JURIDIQUE 
Plaidoyer pour la brevetabilité des méthodes liées au e-business
par Thierry Schwartz et Nathalie Dreyfus
Cabinet ORES (05 juin 2003)
         
  Un arrêt de la Cour d'Appel de Paris du 10 janvier 2003 pose pour la première fois clairement la question de l'admission au brevet des méthodes économiques. La question est d'importance pour les sociétés et les entrepreneurs français puisqu'ils se voient actuellement refusés l'accès à cette protection pour une méthode dans le secteur des activités économiques, alors qu'aux Etats-Unis ce type de protection est possible et répandue. La tendance de la jurisprudence européenne va également dans ce sens. D'après une étude récente, les changements intervenus dans la loi américaine sur les brevets depuis ces dernières années ont permis d'accroître sensiblement le nombre de brevets de logiciels. Ces derniers représentent en effet aujourd'hui environ 15% de tous les brevets américains. Il est intéressant de souligner que ces brevets de logiciels sont principalement détenus par des grandes entreprises ne relevant pas nécessairement du monde de l'édition des logiciels. Les brevets de logiciels constituent désormais une arme stratégique aux Etats-Unis. Ils confèrent en effet un certain monopole, permettent de couvrir un marché-produit et placent leurs propriétaires dans une position favorable dans le cadre de négociations de licences croisées. De façon générale, ils donnent accès aux dispositions spécifiques prévues par la législation sur les brevets (présomption de propriété, procédure de saisie-contrefaçon dans certains pays, action en contrefaçon, règles spécifiques de copropriété, etc.).

Lorsque l'on sait que 37% des logiciels utilisés dans l'Union européenne sont actuellement des contrefaçons, la question de la brevetabilité des logiciels ou des méthodes économiques doit être appréhendée avec attention.

Dans notre affaire, la Cour d'Appel a refusé d'admettre la validité d'un brevet déposé par la SAGEM sur une méthode de gestion électronique du commerce.

1) Données du débat
La SAGEM avait déposé une demande de brevet concernant un procédé de commande électronique de produits auprès d'un centre de vente. L'invention permettait de simplifier et de sécuriser la transaction électronique à travers les réseaux téléphoniques, lors des achats effectués auprès de commerçants ou d'industriels reliés directement au réseau téléphonique ou via Internet.

L'invention consiste à s'affranchir de la transmission des données bancaires par l'acheteur à travers un lecteur de carte bancaire, en réalisant une simple identification codée de l'utilisateur par le centre de vente, par exemple par son code PIN. Le centre de vente transmet une requête de certification au centre d'exploitation du réseau téléphonique, lequel fournit alors les données bancaires mémorisées par le compte de facturation téléphonique.

L'examinateur de l'INPI a rejeté le 22 avril 2002 la demande de brevet au motif que son objet ne pouvait pas clairement être appréhendé comme une invention, au sens des dispositions du Code de la Propriété Intellectuelle, dès lors qu'elle constituait une méthode dans le domaine des activités économiques. La SAGEM a présenté un recours contre cette décision du Directeur de l'INPI auprès de la Cour d'Appel de Paris.

La Cour de Paris a confirmé ce rejet en estimant également que la méthode s'appliquait uniquement au domaine des activités économiques. Elle estime en effet que le fait de réaliser une méthode de vente supprimant l'utilisation du lecteur de carte bancaire dans le processus d'achat, ne permet pas de considérer que la demande de brevet possède globalement un effet technique. Par ailleurs, l'exécution d'une commande passée par téléphone après l'obtention d'informations sur l'acheteur ne s'applique toujours qu'au seul domaine des activités économiques.

2) Etablissement d'un critère de brevetabilité
Quelle que soit son issue, l'étude de la brevetabilité d'une méthode électronique dans le domaine commercial (e-business), qui s'appuie sur un réseau d'échanges d'informations véhiculées électroniquement, se doit de pouvoir répondre à la question de savoir si les moyens de l'invention procurent des interactions technologiques supplémentaires, c'est-à-dire des interactions allant au-delà de celles engendrées par l'exécution des logiciels dans les architectures connues.

