INTERVIEW 
 
Avocat au Barreau de Paris
Cyril Rojinsky
Le brevet est moins adapté à l'immatériel qu'au monde industriel
Initié en 2002, le débat sur la brevetabilité des logiciels au niveau européen va de rebondissement en retournement de situation. Semant le doute dans les esprits, il bouscule un système relativement bien huilé qui repose sur les droits d'auteurs. Cyril Rojinsky revient sur les différences fondamentales entre ce système et celui des brevets, sur les impacts financiers pour les entreprises européennes et les risques pour l'industrie du logiciel libre.
22 mai 2003
 
          
En savoir plus

JDNet Solutions : Où les brevets logiciels sont-ils aujourd'hui en vigueur ?
Cyril Rojinsky: Pour le moment, le système des brevets sur les logiciels est en vigueur aux Etats-Unis et au Japon. Dans le reste du monde, notamment en Europe, les logiciels sont protégés sur la base du droit d'auteur.

En France, la loi reconnaît que le logiciel peut être une œuvre de l'esprit protégée par les droits d'auteur depuis 1985. Une directive européenne instaurant un régime de droit d'auteur spécifique aux logiciels est apparue en 1991, la France l'ayant transposée dans son droit national en 1994. C'est un système qui fonctionne à mon sens harmonieusement.

Pourtant, le rôle de l'Office Européen des Brevets (OEB) est actuellement contesté !
Effectivement, l'OEB a tendance - notamment à l'occasion d'une affaire avec IBM en février 2001 - à octroyer des brevets européens pour des programmes informatiques, pratique qui se rapproche fortement de ce qui se fait aux Etats-Unis mais qui s'éloigne de l'esprit et de la lettre de la convention de Munich de 1973.

Cette convention stipule dans un de ses articles que les logiciels ne sont pas brevetables "en tant que tels". C'est dans cette expression que tout le débat réside... car il est facile de raisonner a contrario - comme les juristes aiment à le faire - et de dire : les logiciels sont donc brevetables s'ils ne sont pas "en tant que tels"... Une machine-outil qui contient un logiciel embarqué peut ainsi, depuis longtemps, être une invention brevetable. La limite est ténue... les interprétations multiples.

"Seules les plus grosses entreprises pourront se permettre de dépenser les sommes nécessaires à la protection de leurs inventions"

Mais ce n'est pas parce qu'un brevet est accordé par l'OEB qu'il passera systématiquement le cap d'un contentieux en justice, où sa validité pourra toujours être contestée. Certains se sont même amusés à breveter des méthodes pour calculer les 35 heures par exemple, et il est peu probable que les juridictions les reconnaissent.

Quelles sont les différences fondamentales entre droit d'auteur et brevet ?
Le droit d'auteur protège une forme originale. Une structure de logiciel par exemple dont la forme et l'expression manifestent un effort personnalisé de son auteur. Les algorithmes, les fonctionnalités, les idées et concepts ne rentrent pas dans le cadre des droits d'auteurs.

Le brevet, quant à lui, s'attache au procédé technique, industriel, déployé pour arriver à un résultat donné. Le brevet ne protège pas le résultat, mais le moyen pour y parvenir. Dans un logiciel, la fonction "copier/coller" ne serait pas protégée en tant que résultat ; la protection s'appliquerait seulement au procédé logiciel pour y parvenir. Autre question, celle de la frontière entre un procédé et un algorithme, une idée... La limite est là aussi très difficile à tracer.

Le brevet a été conçu pour le monde matériel, industriel, où la dissociation entre le procédé et le résultat est très facile à faire et où - pour arriver à produire de l'électricité par exemple - les procédés peuvent être multiples. Le risque qui menace le monde informatique et logiciel, dans sa dimension immatérielle, est que pour arriver à un résultat donné, il n'y ait finalement plus qu'une seule façon, celle qui aura été brevetée en premier. Le brevet est en ce sens moins adapté à l'immatériel qu'au monde industriel.

Quelles conséquences l'adoption de la brevetabilité des logiciels au plan européen fait-elle peser sur les entreprises ?
Des impacts financiers, car le coût de la protection est élevé. Le droit d'auteur repose sur le seul fait de la création, il n'y pas de formalité ; alors que pour les brevets, la formalité est constitutive du droit lui-même. Seules les plus grosses entreprises pourront se permettre de dépenser les sommes nécessaires à la protection de leur inventions.

"Les candidats à l'élection présidentielle française se sont clairement exprimés contre le brevet logiciel..."

Et quels risques cela entraînerait-il pour l'industrie du logiciel libre ?
Le schéma du libre s'appuie tout entier sur le droit d'auteur, c'est grâce à ce droit que l'auteur peut imposer dans ses licences un certain nombre d'obligations aux personnes qui veulent utiliser son logiciel. Le monde du libre a donc le sentiment d'être en danger si le champ du droit d'auteur se trouve réduit.

Et plus il y aura de brevets, plus les éditeurs devront vérifier qu'ils ne violent pas l'un d'entre eux lors de la création d'un logiciel. La question sera alors de savoir ce qu'il faut publier. Faudra-t-il par exemple déposer tous les codes sources afin de permettre à chacun de vérifier la nature de l'invention.

Quel est votre pronostic ?
Je ne me hasarderai pas à en faire. Je note simplement que, l'année dernière, les candidats à l'élection présidentielle française se sont clairement exprimés contre le brevet logiciel. Sous la responsabilité de Michel Rocard, un rapport de la commission des affaires culturelles du Parlement Européen s'est également prononcé contre la proposition de directive du 20 février 2002 qui introduirait le brevet logiciel en droit communautaire. Mais l'assemblée de Strasbourg n'a pas réussi pour le moment à se mettre d'accord sur ce point.


 
Propos recueillis par Fabrice Deblock

PARCOURS
 
 
Avocat au Barreau de Paris, Cyril Rojinsky intervient dans les domaines du droit de la communication, de la propriété intellectuelle, du droit de l'informatique et de l'Internet. Membre notamment du Forum des droits sur l'Internet et de l'Association littéraire et artistique internationale, il est l'auteur de nombreuses publications et participe à différents groupes de travail sur les aspects juridiques des technologies de l'information.

   
 

  Nouvelles offres d'emploi   sur Emploi Center
Chaine Parlementaire Public Sénat | Michael Page Interim | 1000MERCIS | Mediabrands | Michael Page International



Voir un exemple

Voir un exemple

Voir un exemple

Voir un exemple

Voir un exemple

Toutes nos newsletters