INTERVIEW 
 
Etienne Wery
Avocat
Cabinet Ulys
Etienne Wéry
"Le bras de fer avec Microsoft va se déplacer des lecteurs audio et vidéo vers les formats et les contenus"
Avocat à la cour de Bruxelles et de Paris, spécialisé dans le droit des nouvelles technologies, Etienne Wéry détaille certains points de la décision prise par la Commission européenne à l'encontre de Microsoft.
26/03/2004
 
JDN Solutions : Mario Monti a déclaré vouloir créer un "précédent solide" dans l'affaire Microsoft. Comment interpréter ce point ?
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Etienne Wery : Je pense que les propos de Mario Monti ont été assez mal compris. La commission n'a pas voulu faire d'exemple. Si elle avait décidé d'en faire un, elle se ferait immédiatement "sabrer" par le tribunal de première instance du Luxembourg. La justice ne fait pas d'exemple, elle tranche en fonction de règles clairement établies.

Cela dit, il ne faut pas faire d'angélisme non plus. Mario Monti suit ses propres objectifs - il veut devenir le prochain commissaire à la concurrence - et le dossier Microsoft est un parfait cas d'école sur ce plan. Un cas que personne n'aurait osé écrire il y encore quelques années tellement les faits sont caricaturaux et d'une pureté cristalline. Ce dossier est un dossier simple, la question posée est très simple, même si son gigantisme peut le rendre complexe. Par ailleurs, le dossier évolue en fonction de certaines données politiques.

S'agit-il alors plutôt d'un cadre pour l'avenir ?

Je n'ai pas le texte de la décision dans sa globalité, mais la Commission n'a selon moi pas réglé le problème entre la liberté d'innovation et l'abus de position dominante. C'est dommage par rapport au droit, par rapport aux autres sociétés monopolistiques et par rapport à Microsoft. Il faudra lire la décision en profondeur pour voir s'il y a des signaux pour définir un cadre pour l'avenir.

Au nom de la liberté d'innovation, on doit permettre à n'importe qui d'apporter de l'innovation, c'est l'intérêt de tous, notamment des consommateurs. Cela étant, même si l'on ne peut pas brider la liberté d'innovation, on doit faire en sorte que l'exercice de cette liberté se fasse dans le respect du droit de la concurrence.

L'exercice de la liberté d'innovation doit se faire dans le respect du droit de la concurrence
Et on doit notamment permettre aux personnes de choisir. C'est ce que la Commission précise en disant que Microsoft devra "s'abstenir de recourir à tout moyen commercial, technique ou contractuel ayant pour effet de rendre moins intéressante ou moins performante la version non liée [de Windows]." [NDLR : c'est-à-dire sans Media Player].

En quoi ces trois aspects (commercial, technique et contractuel) sont-ils importants ?
L'aspect "commercial" signifie que Microsoft devra proposer les mêmes conditions tarifaires à tout le monde, sans rabais différencié, que Windows soit accompagné de Media Player ou non.

L'aspect "technique" concerne les performances des produits, à la fois au départ (quand vous achetez votre PC) et en cours de route (si vous décidez d'intégrer vous même autre chose par la suite). En clair, si vous décidez d'installer Real Player sur votre ordinateur, il doit fonctionner sans problème.

Enfin, l'aspect contractuel concerne essentiellement les intermédiaires, les équipementiers et la façon de stimuler leurs ventes. Ces acteurs ont un intérêt à pousser Microsoft, car cela est bénéfique pour eux financièrement, mais pas pour le consommateur... L'aspect contractuel concerne aussi la garantie donnée au consommateur final : là aussi, les conditions doivent être les mêmes avec ou sans le lecteur Media Player.

Microsoft a déclaré qu'il demanderait la suspension des clauses "90 et 120 jours". Comment cela va-t-il se passer ?
Suite à la décision de la Commission, Microsoft peut perdre des parts de marché sur les players
Quand une décision de justice est exécutoire, comme c'est le cas ici, vous pouvez la contester mais vous devez l'exécuter. Cependant, la personne auprès de laquelle vous faites appel peut suspendre l'exécution provisoire (sans préjuger du fond). Vous devez pour cela lui prouver que - si vous gagnez votre appel dans deux ans -, l'exécution de la décision vous aura causé un préjudice grave et irréparable.

Par rapport à l'amende, il me paraît certain que le juge ne la suspendra pas. Je doute également qu'il le fasse par rapport à la question des serveurs, car Microsoft ne doit pas produire un code source mais de la documentation. C'est plus délicat en ce qui concerne Media Player car un préjudice grave peut exister (perte de parts de marché), mais est-ce que ces pertes seront irréparables ? Une perte de parts de marché peut être calculée, donc réparée sous forme de dommages et intérêts.

Les mesures concernant Media Player permettront-elles de rétablir l'équilibre avec la concurrence ?
Je suis dubitatif. Le débat va selon moi se déplacer des lecteurs audio et vidéo vers les formats et les contenus proprement dits. Microsoft, RealNetworks et les autres ont intérêt à envoyer leurs commerciaux démarcher toutes les plates-formes de diffusion de contenus audio et vidéo pour les convaincre d'utiliser leur format, car c'est là que la bataille aura lieu.

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Microsoft a déjà une longueur d'avance sur ce plan là. Bill Gates possède la société Corbis, une des plus importantes banques d'images au monde. Il est proche de la société OD2, de Peter Gabriel, qui distribue des contenus à d'autres plates-formes. Il est également très proche, en tant qu'investisseur ou partenaire, de plates-formes créées par les majors du film. A mon avis, ces plates-formes vont être comme par hasard très réticentes à proposer du contenu au format RealNetworks...
 
Propos recueillis par Fabrice DEBLOCK, JDN Solutions

PARCOURS
 
 
Etienne Wéry, 36 ans, est licencié en droit de l'Université catholique de Louvain-la-Neuve (Belgique - 1992) et en gestion et management européen à l'Institut H.E.C. Saint-Louis (Belgique - 1994).
1992 Création et gestion de "Easy PC" pendant ses études : société établie à Bruxelles spécialisée en audit et formation informatique.
1995 Higher Executive (Office of the data protection registrar - Manchester) : chargé de recherches en droit européen des contrats. Stage dans un cabinet d'avocats (Londres) spécialisé en droit de la propriété intellectuelle.
1996 Fondateur du site Web Droit & Nouvelles Technologies consacré au droit de l'informatique et des nouvelles technologies. Plus de 30 000 visiteurs uniques par mois. Prés d'un million de pages consultées par mois.
2002 Associé-gérant du cabinet ULYS et Avocat aux barreaux de Bruxelles et de Paris.
Et aussi Chargé de cours à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l'Université R. Schumann de Strasbourg. Auteur de "Facture, monnaie et paiement électroniques" (Litec)

   
 
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