Ce questionnement a été établi par différentes décisions des Chambres de Recours Techniques de l'Office Européen des Brevets (OEB), concernant des inventions mises en œuvre par des logiciels liés au système d'exploitation d'unités informatiques, tels que le logiciel de déplacement des fenêtres cachées par l'ouverture d'autres et de maintien d'une application lors d'une interruption (CRT 769/92, 935/97, 1173/97). Il a ainsi été précisé la notion de "caractère technique" appliquée au domaine informatique, alors que cette notion était utilisée jusque là en jurisprudence constante pour qualifier les inventions brevetables, quel que soit leur domaine d'application. Le caractère technique relève, de manière générale, des variations des paramètres physiques produites sur l'objet auquel s'applique l'invention pour résoudre un problème technique.

Par principe, tant la Convention sur le Brevet Européen que le Code de la Propriété Industrielle en France excluent de la brevetabilité les innovations qui ne peuvent être considérées comme des inventions, comme par exemple les programmes d'ordinateurs, les méthodes dans le domaine des activités économiques, les créations esthétiques, les présentations d'information. La jurisprudence dominante est d'avis que les inventions au sens de la Convention sur le Brevet Européen relèvent uniquement du domaine du concret et doivent posséder un caractère technique. Il paraît donc opportun de bien distinguer la nature intrinsèque de l'invention par ses moyens, de l'environnement dans lequel elle s'applique (esthétique, ludique, économique, informatique). Par exemple, il est bien admis qu'une innovation visant à obtenir un effet esthétique final est une invention lorsque les moyens mis en œuvre pour atteindre ce but sont d'ordre technique.

La discussion dépasse largement les frontières nationales puisqu'un projet de Directive européenne concernant la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur a été rendue public l'année dernière. Il confirme que tous les logiciels ne sont pas considérés de facto comme exclus du champ de la brevetabilité. Le projet emploi le concept de "contribution technique", dont l'évaluation est faite par comparaison entre l'objet de l'invention revendiquée pris dans son ensemble et l'état de la technique. Cette définition de la brevetabilité utilisée est donc cohérente, quoique formulée de manière plus elliptique, avec l'approche pragmatique de l'Office Européen formulée plus haut. Les deux approches sont encore convergentes par la double nécessité de définir d'abord un critère de nature technique, puis d'en évaluer son respect à travers un outil de mesure.

Il est justifié d'utiliser cette approche, mise en œuvre à l'origine pour les inventions de logiciels, pour déterminer le caractère brevetable des inventions en matière d'activités économiques. Cette extension d'application du critère est justifiée par le fait que les logiciels et les méthodes dans le domaine des activités économiques sont exclus du champ de la brevetabilité à partir du même alinéa dans les textes de loi. En outre, ce rapprochement est également fondé sur la similitude de nature entre un logiciel de système d'exploitation d'une unité informatique et une gestion d'un réseau informatique opérée par l'exécution de logiciels dédiés.

3) Application du critère de brevetabilité au procédé SAGEM
L'analyse des étapes de raisonnement appliquée par les instances françaises dans l'affaire SAGEM montre que le critère devenu essentiel au fil du temps, à savoir le critère de "caractère technique", ne devait pas être considéré dans ce raisonnement comme un outil décisionnel, mais simplement évoqué en tant que critère en référence aux décisions antérieures de l'Office Européen des Brevets.

En effet, l'utilisation de ce critère ne s'est pas traduite dans cette affaire par la mesure d'un apport ou d'une contribution par rapport au contexte antérieur, tel que le permettrait le critère forgé par l'Office Européen ou énoncé par la proposition de Directive européenne afin de vérifier le caractère brevetable d'une invention mise en œuvre par ordinateur.

