INTERVIEW 
 
Isabelle Riquier
Ergonome
BNP Paribas
Isabelle Riquier
"J'utilise des notions en physiologie pour donner mes recommandations"
Ergonome depuis 22 ans au sein de la grande banque française, Isabelle Riquier travaille essentiellement sur les questions d'accessibilité des sites Web.
19/05/2005
 
Web-ergonome
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JDN Solutions. Quel est le profil type du Web-ergonome ?
Isabelle Riquier. C'est une question de tempérament : il faut être persévérant, tenace, ouvert, être sûr de ce que l'on dit. Etre ouvert et adopter une attitude d'aide. C''est un travail d'équipe dans lequel on propose un éclairage sur le plan ergonomique. Il faut donc être aussi dans le compromis, à l'écoute.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes diplômés qui souhaitent exercer ce métier ?

Pour entrer dans le monde de l'entreprise, il ne faut pas avoir l'esprit du chercheur. Au contraire, il faut que le jeune diplômé comprenne que l'entreprise lui demande de produire des solutions concrètes, ou bien des compromis. Il faut qu'il mette en avant son esprit pragmatique et s'adapter rapidement à son contexte de travail. Il faut qu'il s'attende à collaborer avec les équipes de projets, et à reformuler et retraduire constamment les besoins.

Quelle est votre activité précise ?
Je participe à la conception des interfaces : je donne des conseils en interne pour répondre aux besoins des utilisateurs et faciliter leur activité. Mon objectif est de rendre l'information accessible à tous les utilisateurs. De plus, je dois vérifier qu'il n'y a pas d'aberration sur les sites. Pour donner un exemple, je vérifie que les couleurs sont bien adaptées aux daltoniens et les typographies aux mal voyants.

A quel moment intervenez-vous dans le processus de conception ?
J'interviens à tous les niveaux, mais c'est mieux quand je suis présente dès le début avec la maîtrise d'ouvrage, le plus en amont possible du projet. A ce moment là, l'équipe de conception et moi-même définissons ensemble le périmètre d'action ergonomique : côté client, côté Web ou nouveaux médias. Pour chacun de ces domaines, nous avons des normes ergonomiques qui doivent être lues et prises en considération par les chefs de projet. Je leur donne des conseils et valide leurs choix, au fur et à mesure que progresse le projet.

"Je dois vérifier qu'il n'y a pas d'aberration sur les sites"
Quelle est votre formation ?
Après une maîtrise de psychologie expérimentale, j'ai fait un DESS d'ergonomie à Paris V. Dès ma 1ère année en psychologie cognitive, j'avais choisi de m'orienter plus tard en ergonomie car pour moi, cette discipline fait le pont entre l'être humain et son milieu, et notamment son environnement de travail, ma préoccupation principale. Mais ma base est la psychologie cognitive : pour résumer rapidement, on y apprend la façon dont fonctionne le cerveau d'un individu, avec des cours en psychologie et des cours en physiologie.

Est-il nécessaire d'avoir suivi des études en psychologie cognitive pour être Web-ergonome ?
Une autre formation est tout à fait possible. Néanmoins, je pense que la psychologie cognitive est bien adaptée au domaine de l'ergonomie car il s'agit justement de s'intéresser à la façon dont les individus perçoivent, pensent, mémorisent et agissent. Et c'est justement ce que l'on étudie en psychologie cognitive: le fonctionnement humain. L'objectif de l'ergonome est d'adapter le travail à l'homme, donc de prendre en considération les lois naturelles, les facteurs humains qui régissent l'homme et les contraintes liées à la tâche.

Quelles connaissances utilisez-vous en particulier dans votre travail ?
J'utilise les notions de physiologie inhérentes à l'audition, à la vision et la mémoire. A ce sujet, la Gestalt théorie a énoncé plusieurs lois sur la perception chez l'homme. Donnons des exemples : la loi de similitude explique les caractéristiques de la vision pour mieux discriminer formes, couleurs et tailles. La loi de continuité donne des indicateurs sur les avantages et inconvénients des alignements horizontaux et verticaux des textes HTML, etc. Ou encore la loi de proximité : sur une page Web, la perception d'éléments rapprochés ne se fait pas de façon unitaire : l'internaute ne verra pas le détail des éléments mais un ensemble. Le travail du Web-ergonome est de les mettre en valeur afin de mieux les discriminer.

