Microsoft vient d'annoncer le rachat
de Navision, qui fait suite à celui de Great Plains
en janvier 2001. Cette deuxième acquisition renforce
sa présence sur le marché des ERP en Europe
et dans le monde. Philippe
Nieuwbourg, analyste et directeur associé chez
Marcom
Generation interprète ce rachat comme la confirmation
de l'offensive de Microsoft sur les applicatifs professionels
- un marché où Bill Gates a longtemps juré
ne pas vouloir s'impliquer. Comme toujours, Microsoft
compte devenir très rapidement leader, mais les
choses pourraient ne pas être aussi simples.
[Après cet entretien, Navision a tenu à
apporter les précisions suivantes:
"Les solutions Navision sont distribuées dans 30
pays incluant la totalité des pays européens. Dans chacun
de ces pays, nous sommes représentés par
une filiale (à l'image de la filiale française) comprenant
une équipe technique chargée de veiller notamment à la
localisation des solutions Navision ainsi qu'à la cohérence
de leurs évolutions avec les différentes contraintes locales
qu'elles soient d'ordre réglementaire ou culturel. Les
solutions Navision sont donc d'ores et déjà adaptées aux
différents systèmes fiscaux et Navision n'aura pas de
travail de localisation à fournir ... il s'agira de maintenir
dans ce domaine une vigilance constante - ce qu'elle s'emploie
à faire depuis toujours - et donc en aucun cas de revoir
systématiquement l'interface du logiciel".]
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Le
marché de l'ERP va-t-il être écrasé
par Microsoft ?
Philippe Nieuwboug:
C'est en tout cas l'objectif de Microsoft. Partout où
le géant du logiciel débarque, c'est un
peu la politique du rouleau compresseur. Un rouleau
compresseur, c'est lent mais efficace. Il y aura donc
des victimes dans les années qui viennent, et
comme toujours ce seront les plus vulnérables.
Dans trois ans, l'offre de Microsoft sera mûre,
et le marché aura un peu changé.
Qui
en pâtira ?
Toutes les petites entreprises
qui se partagent les restes du gâteau. En France,
ce sont de petits éditeurs comme Adonix, Segid
ou Generix. Ils seront les premiers touchés.
Mais il ne faut pas oublier que le marché est
dominé par un géant qui sera bien difficile
à détrôner. Sage détient
en effet 80% du marché des ERP ; il a les reins
solides et une clientèle très satisfaite
de ses services. Microsoft va devoir mettre les bouchées
doubles pour le détrôner.
L'arrivé
de Microsoft va-t-elle faire baisser les tarifs des
ERP, et rendre le marché moins rentable pour
Sage ?
Probablement. Il est même
fort possible que Microsoft utilise sa puissance financière
pour faire un peu de 'dumping'. D'autant plus que la
notion de bénéfices est très floue
dans le domaine des logiciels. Mais je ne pense pas
que cela menace pour autant les positions de Sage. D'une
part, Sage est financièrement solide. D'autre
part, lorsqu'une entreprise achète des licences
d'ERP, elle ne s'oriente pas immédiatement vers
l'offre la moins chère. Elle regarde avant tout
les fonctionnalités du logiciel. Et dans ce domaine,
Sage a une avance considérable. Et un grand capital
confiance.
Que
manque-t-il au nouveau tandem Microsoft-Navision pour
concurrencer Sage ?
Microsoft maîtrise l'art
du marketing et de la communication, Navision est crédible
dans le domaine de la politique commerciale. Mais le
logiciel de la société danoise n'est pas
distribué partout en Europe et dans le monde
: il n'est pas adpaté à tous les systèmes
fiscaux. Pour pouvoir distribuer ses logiciels, la nouvelle
entité devra fournir un énorme travail
de localisation, d'adaptation aux normes de chaque pays.
De même, Navision va devoir lutter pour préserver
l'adaptativité de son logiciel. Jusqu'à
présent, ses solutions étaient très
souples et très paramétrables. Mais les
choses vont changer : Microsoft n'a jamais été
un grand promoteur de la souplesse. Le géant
de Seattle a pris l'habitude de réduire les posibilités
de paramétrage de ses offres au maximum pour
pouvoir proposer ses logiciels dans des packs, des ensembles
de solutions standardisées. C'est là que
se trouve l'immense défi que Microsoft et Navision
vont devoir relever : réussir à concilier
personnalisation et standardisation. L'objectif ? Proposer
des offres adaptées aux régimes fiscaux
radicalement différents de chaque pays, ce qui
suppose de revoir systématiquement l'interface
du logiciel. Et parvenir à garder et à
étoffer une clientèle qui appréciait
la souplesse des solutions de Navision.
L'absorption
de Navision va donc être mouvementée ?
Le choc
des cultures d'entreprise devrait avoir des répercussions
jusque dans la politique commerciale du nouvel ensemble.
Jusqu'à présent, Navision distribuait
ses solutions via des intégrateurs. Microsoft
va probablement imposer ses méthodes, qui consistent
à aller directement chez le client. Je ne serais
pas surpris si certains commerciaux quittaient l'entreprise...
Faut-il
croire Microsoft lorsqu'il annonce de grandes perspectives
de croissance sur ce marché ?
Non. Il est vrai que toutes
les PME ne sont pas équipées de progiciels
d'ERP. Mais toutes les entreprises moyennes - la cible
de Navision - sont équipées de tous les
logiciels dont elles ont besoin, quitte à en
utiliser plusieurs et à les faire cohabiter.
Le marché des ERP est donc un marché de
renouvellement et, encore une fois, il va falloir que
Microsoft déploie des arguements commerciaux
très solides pour gagner des parts de marché.
Le
rachat de Navision est-il redondant avec le rachat de
Great Plain en janvier 2001 ?
Assurément pas. Great Plain est surtout présent
sur les marchés anglo-saxons, et il mise sur
la séduction des petites entreprises. Navision
est une société fortement implantée
en Europe, et elle vise les entreprises de taille moyenne.
Les deux offres continueront de cohabiter : Microsoft
vendra Navision et Great Plains en Europe et aux Etats-Unis.
Il y a d'ailleurs fort à parier que les deux
entreprises garderont une certaine forme d'autonomie
: Microsoft veut éviter d'être une fois
de plus attaqué pour ses positions monopolisitques.
Et il faut rappeler qu'en 2001 déjà, la
justice avait examiné de près le rachat
de Great Plains.
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