Il va de soi que l'utilisation de moyens techniques n'est pas suffisante pour conférer un caractère technique, comme le précise la Cour d'Appel. L'unique suppression du lecteur de carte bancaire ne confère pas en elle-même un effet technique. Il aurait cependant été essentiel d'étudier si les moyens mis en œuvre pour permettre l'identification bancaire de l'acheteur après s'être affranchi de ce lecteur de carte, ne produisaient pas d'effet technique, et s'ils conféraient ou pas de caractère technique au procédé.

En adoptant une telle approche d'étude de la structure du procédé et des effets produits par rapport au système antérieur, la Cour aurait pu objectivement évaluer la nature technique de l'innovation, en conformité avec la position du droit communautaire.

En effet, dans l'affaire SAGEM, le procédé propose d'instaurer une requête de certification à transmettre au centre d'exploitation du réseau téléphonique qui fournit alors les données bancaires mémorisées par son compte de facturation.

L'Office Européen a déjà eu l'occasion de se prononcer sur l'instauration d'un bordereau de transfert unique dans un système de gestion économique, notamment de stocks. Il a retenu son caractère brevetable (CRT 769/92). L'instauration du bordereau unique repris du centre de gestion vers chaque terminal réalise bien des interactions supplémentaires sans équivalent dans le réseau informatique utilisé.

L'environnement technique de ces deux affaires est en fait très semblable. Ainsi, on pourrait juger que le procédé SAGEM établit bien des connexions techniques supplémentaires par rapport au système connu, ce qui est susceptible de répondre au critère de caractère technique. Si, au contraire, on considère que cette connexion relève de la connectique classique, sans adaptation particulière du fait de la nature des comptes mémorisés, la contribution technique de l'innovation n'est pas opérante.

4) Quel avenir pour la brevetabilité des méthodes du e-business ?
Tant dans le domaine des logiciels que des méthodes électroniques dans le domaine économique, l'accès au brevet n'est pas encore intégré dans les mentalités françaises. Pour de nombreuses raisons, il serait judicieux d'avancer en ce sens afin de mieux s'intégrer dans le contexte international. En particulier, il est réducteur de considérer que lorsqu'une une méthode vise une transaction commerciale ou tend à obtenir des informations administratives ou juridiques, cette méthode n'a automatiquement pas de caractère technique ! C'est confondre les moyens et le but à atteindre.

La décision analysée ci-dessus allant dans le sens du refus de la brevetabilité d'une méthode du e-business s'inscrit mal dans le contexte européen. En effet, il est possible d'obtenir un droit au brevet sur territoire français au moins de deux façons : par le dépôt d'un brevet national et par le dépôt d'un brevet européen (ou d'une demande internationale) désignant la France. L'arrêt de la Cour d'Appel de Paris pose ainsi également le problème de l'uniformité entre les deux modes d'obtention de protection par brevet en France puisque la SAGEM pourrait encore obtenir par la voie européenne un brevet ayant un effet en France, malgré son refus par l'examinateur national. L'INPI serait ainsi bien avisé de collaborer plus étroitement avec l'Office Européen afin d'harmoniser, en amont, ses décisions avec les raisonnements mis en place par la voie européenne.

La route vers la reconnaissance en France de la brevetabilité des méthodes du e-business et des logiciels est longue. Il ne faut pas désespérer et une telle évolution de la jurisprudence française semble indispensable afin de s'inscrire dans le contexte international. La possibilité de breveter des logiciels ou des méthodes du e-business ne devrait pas inquiéter les partisans du système du logiciel libre. En effet, le concepteur d'un logiciel disposera toujours de la faculté de renoncer volontairement à ces droits d'auteur ou à prendre un brevet. Par ailleurs, la protection par droit d'auteur restera possible par simple volonté des créateurs.

 

 
 Thierry Schwartz et Nathalie Dreyfus
 
 

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