Après deux ans à marche forcée, OVH lève le pied

Après deux ans à marche forcée, OVH lève le pied Le groupe IT français a énormément investi pour une croissance insuffisante de ses activités. Un vaste plan de recentrage est en cours, la masse salariale a été réduite de 300 salariés.

Des investissements gelés, suppression de 300 postes, nouvelles priorités R&D… Le ciel s'est quelque peu assombri chez le champion français du cloud OVH. La faute notamment au dernier exercice fiscal, clos le 31 août 2018 avec un chiffre d'affaires en hausse de 20% (tout de même) au lieu des 30% prévus. Surtout, "la marge brute n'a pas été à la hauteur des attentes. C'est ce qui a posé problème", selon un ex-cadre dirigeant. Des chiffres décevants qui ont conduit dès le mois d'août à la nomination d'un nouveau CEO, Michel Paulin (ex DG de l'activité télécom de SFR), pour remettre l'entreprise dans le droit chemin, après plusieurs années menées à un train d'enfer.

Rappel des faits. En 2016, OVH prend la décision de devenir un hyperscaler. La firme entend concurrencer les géants US et asiatiques du cloud en se déployant sur leurs zones respectives. Le groupe se donne les moyens de ses ambitions : après un crédit syndiqué de 140 millions d'euros en 2013 et un financement (crédit syndiqué et emprunt obligataire) de 267 millions d'euros en 2014, il ouvre pour la première fois son capital en 2017 : contre une participation minoritaire, 250 millions d'euros sont levés auprès de deux fonds américains, KKR et TowerBrook Capital Partners. Ce n'est pas tout : en juin de la même année, l'entreprise décroche une nouvelle ligne de crédit auprès des banques, de 400 millions d'euros cette fois.

"La marge brute n'a pas été à la hauteur des attentes. C'est ce qui a posé problème"

Dans la foulée, OVH annonce un investissement de 1,5 milliard d'euros sur cinq ans. Le groupe vise 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires en 2020, puis 5 milliards en 2025. Il planifie une trentaine de nouveaux centres de données pour atteindre les 50 unités en 10 ans. Depuis aux côté de la France et du Canada, seuls sept ont été mis en production à l'étranger, en Allemagne, en Australie, aux Etats-Unis (en Virginie et dans l'Oregon), en Pologne, au Royaume-Uni et à Singapour.

Début 2017, le rachat du cloud public de VMware (VCloudAir) consolide cette stratégie, en permettant à OVH de renforcer sa présence sur la plaque nord-américaine. Environ 1 500 clients de l'offre VCloudAir ont depuis été migrés vers ses centres de données. OVH revendique désormais 1,3 million de clients et 350 000 serveurs déployés dans 28 data centers à travers le monde. Des serveurs qu'il fabrique en interne dans sa toute nouvelle usine dernier cri de Croix près de son fief de Roubaix et dans celle de Beauharnois au Canada.

La courbe des effectifs suit elle aussi un rythme effréné : 1 500 personnes début 2017,  2 500 mi-2018, 15 000 visés pour 2025 ! "A l'époque, les recrutements étaient suivis chaque semaine au comité de direction. On embauchait dans tous les domaines : des techniciens de support client, des architectes, des commerciaux, des développeurs", témoigne un ancien membre du comex.

L'outre-Atlantique pèse sur les marges

Problème, l'activité, elle, ne tient pas la cadence. Malgré le rachat de VCloudAir, la zone outre-Atlantique pèse sur les marges, et la croissance n'est pas au niveau attendu. Aux Etats-Unis, OVH ne bénéficie pas de la même aura qu'en Europe. D'où l'installation de son fondateur Octave Klaba à Dallas début 2019. "Un départ qui n'est pas définitif", selon les termes du groupe, et qui a pour but de "consolider l'ambition internationale". Un retour en France serait imminent, murmure-t-on dans les couloirs d'OVH.

Second souci : le poids de l'activité d'hébergement sur serveurs dédiés. La ligne de produits représente toujours la plus grosse part du CA d'OVH mais, avec une concurrence accrue de la part des grands providers de cloud, sa croissance ne cesse de se tasser ces dernières années. Les offres de services cloud d'OVH ont beau progresser, elles sont loin de pallier ce ralentissement.

