De Matrix à Matrice (épisode 11)

Épilogue. Cette chronique clôt une série d’articles visant à explorer la collaboration de l’homme et de la machine à l’heure de l’IA, au travers d’une matrice que nous avons proposée comme grille d’analyse.

Usages possibles

Par-delà l’analyse ponctuelle de quelques algorithmes, il convient d’identifier les utilisations possibles de cette matrice à plus long terme. Voici donc une première série d’usages envisageables :

Dans le cadre du développement informatique, les codeurs sont de plus en plus confrontés à une intelligence artificielle ou à des algorithmes qu’ils développent, enrichissent, maintiennent, étudient, utilisent, subissent.

Dans des environnements industriels ou logistiques, dans lesquels les hommes ne sont plus des OS2 depuis longtemps et travaillent de plus en plus avec des robots toujours plus intelligents.

Dans le secteur du digital, naturellement, au sein duquel le service proposé par de nombreuses start-up repose largement sur des algorithmes que les salariés de l’entreprise managent et traitent finalement comme des travailleurs, des collaborateurs, une nouvelle génération de collègues, en somme.

Pour les ressources humaines et les managers soucieux de production, de productivité, de bien-être au travail, de marque employeur et qui voient de plus en plus leurs équipes ou collaborateurs interagir directement ou indirectement avec des algorithmes (cachés derrière les applications qu’ils utilisent, par exemple).

Pour les politiques confrontés à des phénomènes inédits comme Google (qui touche à la connaissance) ou Airbnb et consort (qui uberisent des secteurs réglementés), ou d’autres, qui influent sur la cybersécurité, ou la cyberdélinquance…

Pour le législateur devant déterminer la responsabilité des uns ou des autres, par exemple, dans le cadre d’un accident causé par une voiture autonome, conduite par un algorithme, qui sont les responsables? Le chauffeur à bord qui n’a pas utilisé le mode manuel, le constructeur du véhicule, le développeur de son algorithme, etc. ?

Dans le domaine de la santé, où les patients laissent de plus en plus des machines collecter des données sur eux, face à un corps médical dont le métier est littéralement colonisé par les nouvelles technologies…

Dans l’éducation, où l’on sait qu’une partie du succès revient au travail personnel de celui qui reçoit un enseignement, dans un monde où chaque élève recourt de plus en plus à Wikipedia, Google et consorts pour se documenter.

Etc.

Précautions

L’utilisation de cette matrice devra néanmoins être assortie de précautions. Elles auront tantôt des origines scientifiques, méthodologiques ou pratiques. Parmi les principales, nous pouvons déjà mentionner celles qui figurent ci-dessous :

Le caractère mouvant et hyper évolutif dans lequel fonctionnent les algorithmes (le digital) rendent toute conclusion à leur sujet susceptible d’être frappée d’obsolescence ou même tout simplement invalidée.

La plus ou moins grande perméabilité des individus face aux machines est un élément à prendre en compte. Il est clair qu’un critère comme la génération de l’individu influencera sur la collaboration homme-machine, celui de la nationalité également (les français sont particulièrement sensibles aux questions relatives à la vie privée, à la confidentialité des données, etc. là où les chinois le sont beaucoup moins).

La jeunesse des algorithmes étudiés est aussi à prendre en considération. Rappelons qu’ils ont été développés vite, dans des environnements eux-mêmes nouveaux, avec des technologies émergentes. Il serait donc malvenus de tirer des conclusions trop sévères ou trop hâtives à leur endroit.

L’opacité des entreprises qui éditent ces algorithmes, souvent entourés de beaucoup de secret, est un facteur déterminant dans la véracité de l’analyse.

Les biais liés à la qualité et la fiabilité des données utilisées par l’algorithme sont un élément crucial qui influence nécessairement leur efficience.

La propension de l’homme à demander aux algorithmes de lui ressembler en produisant une intelligence (artificielle) ressemblant par certains aspects à la sienne propre, plutôt qu’à lui être différente, voire étrangère. Rappelons que c’est lorsqu’il a cessé de copier la nature, et notamment les oiseaux, que l’homme a trouvé la solution pour faire voler des avions, qui n’ont aujourd’hui plus rien à voir avec un quelconque animal volant.

La maturité des algorithmes, qui sont encore dans leur propre enfance, sachant qu’ils grandiront peut-être trop vite du fait de leur capacité d’auto-apprentissage hyper rapide, est aussi à garder en tête.

Prochaines étapes

La fécondité de cette première réflexion est établie. Vous l’aurez compris, la démarche est spéculative, ouverte, en cours et ressemble à de la peinture fraîche. Rien de définitif ici, puisque nous sommes dans le monde digital, où l’open innovation est désormais une réalité, la collaboration transverse, une possibilité et la mise à jour, une nécessité perpétuelle.

Place à présent au crowdsourcing avec vos contributions et vos commentaires que nous attendons. Si des machines se sentent capables d’apporter leur pierre à l’édifice, elles sont plus que les bienvenues.

Les témoignages, les réactions, les enrichissements intellectuels, les dons ou la mise à disposition de ressources (machines, cerveaux, labs, etc.) sont également bienvenus.