TRIBUNE
PAR CHRISTOPHE DESHAYES
Progiciels de Gestion Intégrés : le temps du bilan ?
Les PGI étaient censés résoudre les principaux problèmes d'information de l'entreprise. Le bilan après plus de dix ans d'expérience n'est pas forcément réjouissant.  (12/03/2004)
 
Président de Documental (Observatoire des Technologies de l'Information)
 
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Documental

Auréolés de toutes les vertus par les consultants, les PGI étaient censés résoudre les principaux problèmes d’information de l’entreprise grâce à :
- une plus grande intégration des données (une base de données unique partagée par tous les modules fonctionnels),
- une plus grande flexibilité du système d’information (approche modulaire de type lego),
- une adaptation aux processus métiers (fluidification des flux de données entre modules grâce au workflow),
- une maîtrise informatique recouvrée (la fin des développements spécifiques en dérapage permanent).

Le bilan après plus de dix ans d’expérience n’est pas forcément réjouissant. A titre d’initialisation d’un inventaire, qu’il conviendrait de compléter, nous rappelons que :

- la plupart des clients de PGI annoncent l’installation d’un seul, voire deux modules,
- les modules promis n’ayant pas toujours été au rendez-vous, de nombreux développements spécifiques ou l’acquisition de modules d’autres éditeurs furent nécessaires,
- les résultats issus des PGI s’avèrent fréquemment aberrants (saisie forcée, contrôle de résultat impraticables…) (*),
- les délais de mise en œuvre sont fréquemment explosés. Les inévitables développements spécifiques sont passés sous silence, la charge de travail dévolue aux tests est ignorée, le temps des utilisateurs minimisé, et les montants vertigineux des interventions des consultants-paramétreurs attribués à l’indiscipline du client,
- le niveau de compétence des informaticiens et des comptables doit être significativement revu à la hausse, tant il est impossible d’agir sur ces outils sans une connaissance de l’ensemble de ce système intégré, aux composants si imbriqués,
- l’accompagnement des utilisateurs semble particulièrement déficient, y compris lorsqu’il est réalisé par des consultants qui s’avèrent trop souvent compétents sur un seul module, et chargés de formation sans y avoir été préparés (*).

 
"Place à l'extrême PGI !"
 
Ajoutons que la très sérieuse Harvard Business School avait, après une étude mondiale, conclu que de tels chantiers relevaient du "capital-risque", et que de son côté le cabinet Metagroup, dans une étude menée en 1999, concluait à un retour sur investissement après cinq ans négatif d’un million et demi de dollars en moyenne par entreprise (pour un investissement initial moyen par entreprise approchant les dix millions de dollars). Au-delà de la maîtrise de ces chantiers, Pierre-Jean Benghozi, Directeur de Recherche au CNRS, mettait en doute, dès 1998, le postulat des PGI qu’il jugeait erroné : "Les PGI s’appuient sur l’idée de prévision (ERP), alors que le monde économique est de plus en plus imprévisible".

Un second souffle. Aujourd’hui, devant la baisse de leur marché, les éditeurs de PGI cherchent un second souffle. La deuxième vague qui s’annonce va voir ces éditeurs exploiter les dépendances qu’ils ont su créer chez leurs clients, les montées de version payantes et autres astuces étant déjà utilisées. Place à l’extrême PGI ! La plupart des clients ne disposant que d’un petit nombre de modules il est question de leur vendre le plus de modules complémentaires possibles. En outre, le progiciel de gestion intégré va laisser la place au "progiciel intégrateur" qui veut intégrer les modules des concurrents, mais aussi les applications spécifiques du client, pour régner sans partage sur le système d’information du client. Si la menace pour le client est grande, celle sur la "bio-diversité" de l’industrie informatique l’est peut-être plus encore. En comparaison, les problèmes rencontrés avec Microsoft risquent de ressembler… à une mise en bouche.

Ces éditeurs ciblent de nouveaux types de clientèle : après l’administration (en cours de propagation), les PME... Or, le bilan provisoire des PGI dans l’administration n’a rien à envier au bilan des entreprises privées. Mais il s’y ajoute que la dépendance du client vis-à-vis de son éditeur et/ou de son consultant-paramétreur pose un problème encore plus aigu dans le cadre des procédures de marchés publics censées casser les rentes de situation. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’actuelle polémique sur la supposée attribution du projet ACCORD II, suite du médiocre projet du Ministère de l’Economie ACCORD I (modernisation de la comptabilité publique).

Ces projets ont ceci de différent par rapport à leurs prédécesseurs, qu'une fois installés… ils sont indéboulonnables. La dépendance envers l’outil est telle qu’aucune organisation ne peut se permettre de revenir en arrière, même lorsque les performances techniques promises ne sont pas au rendez-vous, que l’appropriation par les utilisateurs est un échec, ou encore que les coûts d’exploitation sont trop élevés. Les offres de "post-implémentation" actuellement commercialisées par des cabinets de conseil et des SSII ne constituent-elles pas la parfaite démonstration de cette fuite en avant ? Les offres ne proposent en effet rien d’autre que de faire fonctionner « de force » ces progiciels qui déçoivent, y compris en simplifiant les règles de paramétrage trop complexes définies à grand frais par des consultants pour le compte du client.

Plus de dix ans après les premières installations, alors que les travaux de recherche s’accumulent, Il est urgent de faire un bilan de ces PGI, autant pour ceux qui ne sont pas encore "tombés dedans" que pour ceux qui doivent désormais "faire avec". En effet, comment améliorer les choses sans accepter la remise en cause d’un certain nombre de postulats et d’idées toutes faites ?

(*) voir sur ce point les travaux de recherche de l’économiste et sociologue Laure Lemaire, "Systèmes de Gestion Intégrés : des technologies à risque ?", éditions Liaisons, 2003


Christophe Deshayes
 
 

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