois vagues.
D'après Philippe Charaix, "les opérateurs
(et xSP) ont été les plus prompts à
réagir. Dès l'annonce jeudi, nous avons
reçu de leur part des demandes de cotation. Ils
devaient être une vingtaine dans la capitale à
travailler avec KPNQwest, presque tous les vivants de
la place. Puis nous avons accueilli les grandes entreprises,
soit une cinquantaine sur Paris qui correspondent selon
moi à la majorité de ses clients grands
comptes. Cela s'est surtout fait le vendredi, sauf pour
certains que nous avons contactés proactivement
car nous sommes déjà fournisseurs chez
eux. Enfin, il y a toute la base de PMEs, et là
nous essayons de gérer le flux entrant des appels."
Compte tenu des coûts induits par la migration
de leurs architectures, et du fait notamment de l'insécurité
générée par KPNQwest qui n'a pas
donné de date précise pour la mise hors
tension de ses équipements, "la pérennité
de l'opérateur est devenu le premier critère
de sélection des clients" souligne Philippe
Charaix. "Ceux qui ont réussi à créer
un flux d'affaires et à maintenir une trésorerie
positive tirent leur épingle du jeu. C'est le
fameux Ebitda
positif. En ce qui nous concerne, nous le sommes depuis
1999, et nous disposons d'une trésorerie d'environ
2 milliards d'euros."
IX Europe : les prix vont remonter
(ou stagner ?)
Dans le même
temps, certains clients sont également allés
sonner à la porte de l'hébergeur IX Europe,
en partie concurrent de Colt Telecom sur son coeur d'activité.
Prêt à accueillir de son côté
une portion des réfugiés en provenance
du centre de KPNQwest à Clichy (92), son directeur
général France Bruno Paolini rapporte
que le datacenter "contenait de gros clients comme
HP et EuroNext. On y trouvait aussi de grands noms d'entreprises
Internet comme AOL, qui avait décidé de
s'y installer il y a près de six mois."
Participant aux mêmes appels d'offres que Colt
Telecom autour de l'hébergement, le constat d'IX Europe
est le même concernant les nouvelles priorités
des clients. "Le critère numéro un
est aujourd'hui la pérennité, devant le
prix", affirme Bruno Paolini. "La situation
nous permet maintenant d'être clair par rapport
au client. [...] De notre côté tout va
bien. Nous avons il y a peu signé un partenariat
avec RWE, l'équivalent d'EDF en Allemagne (avec
un financement de 7,3 millions d'euros à
la clef, ndlr) afin de récupérer de l'énergie
à moindre coût. Nous sommes Ebitda positif
et nous sommes financés au delà du premier
trimestre 2003."
A propos de prix, tant mieux si les clients sont moins
regardants car selon Bruno Paolini, ils "ne vont
pas baisser mais remonter", du moins en ce qui
concerne la location d'espace dans les centres. "L'impact
est provoqué par les fermetures successives de
CityReach, puis Exodus et maintenant KPNQwest".
De son côté, Philippe Charaix de Colt Telecom
estime qu'une augmentation générale des
tarifs (bande passante, hébergement, services...)
en direction du client final serait "illusoire.
Mais l'événement marque en tout cas une
pause dans la baisse des prix. La disparition d'acteurs
va vers un assainissement du marché. Ceux qui
rencontrent des difficultés font généralement
n'importe quoi. Nous allons donc vers des pratiques
saines, très concurrentielles." Notons au
passage que les variations prévues par ces acteurs
dépendent en partie du périmètre
de leurs activités, et de leurs politiques tarifaires
menées jusqu'à présent.
Via
Net.Works : l'indépendance pour la continuité
Plutôt
positionné sur la tranche des services à
valeur ajoutée dans le domaine de la sécurité
où est également présent Colt,
Via Net.Works propose aussi des accès et de l'hébergement
infogéré dans les centres d'opérateurs
de surface comme IX Europe, avec qui il partage
un certain désarroi au sujet du rétrécissement
du marché. L'ISP estime aussi de son côté
que "ce ne sont pas les prix qui vont augmenter"
dixit le directeur général de sa filiale
française Philippe Moity. "Cela fait des
années que l'on dit que l'accès ne vaut
plus rien, et nous sommes quand même arrivés
à des niveaux de tarification relativement bas.
Peut-être qu'à présent, nous allons
tous mieux dissocier la partie infrastructure de la
partie services. Cela peut amener une hausse de prix
de la prestation complète, si le client achète
des services à valeur ajoutée comme la
répartition de charge entre plusieurs centres,
le backup ou l'archivage."
Mais il est clair, aussi, qu'une présence combinée
dans plusieurs centres évite pour le client de
se retrouver à la rue si son hébergeur
unique met la clef sous la porte. C'est, en gros, le
message que veut faire passer Philippe Moity : "nous
sommes responsables en tant qu'intégrateur d'assurer
la continuité du service. Les nôtres sont
fournis hors du cadre de l'infrastructure d'un opérateur,
mais sur le réseau public Internet à partir
des infrastructures de plusieurs opérateurs.
[...] Les entreprises comme HP qui avait confié
100 % de son réseau à KPNQwest sont
aujourd'hui dans l'expectative." La pérennité
? Il pense aussi que "c'est un point important.
[...] Via a une situation un peu atypique. C'est une
société qui n'a quasiment pas de dettes.
Depuis notre réorganisation il y a quelques mois,
notre consommation de liquidités est devenue
très faible. Chaque filiale a pour objectif de
devenir Ebitda positif dès cet été."
A présent, le marché se tourne vers l'opérateur
de réseaux global Worldcom (groupe MCI), deuxième
aux Etats-Unis derrière AT&T. Celui-ci affronte
aujourd'hui des rumeurs selon lesquelles il serait sur
le point de procéder dès cette semaine
ou la suivante à une annonce retentissante à
propos de difficultés financières. D'ores
et déjà, les mauvaises nouvelles se sont
succédées depuis lundi : abandon des activités
mobiles (1,7 millions d'abonnés), revente
d'une filiale... Et maintenant jusqu'à 16 000 emplois
supprimés, soit 20 % de son effectif, a
rapporté mercredi l'agence Associated Press.
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