La fiscalité
du commerce électronique
|
Rubrique
coordonnée par Christiane Féral-Schuhl
avocat associé, cabinet FG Associés |
L'émergence du commerce électronique
met en évidence un certain décalage entre le fonctionnement
de l'internet et les principes classiques de la fiscalité
: la dématérialisation des transactions et l'anonymat des
opérateurs rendent largement inapplicables les concepts habituels
de frontière fiscale et de souveraineté nationale en matière
d'impôt. Juridiquement, les règles préexistantes ont vocation
à s'appliquer à l'internet. Cependant les spécificités de
l'internet laissent prévoir l'insuffisance de ces règles en
matière fiscale. Ainsi il existe déjà des dispositions fiscales
propres au commerce électronique, tant en droit interne qu'au
niveau communautaire ou international. Pour mesurer la portée
concrète de ces dispositions, en ce qui concerne les principaux
impôts, il convient d'analyser la situation du commerce électronique
en matière d'impôts sur les bénéfices et de taxe sur la valeur
ajoutée.
Où
taxer les bénéfices tirés d'un commerce électronique ?
Dans une vente internationale
conclue sur l'internet, la première difficulté consiste à
déterminer le lieu où est réalisé le profit. L'internet permet
en effet à une entreprise étrangère de réaliser une vente
en France par l'intermédiaire de son site web, sans y avoir
aucune présence matérielle (" site virtuel "), ou sans y avoir
d'autre présence qu'un simple serveur (" site hébergé ").
Or le critère traditionnel en matière d'imposition internationale
des bénéfices repose sur la présence physique des parties
dans l'un ou l'autre Etat.
Le
critère traditionnel de l'établissement stable
Ce critère, issu de la convention-modèle
élaborée par l'OCDE, est celui de l'établissement stable :
" les bénéfices d'une entreprise d'un Etat contractant ne
sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise
n'exerce son activité dans l'autre Etat par l'intermédiaire
d'un établissement stable qui y est situé. " Un établissement
stable étant défini comme " une installation fixe d'affaires
par l'intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout
ou partie de son activité ", cette définition comprend les
filiales, succursales, bureaux, représentants permanents,
etc. L'OCDE a récemment proposé à ses Etats membres d'adopter
une interprétation commune de la notion d'établissement stable
appliquée au commerce électronique (Rapport du Comité des
affaires fiscales de l'OCDE, conditions cadres pour l'imposition
du commerce électronique).
L'adaptation
de ce critère au commerce électronique
Tout d'abord, la distinction entre
le site web et le serveur informatique deviendrait essentielle
: le site web, combinaison de données et de logiciels, ne
peut être considéré comme un actif corporel localisable, et
ne peut donc constituer un établissement stable. A l'inverse,
le serveur d'hébergement présente une certaine fixité, et
pourrait donc être assimilé à un établissement stable. Ainsi
dans le cas du " site virtuel ", cette position revient à
éliminer toute possibilité que l'entreprise étrangère se voie
reconnaître en France un établissement stable. Dans le cas
du " site hébergé ", l'entreprise étrangère ne pourra avoir
un établissement stable en France que si elle possède elle-même
le serveur d'hébergement. En effet, dans l'hypothèse où le
serveur d'hébergement est détenu par une entreprise indépendante,
celle-ci ne peut constituer un établissement stable de l'entreprise
étrangère. En pratique, une large majorité des sites web commerciaux
ne devrait pas constituer d'établissement stable, dans la
mesure où la plupart des serveurs d'hébergement sont détenus
par des prestataires de services qui louent leurs équipements
à des entreprises commerciales. Par ailleurs, la caractérisation
d'établissement stable ne dépendrait plus d'une présence humaine,
critère qui reste fondamental dans la définition actuelle.
Un équipement automatisé pourrait ainsi constituer un établissement
stable, à condition d'être maintenu pendant une durée suffisamment
longue dans un même lieu. Le gouvernement français a d'ores
et déjà adopté une position proche de celle proposée par l'OCDE
: la première Réponse Ministérielle de Chazeaux prévoit ainsi
que "ce n'est que dans des cas exceptionnels, où l'entreprise
étrangère disposerait de son propre équipement informatique
en France et emploierait du personnel pour le faire fonctionner,
qu'il serait possible de considérer que cette entreprise dispose
d'un établissement stable en France". Seule différence notable
avec la notion de l'OCDE, le droit interne continue de retenir
le critère tiré d'une présence humaine (n° 15728, J.O. A.
N. du 26 octobre 1998, p. 5849). La position française est
en tout état de cause appelée à évoluer en fonction de celle
qui sera définitivement adoptée dans le cadre de l'OCDE. Il
restera alors à élaborer des règles de détermination des bénéfices
de l'établissement stable : dans le contexte particulier du
commerce électronique, le rattachement des charges et produits
n'ira pas sans difficultés.
Comment
appliquer la TVA aux transactions réalisées via l'internet
?
