Yann Lecun, ou le triomphe patient de l'intelligence artificielle

Yann Lecun, ou le triomphe patient de l'intelligence artificielle Le pionnier vénéré du machine learning s'est fait recruter par Zuckerberg qui lui a donné carte blanche. Il dirige désormais le laboratoire parisien de Facebook dédié à l'intelligence artificielle.

Cette biographie est diffusée dans le cadre de l'élection de la personnalité informatique française 2016, organisée par le JDN.

L'intelligence artificielle a la cote, et la France brille dans ce domaine. Une figure très respectée dans ce secteur est même français : il s'agit de Yann Lecun. Né à Paris en 1960, ce chercheur philosophe diplômé de l'École de l'Innovation Technologique (ESIEE) travaille depuis une trentaine d'années sur l'intelligence artificielle et sur sa branche appelée le "deep learning" (apprentissage profond) dont il est l'un des inventeurs. Yann Lecun est aujourd'hui sans doute l'un des scientifiques les plus écoutés dans ce domaine, car ses méthodes sont en train de révolutionner le monde de l'informatique et de la robotique. Celui qui roule aujourd'hui en Tesla et donne des conférences au Collège de France aura pourtant dû patienter avant de connaître la gloire.

Reconnaître l'écriture des chèques

Yann Lecun s'intéresse aux algorithmes capables d'apprendre dès ses études universitaires. Une fois son doctorat obtenu, à l'Université Pierre-et-Marie-Curie, en 1987, il rejoint les Bell Labs, de l'opérateur américain AT&T, pour poursuivre ses recherches sur ce terrain. Il y développe de nombreuses méthodes d'apprentissage automatique, dont certaines seront capables de reconnaître des images, et même des écritures manuscrites. Elles seront ensuite utilisées pour lire les chèques, d'abord au sein d'un premier centre d'expérimentation, au Crédit Mutuel de Bretagne, puis beaucoup plus largement. Au début des années 2000, elles lisaient même plus de 10% des chèques américains.

Pourtant, malgré ce succès, vers le milieu des années 90, ces techniques passent un peu de mode. Peut-être parce qu'elles demandaient vite une puissance de calcul trop impressionnante pour l'époque. Mais Yann Lecun est resté fidèle à ses premières convictions. Déterminé, il a maintenu le cap. Et cela a fini par payer. Il peut aujourd'hui savourer le retour en grâce de l'apprentissage automatique, priorité stratégique chez Microsoft, Google, IBM et bien des ténors de l'informatique (lire Pourquoi le machine learning cartonne dans l'informatique). Il garde pourtant le triomphe modeste.

Recruté par Mark Zuckerberg

C'est en lui donnant carte blanche que Mark Zuckerberg le recrute. Sa mission ? Penser "aux dix prochaines années de Facebook", lui dit alors le patron du réseau social, qui avait lu ses articles scientifiques. Lancée en juin 2015, sous sa direction, l'antenne européenne du FAIR (Facebook Artificial Intelligence Research) est ainsi née. Ce centre de recherche européen consacré à l'intelligence artificielle est basé à Paris.

Les locaux du FAIR de Facebook à Paris © JDN

Pourquoi Paris ? Premièrement parce qu'il existe ici un vivier de scientifiques et de mathématiciens de haut niveau, et deuxièmement, en raison de la volonté de Facebook de tisser des liens et partenariats avec les acteurs majeurs de la recherche française, dont l'Institut National de Recherches en Informatique et en Automatique (INRIA). En bonus, Paris va aussi permettre à Yann Lecun de se rapprocher de ses Côtes-d'Armor tant aimées (il y venait chaque année pour des vacances lorsqu'il était basé aux Etats-Unis), et des Saint Julien qu'il cite comme étant son AOC préférée. Paris sera surtout devenu un haut lieu de l'intelligence artificielle, regardé avec respect depuis les bureaux des dirigeants de la Silicon Valley.

Machines vs Humains

L'unité de recherches placée sous l'égide de Yann Lecun compte déjà une cinquantaine de professionnels. Le personnel travaille sur d'ambitieux projets d'investigation à long terme. Son objectif étant d'améliorer les services de Facebook tels que News Feed. Il s'agit selon Yann Lecun "de faire face au déluge d'informations qui affluent au quotidien". Le travail se concentre surtout sur la conception de logiciels capables de comprendre le langage et les textes, de reconnaître des images et de réaliser des tris intelligents, correspondant aux désirs des internautes. De quoi mieux personnaliser le flux d'actualités remontées par le réseau social (pour approfondir, lire notre entretien avec Yann Lecun, "Nous concevons des compagnons numériques capables de discuter avec vous").

Mais pour le scientifique, l'intelligence artificielle au service de l'informatique n'a pas la prétention d'imiter le cerveau, dont le fonctionnement reste énigmatique. "Il s'agit de découvrir certains principes sous-jacents à l'intelligence qui seraient communs à l'intelligence artificielle et à l'intelligence biologique naturelle", expliquait-il à la Chaire Informatique et Science Numérique du Collège de France lors d'un colloque sur l'apprentissage profond. Les machines n'ont donc pas pris toute notre intelligence, elles n'en sont pas (encore ?) là.