Vous parlez de lois applicables à tous les hommes. Pourtant, tout le monde ne fonctionne pas de la même manière ?
Ce qui est universel, ce sont les lois physiologiques qui indiquent les limites perceptives chez l'homme dans une culture donnée. Et ce qui varie, ce sont les caractéristiques liées à la tâche, les besoins, les objectifs, les attentes, mais aussi l'âge, le type de handicap, les compétences, le métier, etc. L'action de recherche d'information sur un moteur dépend de tous ces facteurs là, mais obéit à des lois généralisables pour tous. Donc oui, tout le monde ne fonctionne pas de la même façon ! Et le métier du Web-ergonome, c'est de prendre en compte les particularités de la population cible. Mais pour faire un site bien structuré qui s'adresse au plus grand nombre, il faut comprendre ce qu'il y a de commun chez tout le monde, en respectant les différences, ou les contraintes de chacun.

Vous pouvez donner un exemple ?
Oui. Par exemple dans le monde bancaire, il y a un vocabulaire spécifique dans le réseau d'exploitation -les conseillers en agences, ou encore les grandes plateformes en charge de vendre ou d'acheter les valeurs boursières. Les métiers sont différents. Mais notre façon de rechercher quelque chose sur un site est la même, au-delà du vocabulaire spécifique du domaine d'activité. C'est ce qu'il faut identifier.

L'ergonome interroge, teste et mesure, ce qui réduit les incertitudes et les erreurs de conception"
Quels critères le Web-ergonome prend-il en compte dans la conception d'un site Internet ?
L'ergonome identifie les besoins de l'internaute, le contexte -le type de site et le type d'activité, les caractéristiques de sa tâche et les contraintes physiologiques, sachant que ces 4 critères sont interdépendants. Concevoir un site Internet n'est pas un simple remplissage, un contenu lié uniquement aux services que l'on veut proposer. C'est aussi mettre en œuvre la façon dont la cible s'y prend pour tel ou tel acte. Il faut identifier les logiques d'action des internautes.

Avec quelle approche ?
Avec une approche centrée utilisateur. Pour l'ergonome, le média doit s'adapter à des habitudes de comportements et à des représentations mentales construites socialement, donc lié à une culture particulière. Du coup, on s'interroge sur le comment et non seulement sur le quoi. Par exemple, comment ma population cible s'y prend-elle pour réaliser telle tâche ? De quoi a-t-elle besoin pour que sa tâche soit intuitive, fluide, facile, que ce soit pour les mal voyants, les daltoniens, les personnes âgées, les jeunes, les novices de l'informatique ou les expérimentés, etc. Et de façon générale : quels sont les facteurs humains à prendre en compte pour telle activité ?

Le chef de projet, le directeur artistique ou l'ingénieur ne prennent-ils pas en compte les facteurs humains ?
En général, ils ont un profil technique ou artistique. Et force est de constater que, souvent, ils construisent une interface de façon générique, sans prendre en compte le mode de lecture naturel de l'internaute. S'ils s'interrogent sur les usages, ils sont plus dans l'hypothétique, alors que l'ergonome est dans les faits : il teste, il interroge, il mesure, ce qui réduit les erreurs et les incertitudes. Nous nous complétons car nous avons des approches différentes, ce qui permet de développer un site plus riche, complet, en répondant aux besoins des utilisateurs.

Le Web ergonome doit-il pas avoir des connaissances techniques particulières ?
Si, bien sûr : on doit savoir comment on fait une page Web et les différents outils de développement. Cela nous permet de ne pas tomber dans le piège des développeurs ou chefs de projet quand ils nous disent que nos recommandations ne sont pas réalisables, que cela demande trop de lignes de code, ou encore que l'outil est limité. Il faut donc une bonne connaissance des propriétés des outils pour savoir ce qui est possible et ce qui ne l'est pas. Le métier de l'ergonome est différent de celui du développeur, mais ils sont complémentaires.

Web-ergonome
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Quelles méthodes et outils utilisez-vous pour faire vos recommandations ergonomiques sur les sites Web ?
Au moment des maquettes, je formule des préconisations en m'appuyant sur mes acquis, les conseils d'autres ergonomes et certains articles de la norme ISO 9241 qui concerne l'ergonomie des logiciels: je regarde ce qui est adapté ou non. Il y a aussi des outils sur Internet qui me permettent de voir comment une couleur se dégrade en fonction du type d'anomalie de la vision chromatique. Je fais aussi des observations à côté des utilisateurs en interne, mais ça ne concerne pas les sites publics, c'est uniquement pour les intranets.
 
Propos recueillis par Laëtitia LE TAC, JDN Solutions

PARCOURS
 
 
Isabelle Riquier, ergonome chez BNP Paribas

PARCOURS :
1983 : Entre à la Banque Nationale de Paris en tant qu'ergonome.
1982/83 : Chez Bertin, étudie le dialogue HM des terminaux de composition, puis à la Shell Française les postes de travail.

FORMATION :
1982 : DESS d'Ergonomie à Paris V
1981 : Maîtrise de psychologie cognitive à Poitiers

   
 
 
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