Hommes et femmes de l'ombre, les chasseurs de tête
exercent une profession peu connue du grand public. Cette
profession, dont l'activité principale consiste à
dénicher des talents, est parfois décriée
en raison des méthodes peu orthodoxes qu'elle utilise
sur le marché déjà tendu de l'informatique...
Elisabeth Bré, exerce ce métier depuis 15
ans et lève le voile sur les techniques et les finalités
de l'approche directe. Dans un contexte de très forte
croissance, le chasseur de tête prend des allures
de conseil en stratégie...
Propos recueillis le 21 février 2000 par Alexandra
Bissé
JI:
Comment devient-on chasseur de tête ?
Quelles sont les qualités
nécessaires ?
Elizabeth Bré : Le métier de chasseur
de tête ne répond pas à une formation
type. Il correspond avant tout à des qualités
humaines : le sens de l'entreprise, l'ouverture d'esprit,
la capacité à comprendre et à parler
aux managers. Il est capital de se sentir impliqué
dans la réussite de ses clients et d'apporter une
réelle valeur ajoutée dans leur recrutement
grâce notamment à une connaissance des métiers
et de l'environnement business. En outre, la dimension internationale
est très importante aujourd'hui dans un marché
global et intégré. Il est nécessaire
de tisser et d' entretenir un réseau relationnel
riche en dehors des frontières nationales.
Quelles
sont les méthodes d'approche directe des candidats
?
Notre
travail est de recruter des profils sur mesure. Cette mission
passe donc par une méthodologie rigoureuse. Tout
d'abord, identifier en amont un faisceau d'entreprises proches
du profil de nos clients tant au niveau de leur nationalité,
culture d'entreprise, business model, offre/marché...
La seconde étape consiste en l'identification des
candidats, à proprement parler, auprès de
la direction générale et marketing. Entrer
en relation et développer un relationnel avec ces
derniers. A ce niveau, on peut dire que débute le
seconde vente de notre métier:
la "vente du job" au candidat potentiel.
Quels sont les arguments de
séduction ?
L'objectif est d'établir un dialogue avec notre interlocuteur
et d'évaluer les synergies entre les ambitions du
candidat, son parcours professionnel et le poste que nous
avons à pourvoir... Nous jouons à ce niveau
un rôle de conseil en gestion de carrière.
Nous cherchons à détecter les éventuelles
frustrations vis-à-vis de son poste actuel et ses
intérêts particuliers afin de rebondir sur
ces opportunités. Quelle que soit l'issue des entretiens,
nous gardons le contact avec le candidat.
La
surenchère à la rémunération
est-elle un argument majeur?
La
rémunération n'est pas un critère "vendeur".
Ce n'est pas ce qui fera bouger un candidat. Il faut aller
au delà et toucher à la nature même
du challenge pour le motiver. Il est clair que les négociations
salariales sont très ouvertes et que l'entreprise
est prête à s'ajuster aux exigences en règle
général. Mais cela reste secondaire. Au delà
de la rémunération, les stock-options sont
très prisées et ont même un impact supérieur
à la rémunération à proprement
parler.
Quelle
est la place de l'éthique dans votre profession?
Je
n'ai pas le sentiment que nos méthodes sont déloyales.
Notre activité permet une gestion de carrière
dynamique. En période de crise économique,
les cadres n'avaient pas, ou peu, de perspective de mobilité
externe ce qui engendrait une certaine démotivation
et un sentiment de "tourner en rond" néfaste
au développement de l'entreprise. La mobilité
est positive dans la mesure où elle permet des promotions
internes ou apporte un appel d'air vers l'extérieur.
Nous avons conscience de porter une responsabilité
dans cette démarche qui est en conséquence
très réfléchie. On ne propose pas tout
et n'importe quoi !
La
pression sur le marché high tech est très
forte actuellement. Comment gérez-vous cette tension
?
Lorsque
le recrutement doit s'effectuer à tout prix en France,
il est vrai qu'il faut faire preuve de beaucoup de créativité...
La solution réside dans la recherche en amont et
en aval d'une aptitude plus que d'une compétence.
Des profils pro-actifs, très "moteurs"
qui s'inscrivent dans une dynamique de succès. Les
qualités personnelles priment sur la compétence
technologique. La pénurie de profils en France peut
être comblée par le recrutement à l'international
qui s'étend considérablement. Les short-lists
présentées à nos clients sont souvent
européennes.
Avez-vous
le sentiment de renforcer cette tension en incitant la mobilité
des candidats ?
Le
marché des nouvelles technologies va très
vite. Nous connaissons actuellement une accélération
de ce mouvement en émergence. Notre position dans
ce contexte n'est pas d'accroître cette tension mais
plutôt d'agir en back-up, en support du marché.
Nous sommes plus un instrument que la source même
de cette pression.
Le
métier a-t-il évolué depuis vos débuts
il y a 16 ans ?
Notre
rôle s'est largement enrichi puisque nous intervenons
à un niveau global et cela rejoint la valeur ajoutée
que j'évoquais précédemment. En effet,
nous apportons notre expertise sur les aspects de management,
d'actionnariat, de business model. Notre impact est donc
beaucoup plus fort car nous contribuons très activement
à la gestion de l'entreprise.
Quelles
sont les relations avec vos confrères ?
Chacun
oeuvre sur son marché. Nous n'entretenons pas de
relation particulière avec eux. En cas de démarchage
simultané par plusieurs cabinets d'un même
candidat, nous cherchons toujours à connaître
quelles sont les autres offres qui lui ont été
soumises. Néanmoins il n'y aura jamais d'acharnement
si les arguments avancés pour contrecarrer les autres
offres ne séduisent pas, nous ne forçons pas
la main. En ce sens il n'y a pas de guerre sans merci au
sein de la profession.
Comment
voyez-vous l'avenir de votre métier ?
A l'heure
actuelle tous les projets démarrent, d'où
la pénurie de main d'oeuvre qualifiée. D'ici
2 à 3 ans, le marché aura acquis plus de maturité.
Le personnel compétent sera donc moins rare a priori
selon la logique suivante : la croissance génère
la motivation qui génère à son tour
la compétence. J'anticipe un marché plus fluide
d'ici les prochaines années avec néanmoins
une forte européanisation des candidats.
Dotée
d'une maîtrise en psycho-sociologie, Elisabeth Bré
a débuté une activité de recutement au sein
d'une société de services informatiques. Elle rejoint
Marlar International 2 ans après, et participe à
la création d'un cabinet de cadres dirigeants en
France dans un environnement international. Essentiellement
positionnée sur le domaine des technologies, elle a ainsi
recruté durant 15 années des managers internationaux ou
locaux, en grande partie pour des groupes américains ou
pour des start-up présentes sur des niches technologiques.
Elle rejoint le Groupe Harvey Nash en octobre 1998 en
qualité de Directeur Général France,en charge du démarrage
et du développement de la filiale France (conseil en recrutement
de cadres dans les secteurs des technologies de l'information).
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