INTERVIEW
 
03/03/2008

Christophe Deshayes (Documental) : "Paraxodalement, aucune DSI ne crée d'innovation technologique informatique"

Les attentes des directions générales vis-à-vis de leur DSI en termes d'innovation sont à l'origine d'un énorme quiproquo. Le DSI n'est en effet pas l'homme de l'innovation technologique informatique. Comment peut-il dès lors se distinguer ?
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Les entreprises semblent attendre de plus en plus de leur DSI en matière d'innovation. Quelles peuvent être les attentes des directions générales ?

 
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  • Christophe Deshayes : PDG, Documental
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Tout d'abord, il faut bien admettre que l'innovation est à la mode dans le discours managérial. L'effet de mode est tel qu'il est parfois difficile d'identifier les préoccupations les plus authentiques. Dans tous les cas, elles renvoient vers le cœur de l'entreprenariat : l'attractivité client, la différenciation vis-à-vis des concurrents, le risque... et les rentes de situation.

Dans un monde de plus en plus numérique où les TIC sont omniprésentes, il est assez naturel de penser que les systèmes d'information sont indispensables aux recherches d'innovation.

Comme le discours sur l'innovation se focalise presque toujours sur la seule innovation technologique, il est facile de comprendre comment le DSI se retrouve candidat désigné pour jouer un rôle essentiel dans l'innovation, du moins dans les organisations qui n'ont pas une culture technologique affirmée, c'est-à-dire dans la majorité des organisations.

Qu'en est-il des entreprises où cette culture technologique est plus affirmée ?

Dans les entreprises technologiques, le rôle du DSI dans l'innovation est beaucoup plus limité. Il se réduit souvent au rôle de "prestataire de services " pour l'usine à innover que représente la direction R&D.

Dans les entreprises technologiques qui vendent des technologies informatiques, personne n'attend rien de la part du DSI en matière d'innovation.

De quels moyens dispose le DSI pour satisfaire sa direction ?

En vérité, il y a un énorme quiproquo. Le "mandat " confié au DSI en matière d'innovation se construit sur son aura technologique et sur l'omniprésence des TIC dans la société moderne. Mais, en fait, aucune DSI ne crée de l'innovation technologique informatique.

Pour preuve, aucune DSI ne dépose de brevet informatique. La seule "innovation technologique" réside dans l'introduction dans l'entreprise et ses processus d'une innovation technologique inventée ailleurs. Il s'agit alors de veille technologique, de transfert de technologie, bref de gestion de la technologie. C'est absolument essentiel mais il faut être clair, il ne s'agit pas d'innovation technologique.

Mais alors, quel rôle peut jouer le DSI en matière d'innovation ?

En fait, le DSI peut jouer un rôle important dans l'innovation non-technologique. Ce type d'innovation est vaste. On peut parler d'innovation par l'introduction de nouveaux modèles économiques, permis et aidés par les SI, d'innovation par les usages pour ne pas dire par les usagers, d'innovation informationnelle qui consiste à créer de nouvelles informations en croisant des informations existantes...

On peut aussi parler d'innovation organisationnelle, dont le wiki est un exemple récent qui n'a rien de technologique, d'innovation de posture ou encore d'innovation par le design, dont Apple démontre depuis quelques années à quel point cela peut suffire pour doper ses ventes et résister à la concurrence.

Le point un peu délicat dans cette histoire, c'est que la légitimité apparente du DSI porte sur l'innovation "technologique", alors qu'il n'a aucune possibilité d'opérer sur ce terrain. En revanche, il peut avoir une contribution significative sur l'innovation non-technologique notamment grâce à un usage intensif et intelligent des TIC. Or, sa légitimité sur l'innovation non-technologique est tout sauf naturelle. Il y a là un petit travail d'explication de texte pour lever le risque presque certain de quiproquo...

Toutes les innovations non-technologiques induisent-elles le même quiproquo ?

Non, pas tout à fait. L'innovation informationnelle est, de ce point de vue, la moins problématique. Créer de l'information, ou représenter de manière innovante une information existante, soit par croisement et rapprochement de données, soit par capture innovante (exemple de la RFID, des shotcodes...), peut s'avérer une innovation majeure incontestable.

C'est le type d'innovation préféré de Google, avec ses liens sponsorisés, ses applications cartographiques, etc. Pour parvenir à un tel résultat, il n'est en rien nécessaire d'inventer une nouvelle technologie informatique, mais plutôt d'appliquer intelligemment la technologie existante sur le marché, que cette technologie soit récente ou non.

Sur ce type d'innovation non-technologique, la légitimité du DSI n'est pas trop problématique puisque, après tout, il est Directeur des Systèmes d'Information. En revanche cette innovation pose des problèmes d'acceptabilité sociale car l'innovation en la matière débouche souvent sur une information très personnalisée qui empiète très vite sur des problématiques de vie privée.

Le DSI est-il compétent et surtout légitime pour s'assurer que ce type d'innovation ne finira pas par déclencher des phénomènes de rejet de la part des clients ou des collaborateurs de l'entreprise ? Or, si le DSI ne se préoccupe pas de ces problèmes, on sait que l'entreprise ne les traitera pas non plus.

A titre d'exemple, il existe plusieurs entreprises dans le monde (Gilette, Metro...) qui ont déjà eu à affronter les foudres d'associations de consommateurs, remontées contre leurs projets d'innovation informationnelle jugés trop invasifs, fondés sur le déploiement de puces RFID.

Comment, finalement, résumer le rôle du DSI dans l'innovation ?

Il est potentiellement très varié, ce qui est d'ailleurs une vraie difficulté en soi. Le rôle le plus connu est celui d'éclaireur des TIC dans l'entreprise, c'est de la veille technologique, ou du transfert de technologie innovante en provenance de l'extérieur.

Le deuxième que l'on vient d'évoquer est celui de contributeur central (qui ne veut pas dire dominant) dans les nombreuses innovations non-technologiques en lien avec les SI. Un exemple typique est le changement de modèle économique, comme par exemple passer d'une facturation à l'acte à une facturation au forfait ou réciproquement. Une innovation totalement impensable sans un SI intimement mêlé au processus et au produit de l'innovation.

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Le troisième et, peut-être, le plus insolite est celui de réducteur de risque. L'innovation est un risque. Un risque pour l'inventeur de l'innovation mais aussi pour ceux qui l'utilisent du moins au début. Si l'entreprise doit prendre des risques notamment avec des technologies innovantes externes mais pas toujours très fiables, le DSI doit pouvoir aider à réduire les risque pris. Il est à cet égard dans une zone de compétence technique sur laquelle il est naturellement légitime. On pourrait qualifier ce rôle de voiture balai.

On comprend bien qu'il n'est pas aisé de jouer tous ces rôles en même temps, ni même d'avoir la crédibilité nécessaire pour jouer à la fois l'éclaireur, l'acteur central et la voiture balai. L'innovation n'est pas qu'un effet de mode, le lien avec les SI est évident, multiple et ambigu, le DSI a intérêt à en percevoir toute sa diversité, ses paradoxes et ses quiproquos potentiels surtout dans des périodes économiques plus tendues.



Cet entretien fait suite à la restitution des travaux menés sur ce thème lors de la quatrième université d'été de Documental, qui a vu universitaires et DSI se rencontrer. Christophe Deshayes est P-DG fondateur de Documental.


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