Editeurs/ESN, soyez vigilants dans la démonstration de l'originalité de vos logiciels !

Un logiciel ne peut être protégé par le droit d’auteur que sous réserve d’en démontrer l’originalité. Un arrêt récent de la cour d’appel de Douai illustre cette limite dans le cadre d’un contentieux en contrefaçon de droits d’auteur sur un logiciel.

Un logiciel est susceptible de faire l’objet d’une protection par le droit d’auteur, sous réserve que son originalité puisse être démontrée. Un arrêt de la Cour d’appel de Douai en date du 5 avril 2018 révèle la difficulté de démontrer l’originalité d’un logiciel dédié à un secteur très réglementé.

Dans cette affaire, le Conseil général de l'Eure a souscrit en 1997 une licence d'utilisation du logiciel Arkhéïa, développé par la société Anaphore pour l'accès et la gestion de ses fonds d'archives.

Dans le but d’optimiser son service d’archivage, le Conseil général de l’Eure a souhaité se doter d’une solution informatique globale. Pour ce faire, il a lancé en 2013 une procédure de marché public au cours de laquelle il a rédigé un cahier des clauses techniques particulières (CCTP) détaillant ses besoins et attentes.

Au début du mois d’août 2013, la société Anaphore a écrit au Conseil général de l’Eure lui reprochant d’avoir décrit, avec une extrême précision, l’architecture générale de son logiciel, la structure de ses données et de ses modes opératoires qu’elle estimait très spécifiques, et d’avoir ainsi renseigné tous ses concurrents commerciaux sur son savoir-faire, tout en citant à de multiples reprises son logiciel et présentant même des captures d’écran de ce dernier.

Aucune solution amiable n’ayant été trouvée entre les parties, la société Anaphore, éditrice du logiciel a assigné le Conseil général de l’Eure pour contrefaçon de son logiciel devant le Tribunal de Grande Instance de Lille.

M.X en qualité d’auteur du logiciel est intervenu volontairement dans le cadre de la procédure aux côtés de la société Anaphore.

Le Tribunal les a déboutés de leurs demandes en contrefaçon considérant que l’originalité du logiciel n’avait pas été démontrée.    

En cause d’appel, la société Anaphore a demandé à la Cour de dire et juger que l’originalité du logiciel est présumée. Elle a également produit un rapport d’expertise privé attestant, selon elle, de l’originalité de son logiciel.

Dans son arrêt, la Cour d’appel de Douai rappelle dans un premier temps que « pour être considéré comme original et bénéficier ainsi de la protection du droit d’auteur, un logiciel doit révéler un apport intellectuel propre et un effort personnalisé caractérisant les choix opérés par son concepteur ».

Ele reprend également la définition classique de la notion « d’effort personnalisé », qui renvoie au fait d’aller « au-delà de la simple mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante ».

Ce faisant, la Cour rejette les prétentions de la société Anaphore quant à une originalité présumée de son logiciel et énonce qu’il appartient à la partie qui invoque la protection d’un logiciel par le droit d’auteur d’en prouver l’originalité.

A ce titre, la Cour considère que le rapport d’expertise privé produit au débat par la société Anaphore n’est pas de nature à caractériser cette originalité.

La Cour relève que « si ce rapport revêt la valeur juridique d’une simple information, il ne suffit pas, en tout état de cause, à démontrer l’existence d’éléments originaux alors que son auteur s’est fondé exclusivement sur les déclarations de M. X., qu’il ne précise pas avoir examiné directement la solution informatique, qu’il procède par voie d’affirmation et qu’il ne fournit aucune démonstration effective de l’apport créatif de la société Anaphore et M. X. » ;

Pour motiver sa décision, la Cour note également que la société Anaphore et M. X. énoncent, dans leurs propres écritures, que “Le créateur du logiciel Arkhéïa a entièrement refondu son travail en 1997 afin que celui-ci soit conforme aux exigences apportées par la circulaire 97-4″, ce qui apparaît exclusif de toute originalité propre à une œuvre de l’esprit protégeable.

Cette décision se situe dans le droit fil de la jurisprudence récente, beaucoup plus sévère dans l’appréciation de l’originalité d’un logiciel.  

Il a notamment été jugé que ne constitue pas une preuve de l’originalité d’un logiciel :

  • La simple affirmation de son caractère original ;
  • La description d’éléments non protégeables par le droit d’auteur (idées, principes, fonctionnalités, méthodes mathématiques, algorithmes, savoir-faire des développeurs etc.) ;
  • La description d’éléments faisant partie du fonds commun de l’informatique (contraintes techniques, fonctionnelles, langage de programmation, éléments du domaine public, créations antérieures, en ce compris les logiciels libres).

Ainsi, dans le cadre d’un contentieux en contrefaçon de droits d’auteur sur un logiciel, il est recommandé, afin de démontrer l’originalité du logiciel argué de contrefaçon, de :

  • Fournir une copie des éléments protégeables :  codes sources, bases de données, éléments graphiques, etc., lesquels devront faire l’objet d’une description par un expert indépendant ;
  • Démontrer l’existence de choix personnels réalisés par le développeur. Un rapport rédigé par un expert indépendant devra décrira le code source et expliquer en quoi les choix pris ne résultent pas d’une logique inhérente à tout développement mais sont propres à l’auteur du logiciel ;
  • Conserver une preuve du travail de création permettant d’apporter la preuve des choix et des partis pris par l’auteur.

A ce titre, l’arrêt de la Cour d’Appel de Douai met en exergue le fait qu’il convient d’être extrêmement vigilant dans la démonstration des choix personnels réalisés par le développeur s’agissant de la démonstration de l’originalité d’un logiciel dédié à un secteur réglementé, contraint et codifié, qui ne laisse que peu de place au choix et au libre arbitre de l’auteur du logiciel.

Il est nécessaire de démontrer que, qu’au-delà de ces contraintes, le développeur a réalisé des choix personnels qui confère une certaine originalité au logiciel.

François-Xavier Langlais - Avocat Associé et Marion Wunenburger - Juriste 
Quantic Avocats