Résultat, les investisseurs s'inquiètent et les têtes sautent. Exit Laurent Allard, recruté comme CEO en 2015, arrive Michel Paulin. Les ambitions à court terme sont revues à la baisse. OVH décale d'un an, à 2021 l'objectif du milliard d'euros de chiffre d'affaires et, pour son exercice fiscal 2019, table sur un prudent +20%, à 600 millions d'euros de CA. Avec un taux de croissance constant, le groupe décrocherait le milliard en 2022, le 1,5 milliard en 2024. Loin des 5 milliards escomptés pour 2025 donc.

"C'est une crise de croissance classique par laquelle passent beaucoup de sociétés"

"C'est une crise de croissance classique par laquelle passent beaucoup de sociétés, analyse un ex-cadre. Les embauches et les investissements dans les nouveaux centres de données ont été trop importants compte tenu de la courbe de développement commercial, notamment sur le cloud." Désormais, OVH doit jouer sur ses marges et pour cela actionne tous les leviers : la pression sur la productivité s'intensifie, l'ouverture de data centers est reportée (Espagne, Italie, Pays-Bas), certaines directions non-stratégiques sont rayées de la carte, d'autres voient leurs effectifs drastiquement réduits. L'investissement dans les très grands comptes, trop consommateur en ressources pour des résultats de long terme, est mis en sourdine, et un repositionnement sur le middle market est amorcé.

Au final, 300 collaborateurs quittent le navire en 2018, mais sans plan de départ en bonne et due forme. Les modalités sont diverses : périodes d'essai non-confirmées, ruptures conventionnelles, démissions de salariés dépités par les réaffectations ou les coupes de budget. A l'heure où nous écrivons ces lignes, le groupe compte 2 200 salariés et, selon un porte-parole, a "repris un bon rythme de recrutement, principalement à l'étranger".

OVH fait également évoluer sa structure. D'une organisation par expertise (technique, marketing, finance, etc.), il se redéploie mi-2018 autour de 6 entités métier : BU Commerce EMEA, BU Commerce US, BU Corporate, BU Industry, BU Operations et BU Product. "On est passé à une société avec nettement plus de procédures, une hiérarchie plus présente, et donc un mode un peu plus pyramidal. La culture de l'entreprenariat interne a mécaniquement été mise en retrait", constate un ancien salarié.

"La culture de l'entreprenariat interne a mécaniquement été mise en retrait"

"En même temps, nuance un autre ex-salarié, on sent qu'Octave Klaba, président du conseil d'administration, a du mal à déléguer. Il conserve un management orienté start-up très centralisé. Quant aux procédures, elles sont loin d'être aussi carrées qu'on pourrait le croire." Illustration, qui date d'avant la réorganisation, avec les nouveaux locaux parisiens, future vitrine internationale du groupe : la fibre n'est pas installée lors de l'ouverture du site en avril 2018, il faudra attendre le mois de septembre suivant pour bénéficier d'une liaison internet digne de ce nom. Dans l'intervalle, des box ADSL ont fait l'affaire. Les implantations de Bordeaux et Nantes ont vécu la même mésaventure. "Un comble pour un groupe qui se dit opérateur télécoms de niveau entreprise (et qui dispose d'ailleurs d'une offre fibre, ndlr)", raille un ex-collaborateur.

Côté marketing, les lignes de produits évoluent. Jusqu'ici classées par technologies (cloud, serveur dédié, serveur mutualisé, hébergement de nom de domaine, télécom…), elles sont regroupées en 4 univers d'usages. Objectif : simplifier le positionnement d'OVH… qui reste présent sur une quarantaine de lignes de produits. "C'est nettement plus qu'AWS qui, lui, n'est pas présent sur les télécoms et à fortiori sur l'hébergement. Comment voulez-vous vous imposer dans le cloud en se dispersant autant ?", s'interroge un ex-membre du codir.

