Parmi la quinzaine d'interviews
de dirigeants des grandes SSII françaises que nous avons conduites en 2003,
on retrouve, d'une société à l'autre et au-delà de
leurs spécificités, les mêmes constats et les mêmes
mesures.
Toutes se sont recentrées sur la demande
et s'en sortent finalement
assez bien. Petit récapitulatif de la situation du marché à travers
le regard des différents managers interrogés, et perspectives sur 2004.
Un retour de bâton
particulièrement violent
Si la crise a eu quelques mois de retard, elle a, malgré tout, touché
de plein fouet, dès fin 2001, les sociétés de services en
ingénierie informatique. Jusque là, elles avaient réussi
à maintenir leur activité en bénéficiant des projets
déjà engagés par les clients. Mais une fois les contrats
remplis, la situation s'est très vite retournée et les SSII, qui
avaient investi en matériel et en personnel pour répondre à
la demande se sont retrouvées en surcapacité. Implacablement l'enchaînement
économique s'est mis en marche : le surplus d'offre a causé une
baisse générale des prix, obligeant les entreprises à réduire
les coûts...
Dans de telles sociétés
qui fournissent des prestations intellectuelles, près de 70% des coûts
sont des salaires, et si certaines se félicitent de ne pas avoir licencié
(Unilog), l'opération de réduction d'effectif a été
un passage obligé pour la large majorité. " Dès le deuxième
semestre 2002 nous avons mis en uvre des mesures, allant de la réduction
des dépenses au resserrement de notre positionnement. Le tout visant à
garantir un niveau d'activité correct ", explique Khattar
Chkaiban, le PDG de Valoris
Chez GFI
Informatique, le plan de réaction consistait à préserver
la marge, à améliorer la trésorerie et à continuer
à s'endetter, notamment en investissant dans la fonction commerciale. Résultat
: 600 personnes licenciées en 14 mois.
Chez Devoteam en revanche,
si Stanislas
de Bentzmann estime avoir traversé la crise "dans une grande sérénité",
s'appuyant sur une bonne situation financière, et séparant les deux
activités de conseil et d'intégration. Il oublie cependant qu'il
a dû fermer deux sites et engager un plan de restructuration sur douze mois.
La stratégie d'évitement du Groupe Open n'a pas été
plus fructueuse : "Nous avons volontairement évité les grands
projets de cette période : à savoir le passage à l'euro et
à l'an 2000. Cette démarche nous a permis d'éviter le retour
de bâton
" déclare le directeur général Guy
Mamou-Mani
malgré cela une centaine de personnes ont été
licenciées.
Faire plus avec moins
Ainsi, malgré les bémols évoqués par certains dirigeants
sur leur gestion de la crise, tous s'accordent avec le président de Syntegra
France, Guy Bonassi , qui déclarait en juin dernier : "il s'agit
là de la plus grande crise jamais vécue par notre secteur. Sans
compter qu'elle fait suite à quatre années d'euphorie caractérisées
par une croissance non maîtrisée".
Ainsi après des faillites
et des licenciements en cascade, les SSII ont du s'adapter à un nouveau
marché, plus frileux, moins dépensier, mais toujours demandeur
de solutions d'optimisation de coûts. "Faire plus avec moins de moyens"
est alors devenue la devise des directeurs de systèmes d'information. Finis
les projets de grande envergure sur plusieurs années, le temps est à
la prudence, aux économies et donc aux projets par mission, aux contrats
par lots et sur quelques mois seulement.
Les DSI "découpent les projets pour éviter les effets tunnel
et aboutir à un retour sur investissement plus rapide", résumait
en avril 2003 Thierry
Pilenko, le directeur général de SchlumbergerSema (racheté
depuis par Atos). De son côté Dominique
Illien, membre du directoire d'Atos Origin (justement) nous présentait,
en mai dernier, une définition représentative de l'état de
la demande : "Les grands comptes veulent s'adresser à des interlocuteurs
uniques, capables d'offrir une vaste gamme de services, notamment pour externaliser
tout ou partie de leur système d'information".
Cette démarche des
clients qui, selon Jean-Pierre
Parra, le directeur général d'Unilog "troquent une baisse
de prix contre un périmètre plus large offert à moins de
sociétés" a des conséquences directes sur l'offre des
SSII.
S'adapter pour survivre
: ces métiers qui vivent de la crise...
A ces tensions sur les prix, les SSII répondent en se concentrant sur des
projets à forte valeur ajoutée : Transiciel (une OPE a été
lancée sur cet acteur par Cap Gémini) reste sur la cible des grandes
entreprises en misant sur les quelques projets à long terme encore existants
; Syntegra France mise sur le mariage du conseil et de l'intégration après
le rachat de KPMG Consulting France il y a un an
quant à Euriware,
Atos Origin, Steria, Logica CMG et SQLI, chacun exploite à présent
le filon de l'infogérance et de la tierce maintenance applicative (TMA).
Quelle meilleure solution
en effet pour faire des économies et se concentrer sur son cur de
métier que de confier à un tiers les activités secondaires
telles que la gestion de la paie ou celle du système d'information ? Ce
réflexe vital des entreprises permet ainsi à leurs prestataires
de se recentrer sur ce créneau et l'utiliser pour faire elles-mêmes
des économies. Les SSII sont en effet les premières à sous-traiter
en province ou à des sociétés en Inde, en Roumanie ou au
Maghreb, les services qui leur ont été confiées. "L'externalisation
est un véritable moteur de croissance pour les années à venir",
déclare Philippe
Loeb, le PDG d'Euriware qui se fait l'écho de ses homologues.
..et ceux qui redémarrent
Au-delà de
cette activité clef du secteur, la déprime n'est pas totale : plusieurs
autres domaines sortent du lot. "Nous percevons une montée en puissance
des problématiques de business intelligence, notamment dans les domaines
bancaire et industriel, analyse Jacques
Berchadsky, le directeur général de Transiciel Intégration
de systèmes de gestion. Cette dimension, ainsi que celle de la sécurité,
apparaissent de plus en plus souvent comme des composantes indispensables des
projets d'intégration. Parallèlement, les déploiements de
portails d'entreprise et de solutions de CRM se poursuivent. C'est également
le cas des EAI (outils d'intégration d'applications d'entreprise) et des
chantiers d'urbanisation des systèmes d'information". Tout est dit.
Côté secteurs,
si la finance et les télécoms restent encore sur leur garde et se
contentent de projets d'ajustement pour passer aux normes et réglementations
nationales et européennes, l'administration publique reste grande consommatrice
de nouvelles technologies.
Enfin, pour ce qui est de
2004, l'enthousiasme n'est pas flagrant, mais le pire est passé. Pour Guy
Bonassi, le président de Syntegra France, une légère
reprise est inévitable, car "après plusieurs années
de rigueur, les entreprises sont obligées d'investir pour ne pas risquer
l'asphyxie". Et Philip
Loeb, PDG d'Euriware de confirmer : "les investissements réalisés
à partir des années 98 par les entreprises vont déboucher
sur des besoins de renouvellement, il faut simplement pouvoir attendre, tenir
et laisser passer 2003 et une partie de 2004 vraisemblablement".
Sans compter les prochains
effets démographiques. " Notre secteur se retrouvera alors dans une
situation de pénurie de ressources, mais je ne pense pas qu'il faille pour
autant envisager la délocalisation à tout va ".
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