L'actuel débat qui oppose partisans de la brevetabilité logicielle et leurs adversaires tient plus du choc des cultures que des détails purement juridiques. Synthèse finale de notre mini-dossier. (Mercredi 28 mai 2003)
L'actuel débat qui
oppose partisans de la brevetabilité logicielle
et leurs adversaires tourne, à première
vue, autour des effets que la directive européenne
pourrait avoir - si elle était votée -
sur la situation actuelle. Une situation où pas
moins de 30 000 brevets logiciels ont déjà
été déposés en Europe, grâce
à une jurisprudence qui leur est clairement favorable.
Une réalité indéniable, dont l'environnement
juridique reste à clarifier.
Mais en y regardant de plus près, ce sont deux
conceptions de l'innovation qui s'affrontent. Brevets
contre droits d'auteurs, protecteurs de l'innovation contre
partisans des logiciels libres...un choc culturel, presque
philosophique, en tout cas inconciliable.
Une
législation qui n'a pas suivi le cours des choses Si l'on se replace
dans le contexte de la rédaction de la Convention
de Munich, en 1973, le législateur était
confronté à un environnement où
machines et logiciels ne formaient qu'un seul et même
tout. Comme nous l'explique par l'exemple Dominique
Debert, responsable de l'observatoire de la propriété
intellectuelle à l'INPI, "c'est suite aux
actions anti-trust lancées par Control Data sur IBM
que ce dernier a accepté, en 1970, de vendre ses ordinateurs
et logiciels séparément".
Il est donc compréhensible que les exclusions
à la brevetabilité des logiciels n'aient
concerné, à l'époque, que les logiciels
pris "en tant que tel", le couple machine/logiciel
étant, lui, bel et bien soumis au droit sur les
brevets.
Un
flou pour un autre ?
Mais aujourd'hui,
le logiciel est omniprésent "en tant que
tel", dans tous les pans de l'industrie et de
l'informatique. Il est même parfois difficile de
dire, comme pour certains capteurs, si l'on a affaire
à un matériel ou à un logiciel. Au
flou involontairement créé il y a 30 ans,
la jurisprudence de l'OEB (Office
Européen des Brevets)
- et dans son sillage le projet de directive européenne
- veulent ajouter la précision suivante : "pour
répondre au critère de l'activité inventive, les inventions
mises en oeuvre par ordinateur devront apporter une contribution
technique à l'état de la technique".
Comme l'indique Pierre
Breese, conseil en propriété industrielle,
cette notion technique va contribuer à "vitrifier
le droit". Il lui préfère encore
l'article, certes "byzantin", de la Convention
de Munich, qui permet au texte de loi de respirer. On
le voit, la bataille juridique est loin d'être
terminée.
Deux courants philosophiques radicalement opposés Mais au delà
des querelles technico-juridiques, ce sont bien deux conceptions
de la création et de l'innovation qui s'affrontent.
D'un côté, ceux qui considérent qu'il
n'y a aucune raison qu'un secteur d'activité échappe
au droit des brevets, comme si le secteur de la chimie,
par exemple, n'était pas soumis à cette
législation.
Autre argument, la faiblesse du système des droits
d'auteurs, qui repose sur la forme du logiciel, c'est-à-dire
sur ses lignes de code. "Si vous créez un
programme dans un langage, le même programme peut
être développé dans un autre langage
sans que vous puissiez vous protéger", précise
Stéphanie Leparmentier, ingénieur examinateur de
brevets à l'INPI.
Autre argument encore : la nécessité de
transparence au niveau européen, les différents
droits nationaux interprétant comme bon leur semble
les actuelles dispositions. Une transparence qui permettra,
notamment pour les PME, d'être mieux informées
sur la réalité des choses, certaines ne
se sentant par concernées par les brevets logiciels.
La
mort des logiciels libres ? De l'autre côté,
les défenseurs du droit d'auteur - promoteurs
du logiciel libre en tête - arguent du fait que
seul ce système, souple et évolutif, est
adapté au monde logiciel. La sélection
entre éditeurs se fait selon eux par la fréquence
de sortie des nouvelles versions, par le coût
intrinsèque des développements. Quant
à la protection de l'innovation, elle est assurée
- outre par le droit d'auteur - par le droit des marques
et le secret de fabrication, même si, dans le
cas des logiciels libres, le code source est public.
Comme le précise Jacques
le Marois, PDG de Mandrakesoft, éditeur de distributions
Linux, "le non recours au brevet n'a pas empêché
la création de situations dominantes comme celles
d'Oracle ou de Microsoft". Ce dernier ayant, il est
vrai, commencé à déposer des brevets
plus en réaction à des procès qui
lui étaient intentés que par démarche
active. En cas d'application des brevets aux logiciels,
le risque est grand selon lui de voir l'innovation bridée
par une multitude de brevets touchant des fonctionnalités
ou des standards, comme MP3 ou GIF.
Une chose est sure, en cas de
rejet de la directive, les différentes législations
européennes, pour le moment disparates, resteront
telles quelles et l'harmonisation
officielle paneuropéenne échouera, faisant
ainsi le jeu des anti-brevets. Car comme le précise
Cyril Rojinsky, avocat que nous avons interrogé,
"ce n'est pas parce qu'un brevet est accordé par
l'OEB
qu'il passera systématiquement le cap d'un contentieux
en justice".
En cas d'adoption de la directive, les entreprises françaises
ont intérêt à vite se renseigner sur
les procédures de dépôt d'un brevet
logiciel auprès de l'INPI. Elles devront rattraper
leur retard.