Malgré tout, le groupe conserve son ambition de devenir un hyperscaler. Il envisage toujours de potentiels déploiements de nouveaux data centers en Inde, en Asie-Pacifique et en Amérique latine. Des projets évoqués dans son plan stratégique 2021-2026. En attendant, l'entreprise continue d'investir dans son produit phare. Il vient de lancer Rise, une nouvelle gamme de serveurs dédiés activables en 120 secondes. Il investit aussi massivement dans l'infrastructure Kubernetes pour équiper ses serveurs d'hébergement et ses services cloud d'une surcouche facilitant la bascule d'applications des premiers vers les seconds. En ligne de mire : faciliter le passage à ses offres cloud.

Plusieurs scénarios pour rebondir

OVH doit aussi trouver de nouveaux leviers. Il pourra notamment faire valoir son caractère de cloud souverain européen. "Jusqu'ici, les grands donneurs d'ordre publics français, tant les ministères que les collectivités locales, sont restés plutôt frileux à l'idée de faire appel à OVH pour cloudifier leurs applications. Tout comme les opérateurs d'intérêt vital ou les entreprises rattachées à l'Agence des participations de l'Etat. Ils ont pourtant tout intérêt à voir émerger un géant du cloud français. Sachant qu'il s'agit d'une société franco-française qui conserve sa R&D en France, conçoit et construit ses serveurs dans l'Hexagone, et travaille avec le tissu économique local", rappelle un ancien salarié.

OVH y croit. Le groupe a monté une direction du développement et des affaires publiques pour séduire les partenaires publics et ses efforts commencent  à payer : c'est lui qui hébergera la plateforme de l'UE dédiée à l'IA. 79 partenaires publics et privés issus de 21 des 28 pays membres ont été sélectionnés pour participer à ce chantier coordonné par Thalès.

"L'idée serait de créer autour d'OVH l'équivalent d'un Airbus du cloud en Europe capable de faire face aux Américains"

"C'est une première étape. Mais l'idée serait d'aller beaucoup plus loin en créant l'équivalent d'un Airbus du cloud en Europe, capable d'atteindre les 30% à 40% de croissance nécessaire pour commencer à rattraper les clouds américains", argue un ancien vice-président du groupe. "Chaque acteur européen du cloud pourrait se spécialiser dans un domaine : le public cloud, le private cloud, le VPS, le machine learning, les grands comptes…. Pour la France, on pourrait mettre autour de la table OVH, Outscale, Qwant et Scaleway." Un consortium industriel qui se baserait sur des briques open source communes pour assurer l'interopérabilité des plateformes en présence, et faciliter le portage des applications clients de l'une à l'autre. Une philosophie d'ailleurs en partie dessinée par OVH via la création fin 2017 de l'Open Cloud Foundation. Un projet depuis mis sur la touche.

Seconde piste : la croissance externe. Face aux providers américains et asiatiques, le marché européen du cloud est morcelé et ne demande qu'à se consolider. Sur ce point, on peut aisément imaginer un rapprochement d'OVH avec Scaleway, le cloud du groupe Iliad. Son patron, Xavier Niel, a déjà fait plusieurs appels du pied à OVH. En octobre 2017, sur BFM Business, il qualifiait Octave Klaba "de génie […], de héros français". Et il n'a pas hésité à entrer en mars 2018 au conseil d'administration du puissant fonds américain KKR, actionnaire d'OVH.

Enfin, l'entrée en bourse est une option. Michel Paulin est un fin connaisseur du sujet : avant d'œuvrer au rapprochement de SFR et Neuf Cegetel en 2008, il avait orchestré l'IPO de ce dernier. L'apport de fonds permettrait à OVH de renforcer ses capacités d'investissement, et de reprendre le chemin de la conquête. A grands pas.

Interrogé, OVH n'a pas souhaité livrer ses prévisions d'évolution de ses activités serveurs dédiés et services cloud. "Concernant une éventuelle entrée en bourse, l'entreprise rappelle que l'investissement pour la période 2016-2020 "est assuré" et déclare que "l'étape suivante de croissance peut se faire à travers plusieurs scénarios de financement, aucun n'est privilégié à ce stade". Sur Twitter, le groupe précise également que 180 postes sont ouverts actuellement.

Suite à la publication de cet article, Octave Klaba, président du conseil d'administration d'OVH, a publié un post sur le blog officiel du groupe.