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Voici un grand changement dans notre mode de pensée,
dont nous n'avons peut être pas encore bien pris
toute la mesure. L'original est mort. Enfin le vrai, celui
en papier, que nous conservions précieusement par
devers nous ou dans le coffre du notaire ou de la banque,
et qui nous permettait, un peu moisi et jauni certes mais
irréductiblement original, de prouver que oui,
c'est bien nous qui avions hérité des chandeliers
en or de tante Suzanne.
La certitude qu'un écrit
est demeuré intact dans le temps correspond à
une notion juridique fondamentale. L'article 1334 du
Code Civil consacre d'ailleurs l'infériorité
de la copie sur l'original en ces termes : "les
copies, lorsque le titre original subsiste, ne font
foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation
peut toujours être exigée". Que devient
cette prescription en matière numérique,
où ce qui est exploité par l'homme n'est
par construction qu'une "copie" de l'original
stocké dans le système d'information ?
On voit bien qu'il est nécessaire de modifier
son mode de pensée : l'originalité ne
tient plus, comme en matière d'écrit papier,
à une absence de modification du support matériel
originaire, mais plutôt à ce que l'intégrité
de l'information puisse être garantie depuis sa
création jusqu'au moment où l'on voudra
la restituer pour la produire à titre de preuve.
A cet égard, un
arrêt de la cour d'appel d'Aix en Provence du
27 novembre 2001, concernant un litige sur l'authenticité
d'un acte (il s'agissait en l'occurrence d'une assignation
introductive d'instance) dont la conservation était
réalisée uniquement sous forme numérique
nous livre un enseignement intéressant. Dans
cette affaire, une copie remise en 1997 entrait en conflit
avec un original électronique de 1991, conforté
par une photocopie du second original de 1991. Les magistrats,
pour accorder pleine valeur d'original à l'enregistrement
électronique de 1991, ont raisonné ainsi
: "En conséquence, la forme de stockage
actuelle de l'acte en question correspond au détail
des paragraphes et des variables composant le document,
de qui démontre que le document est dans sa
forme d'origine, qu'il n'a pas subi de modification
jusqu'à ce jour et par conséquent qu'il
est conforme à celui numérisé en
août 91".
En l'occurrence, il ne
s'agissait pas d'un écrit signé électroniquement
et l'on pourrait le cas échéant remettre
en cause le raisonnement suivi par les juges mais là
n'est pas notre propos. Ce qui est intéressant
est que cette décision lie de façon implicite
la notion d'original à celle de stockage, même
s'il manque l'étape, fondamentale, de la "traçabilité"
de cet enregistrement informatique.
S'agissant d'écrits
signés électroniquement, ce souci a été
pris en compte par le législateur lors du remaniement
du droit de la preuve, puisque celui-ci a pris soin
de préciser que l'écrit sous forme électronique
serait admis en preuve au même titre que l'écrit
sur support papier, pour autant qu'il soit "établi
et conservé dans des conditions de nature
à en garantir l'intégrité".
Il est vrai qu'à
ce stade de la réflexion sur la dématérialisation,
l'essentiel de la communication a porté sur le
procédé de signature lui même, mais
très peu sur la conservation et la restitution
de l'écrit numérique. Or, ce n'est pas
une question simple : l'écrit numérique
signé est élaboré à partir
d'un condensé du document en clair, auquel est
apposé la clé privée de son signataire.
C'est ensuite sa clé publique (disponible sur
son certificat de signature électronique) qui
permettra de décrypter le document qui, une fois
de-condensé (si on veut bien nous passer ce barbarisme),
retrouvera sa forme initiale intelligible par l'homme.
Les procédés techniques utilisés
pour la signature électronique garantissent l'intégrité
du document au moment de sa signature, et donc
la possibilité pour l'émetteur de se fier
à un document qu'il reçoit d'un interlocuteur
distant via des réseaux ouverts. A cet égard,
le document signé électroniquement
joue le rôle d'un document original dans le monde
numérique, mais il faut être conscient
de ce qu'il se compose d'un ensemble d'éléments
considérablement plus complexe qu'un original
papier (qui par définition est auto suffisant)
: il se compose en effet du document en clair, de son
condensé crypté, de la clé publique
de l'émetteur et bien entendu de l'environnement
informatique qui permet, en appliquant la clé
publique au condensé crypté, de retrouver
le document d'origine.
Avant de passer à
la question qui nous préoccupe ici, et qui est
de savoir comment, passé un certain temps, va
être restitué le document original, il
convient de porter son attention sur deux points :
1 - en matière numérique,
il s'infère de l'article 1316-1 du Code Civil
que la notion d'original est indépendante
de celle du support pour autant que l'intégrité
du document soit conservée, contrairement
à ce qui se passe dans le monde matériel.
C'est heureux, compte tenu de la rapidité d'évolution
des technologies, mais c'est aussi dangereux, car il
ne faut pas qu'il soit porté atteinte à
l'intégrité de l'acte lors d'une modification
de l'environnement informatique qui le supporte.
2 - L'écrit numérique
ne peut servir de preuve que s'il est doté
d'une signification intelligible, aux termes même
de l'article 1316 du Code Civil. Cela signifie en pratique
que seule une impression papier " en clair "
des archives sera tenue pour un original, mais qu'il
faudra savoir garantir que cette impression correspond
fidèlement au document initialement signé
électroniquement.
A l'heure actuelle, on
sait que des travaux importants de normalisation sur
l'archivage sont en cours, mais il ne semble pas y avoir
de consensus clair sur ce qu'il convient d'archiver
parmi l'ensemble des éléments qui procèdent
de la création du document signé électroniquement,
tels que rappelés ci-dessus. C'est d'autant plus
regrettable que le juge possède à l'égard
des documents signés électroniquement
un pouvoir d'appréciation fort important, aux
termes du nouvel article 288-1 du Nouveau Code de Procédure
Civile (introduit par le décret du 12 décembre
2002 et curieusement passé totalement inaperçu):
"lorsque la signature électronique bénéficie
d'une présomption de fiabilité, il appartient
au juge de dire si les éléments dont il
dispose justifient le renversement de cette présomption".
. Autant dire que
si le juge a un doute sur le montage complexe qui aura
permis de lui restituer la copie papier d'un original
électronique, il pourra remettre en doute l'authenticité
du document, même signé à l'aide
du nec plus ultra des procédés, à
savoir une signature électronique avancée.
Il faut y ajouter qu'avec l'évolution des techniques,
il sera probablement possible après quelques
années de conservation de fabriquer des faux
originaux numériques en recalculant la clé
privée à partir de la clé publique
(opération très difficile au moment de
la création du document signé, mais peut
être pas dix ans plus tard
).
En guise de conclusion,
nous souhaitons soumettre au lecteur une question et
une piste de réflexion :
Est-il indispensable de
conserver l'ensemble de l'environnement informatique
ayant procédé à la création
du document numérique signé si...
a) on est capable de garantir
l'intégrité de ce document au moment de
sa création, par l'utilisation du service d'un
" tiers de confiance ", par exemple, et si
b) la traçabilité du document " en
clair " est assurée depuis sa création,
dans des conditions de sécurité technique
et juridique garanties ?
Excellente question, merci
de l'avoir posée, me direz-vous
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