Auréolés de toutes les vertus par les consultants, les PGI étaient censés résoudre les principaux problèmes dinformation de lentreprise grâce à :
- une plus grande intégration des données (une base de données unique partagée par tous les modules fonctionnels),
- une plus grande flexibilité du système dinformation (approche modulaire de type lego),
- une adaptation aux processus métiers (fluidification des flux de données entre modules grâce au workflow),
- une maîtrise informatique recouvrée (la fin des développements spécifiques en dérapage permanent).
Le bilan après plus de dix ans dexpérience nest pas forcément réjouissant. A titre dinitialisation dun inventaire, quil conviendrait de compléter, nous rappelons que :
- la plupart des clients de PGI annoncent linstallation dun seul, voire deux modules,
- les modules promis nayant pas toujours été au rendez-vous, de nombreux développements spécifiques ou lacquisition de modules dautres éditeurs furent nécessaires,
- les résultats issus des PGI savèrent fréquemment aberrants (saisie forcée, contrôle de résultat impraticables
) (*),
- les délais de mise en uvre sont fréquemment explosés. Les inévitables développements spécifiques sont passés sous silence, la charge de travail dévolue aux tests est ignorée, le temps des utilisateurs minimisé, et les montants vertigineux des interventions des consultants-paramétreurs attribués à lindiscipline du client,
- le niveau de compétence des informaticiens et des comptables doit être significativement revu à la hausse, tant il est impossible dagir sur ces outils sans une connaissance de lensemble de ce système intégré, aux composants si imbriqués,
- laccompagnement des utilisateurs semble particulièrement déficient, y compris lorsquil est réalisé par des consultants qui savèrent trop souvent compétents sur un seul module, et chargés de formation sans y avoir été préparés (*).
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"Place à l'extrême PGI !"
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Ajoutons que la très sérieuse Harvard Business School avait,
après une étude mondiale, conclu que de tels chantiers relevaient
du "capital-risque", et que de son côté le cabinet Metagroup,
dans une étude menée en 1999, concluait à un retour sur investissement
après cinq ans négatif dun million et demi de dollars en moyenne
par entreprise (pour un investissement initial moyen par entreprise approchant
les dix millions de dollars). Au-delà de la maîtrise de ces chantiers,
Pierre-Jean Benghozi, Directeur de Recherche au CNRS, mettait en doute, dès
1998, le postulat des PGI quil jugeait erroné : "Les PGI sappuient
sur lidée de prévision (ERP), alors que le monde économique
est de plus en plus imprévisible".
Un second souffle. Aujourdhui, devant la baisse de leur marché, les éditeurs de PGI cherchent un second souffle. La deuxième vague qui sannonce va voir ces éditeurs exploiter les dépendances quils ont su créer chez leurs clients, les montées de version payantes et autres astuces étant déjà utilisées. Place à lextrême PGI ! La plupart des clients ne disposant que dun petit nombre de modules il est question de leur vendre le plus de modules complémentaires possibles. En outre, le progiciel de gestion intégré va laisser la place au "progiciel intégrateur" qui veut intégrer les modules des concurrents, mais aussi les applications spécifiques du client, pour régner sans partage sur le système dinformation du client. Si la menace pour le client est grande, celle sur la "bio-diversité" de lindustrie informatique lest peut-être plus encore. En comparaison, les problèmes rencontrés avec Microsoft risquent de ressembler
à une mise en bouche.
Ces éditeurs ciblent de nouveaux types de clientèle : après ladministration (en cours de propagation), les PME... Or, le bilan provisoire des PGI dans ladministration na rien à envier au bilan des entreprises privées. Mais il sy ajoute que la dépendance du client vis-à-vis de son éditeur et/ou de son consultant-paramétreur pose un problème encore plus aigu dans le cadre des procédures de marchés publics censées casser les rentes de situation. Cest dans ce contexte quil faut comprendre lactuelle polémique sur la supposée attribution du projet ACCORD II, suite du médiocre projet du Ministère de lEconomie ACCORD I (modernisation de la comptabilité publique).
Ces projets ont ceci de différent par rapport à leurs prédécesseurs, qu'une fois installés
ils sont indéboulonnables. La dépendance envers loutil est telle quaucune organisation ne peut se permettre de revenir en arrière, même lorsque les performances techniques promises ne sont pas au rendez-vous, que lappropriation par les utilisateurs est un échec, ou encore que les coûts dexploitation sont trop élevés. Les offres de "post-implémentation" actuellement commercialisées par des cabinets de conseil et des SSII ne constituent-elles pas la parfaite démonstration de cette fuite en avant ? Les offres ne proposent en effet rien dautre que de faire fonctionner « de force » ces progiciels qui déçoivent, y compris en simplifiant les règles de paramétrage trop complexes définies à grand frais par des consultants pour le compte du client.
Plus de dix ans après les premières installations, alors que les travaux de recherche saccumulent, Il est urgent de faire un bilan de ces PGI, autant pour ceux qui ne sont pas encore "tombés dedans" que pour ceux qui doivent désormais "faire avec". En effet, comment améliorer les choses sans accepter la remise en cause dun certain nombre de postulats et didées toutes faites ?
(*) voir sur ce point les travaux de recherche de léconomiste et sociologue Laure Lemaire, "Systèmes de Gestion Intégrés : des technologies à risque ?", éditions Liaisons, 2003
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