Le défi de l'industrialisation
agile
Surmonter l'impact d'une libéralisation mondiale
est le défi qui s'impose désormais avec acuité aux sociétés
occidentales. En première ligne se trouvent les organisations directement
confrontées à la concurrence étrangère sur leurs marchés
traditionnels. Pour elles, la capacité de survie se mesure en terme d'accroissement
de performance et d'aptitude à demeurer en phase avec un environnement
concurrentiel instable.
Des réponses sont émergentes : revoir
les stratégies et les processus en manageant la valeur ajoutée,
s'appuyer sur des plans d'investissement réalistes, urbaniser concrètement
les systèmes opérationnels, d'informations, d'informatiques, jongler
entre le rationnel et l'empirique, se positionner entre l'industrialisation et
l'agilité. Ces évolutions majeures sont d'autant plus difficiles
à réaliser qu'elles s'avèrent être autant culturelles
que politiques pour la plupart des européens.
Dans le même temps, un changement de paradigme
révolutionne les fondements du management bouleversant les certitudes des
cadres et des dirigeants. Il s'exprime dans une équation où qualité
= agilité + industrialisation. Elle même se décline sur trois
groupes de préoccupations : l'organisation, la technologie et les ressources
humaines. A ceux qui trouveraient la problématique plutôt théorique,
je rappellerais que faire précéder son action d'un minimum de réflexion
est rarement une perte de temps. Et que, considérer le cartésianisme
ou le pragmatisme comme affaires de philosophes peut conduire à des catastrophes
de projets, d'organisations et même de société. Ce n'est d'ailleurs
pas par hasard que le mouvement Agile a émergé parallèlement
à la mondialisation et polarisé l'attention des dirigeants nord-américains.
En pratique, lagilité organisationnelle
et technologique est un sujet qui peut être abordé simultanément
sous plusieurs angles :
- stratégiquement, l'agilité permet de contrer les effets de lélargissement
et du durcissement des environnements concurrentiels en insufflant à lorganisation
réactivité et performance ;
- opérationnellement, lAgilité s'applique à la maîtrise
d'une lévolution de la complexité des systèmes organisationnels
dont l'appréhension ne peut plus être rationnellement assurée.
L'intelligence collective et la complexité
de détail
Les systèmes organisationnels d'aujourd'hui, à l'instar du vivant,
sont complexes et parfois volontairement et insidieusement compliqués.
A défaut de les simplifier immédiatement, ce qui n'est pourtant
pas une utopie, il faut, pour les maîtriser, utiliser le pouvoir de l'intelligence
collective.
Les projets de management par la qualité
totale de service (MQTS) sont en ce sens de puissants moyens dobtention
davantages concurrentiels au meilleur coût. Le MQTS tire sa force
de la connaissance pratique des employés du bas de la "pyramide"
dont la participation volontariste à une recherche systématique
d'améliorations est suscitée. Bien déployée, cette
technique optimise tous les secteurs de l'entreprise.
Dans cette quête de productivité,
lorsque les règles du MTQS sont réellement et complètement
implémentées, lorganisation dispose dun fantastique
outil de résolution de la « complexité de détails ».
La détection et la résolution des problèmes peuvent alors
sappliquer à une multitude de dysfonctionnements mineurs qui échappent
généralement aux échelons supérieurs compte tenu de
leur faible visibilité.
Voilà pourquoi, dans une organisation Agile,
la coordination respecte une forme de démocratie où les connaissances
sont complémentaires et leur partage activé par la recherche de
performance collective. Dans une hiérarchie plate, l'autorité semble
s'effacer, alors que dans les faits, cette structure de management impose naturellement
la rigueur et démultiplie l'énergie engagée.
Adaptabilité et/ou prédictivité
Dans le quotidien "discret" des organisations et de leurs projets,
les dysfonctionnements sont choses courantes. En fait, ils sont certainement la
raison même de lémergence du mouvement Agile. Par contre, considérer
l'agilité comme une sorte de simplification en réaction aux lourdeurs
des méthodes classiques serait une erreur tragique.
Dans l'ouvrage Systèmes d'Information et
processus Agile (Hermes) un tableau intitulé "Analytique- Cartésien
/ Empirisme-pragmatique" a pour objet de comparer les approches classiques
de résolution de problème se référant à la
prédictivité de celles plus récentes ayant pour fondement
ladaptabilité. Une profonde divergence dans lappréhension
de la complexité et dans les moyens de sa résolution est alors mise
en évidence.
En abandonnant lambition méthodologique
de prédictivité pour celle dadaptabilité, le mouvement
Agile démontre alors sa capacité de concrétiser une réponse
adéquate à la résolution de la complexité des systèmes
actuels. Mais cette théorie doit être instrumentée :
- opérationnellement, pour contrer un certain seuil dinertie, il
faut absolument obtenir le pouvoir et les moyens de bousculer les habitudes bureaucratiques
des organisations;
- pratiquement, il faut changer simultanément le contexte, les méthodes
ainsi que les outils, cest-à-dire en pratique, décentraliser
les responsabilités et travailler en "mode projet" et en "mode
plateau".
Optimiser la granularité du changement
En conclusion, lorsque lenvironnement dune organisation évolue,
cette organisation doit sadapter au changement sinon la qualité et
la productivité de ses prestations se dégradent. Lorganisation
dispose alors de deux vecteurs dajustement de son Agilité : son niveau
dautomatisation et ses ressources humaines. Un système dinformation
Agile se caractérise alors par sa capacité à fournir une
réponse optimale à lévolution de lorganisation
quil instrumente :
- dune part, une granularité trop grosse doit être compensée
par une charge additionnelle appliquée aux ressources humaines;
- dautre part, des adaptations trop fréquentes du SI représentent,
non seulement un coût prohibitif, mais souvent un facteur de déstabilisation.
Dans la recherche de cette réponse, certains
pensent que miraculeusement les approches Agiles appliquées aux projets
permettraient daller plus vite sans remise en cause de lorganisation
générale des développements. Il nen est rien. La lecture
de louvrage originel de James Martin démontre au contraire que la
première et la plus achevée des méthodes Agiles dédiées
aux développements informatiques était avant tout la mise en uvre
dune organisation parfaite centrée sur l'éradication des risques
et basée sur une communication permanente, directe, formelle autant qu'instrumentée.
Depuis, il est devenu tout aussi évident que la réussite des nouveaux
projets implique, en préalable, la réorganisation de la fonction
à informatiser. Ce constat nest dailleurs pas le fait de lAgilité
à elle seule. Il découle dune vision pragmatique de la qualité
de service intimement liée à la compétence des cadres opérationnels.
Mon expérience nord-américaine mamène
à penser quil faut développer en France une culture dédramatisée
de la réingénierie des processus et réhabiliter le management
par la qualité de service. Ces pratiques qui n'ont rien de dépassées
sont naturelles et indispensables aux organisations dynamiques. Le fait de renommer
BPR par BPMS ou management des processus métier ne change rien au fondement
de ces principes.
Ces approches, évidentes au Canada, n'ont
jamais pu être mises en uvre correctement en France. Un long chemin
reste donc à parcourir pour la plupart des organisations. La dialectique
analytique, chère aux latins, doit maintenant laisser place au pragmatisme
de l'action.
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