En matière de TVA, le commerce
électronique pose des difficultés plus importantes qu'en ce
qui concerne l'imposition des bénéfices. La seconde Réponse
Ministérielle de Chazeaux précise que ces règles de droit
commun sont applicables au commerce électronique (n° 15729,
J.O. A. N. du 26 octobre 1998, p. 5850). Cependant leur application
ne va pas sans difficultés.
Rappel
des règles de droit commun d'imposition à la TVA
Pour l'imposition à la TVA d'une
transaction entre un opérateur étranger et un client français,
les règles fiscales conduisent à distinguer les hypothèses
qui suivent.
- En ce qui concerne les livraisons
de biens, dans le cas d'une acquisition intracommunautaire
réalisée par un acheteur non assujetti, la TVA est due en
France si le montant annuel des opérations réalisées en
France par le vendeur dépasse 700.000 FF ; dans ce cas,
le vendeur doit désigner un représentant fiscal. En deçà
de ce seuil, la TVA du pays du vendeur s'applique. Les biens
d'une valeur inférieure à 150 FF, si l'acquisition est faite
auprès d'un professionnel, ou d'une valeur inférieure à
300 FF dans les autres cas, sont exonérés. Dans le cas d'une
acquisition intracommunautaire réalisée par un acheteur
assujetti, la TVA est due en France. Dans le cas d'une acquisition
réalisée auprès d'un vendeur établi hors d'Europe, la TVA
est due en France (désignation d'un représentant fiscal
par le vendeur), que l'acheteur soit assujetti ou non.
- En ce qui concerne les opérations
de prestations de services, il faut distinguer les prestations
de services classiques où la TVA est due dans le pays d'établissement
du prestataire, des prestations de services immatérielles
(article 259 B du CGI). Dans cette hypothèse, si le client
français est un assujetti, la TVA est due en France et versée
par lui (autoliquidation). Si au contraire le client est
non assujetti, il convient de distinguer : si le prestataire
est établi dans l'Union européenne, il doit payer la TVA
dans son pays d'établissement ; s'il est établi hors d'Europe,
la TVA est due en France et il doit désigner un représentant
fiscal.
Difficultés
de qualification des transactions électroniques au regard
de la TVA
La distinction classique entre
livraisons de biens et prestations de services est difficile
à appliquer au commerce électronique on line. La livraison
d'un bien par téléchargement (livres, logiciels, etc.) fait
en effet perdre sa forme physique à une opération qui devrait
être considérée comme une livraison de biens. L'administration
fiscale française, l'OCDE et la Commission européenne considèrent
ainsi que la fourniture de biens sous forme numérique doit
être considérée comme une prestation de services immatérielles
soumise au régime spécifique décrit plus haut. Cette position
peut sembler discriminatoire à l'égard du commerce électronique,
dans la mesure où les prestations de services sont soumises
à un taux de TVA unique, alors que les livraisons de biens
sont soumises à des taux différenciés selon les produits livrés.
Ainsi, par exemple, la presse écrite est soumise à un taux
de TVA de 2,1 %, alors que la presse électronique est soumise
au taux de droit commun de 20,6 %.
Difficultés
de localisation des opérateurs en matière de TVA
Le commerce électronique pose également
problème au regard de la localisation des opérateurs. Dans
le cas des prestations de services, le lieu d'imposition dépend
en effet souvent du lieu d'activité du prestataire. Pour cette
règle, le critère de localisation du prestataire est constitué
par le siège de son activité, à défaut par un établissement
stable. La Cour de Justice des Communautés européennes (Arrêts
Berkholz du 4 juillet 1985, Lease Plan Luxembourg du 7 mai
1998) considère qu'un établissement stable requiert " la réunion
permanente de moyens humains et techniques nécessaires aux
prestations de service en cause ". Cette jurisprudence revient
à considérer qu'en l'absence de toute présence humaine, ni
un site web ni un serveur ne peuvent constituer un établissement
stable. L'adaptation de cette notion semble d'autant plus
nécessaire que la solution envisagée au niveau communautaire
consisterait à soumettre l'ensemble des transactions électroniques
au régime des prestations de services immatérielles.
Conclusion
Malgré de nombreuses difficultés,
l'adaptation des règles fiscales existantes au commerce électronique
a déjà atteint un certain avancement. Par ailleurs, l'OMC
ainsi que la Commission européenne ont récemment réaffirmé
leur opposition à l'introduction de tout impôt nouveau spécifique
à l'internet. Cette évolution permet de penser que l'idée
de la bit tax est définitivement abandonnée. L'OCDE prévoit
d'aboutir courant 2000 à une définition commune de l'établissement
stable appliquée au commerce électronique. Les opérateurs
du commerce électronique devraient donc être rassurés par
cette clarification prochaine des règles d'imposition des
bénéfices. Toutefois, il n'en va pas de même en matière d'impôts
indirects où les spécificités du commerce électronique nécessiteront
une réflexion plus approfondie.
Wendy KOOL, Matthieu
CHERNET
Avocats à la Cour
Salans Hertzfeld & Heilbronn
|
|