BSA, trois
lettres qui peuvent inspirer la crainte ou encore l'exaspération,
mais qui ne laissent pas indifférent.Cette association
à but non lucratif créée au milieu
des années 80 poursuit une mission : lutter contre
la contrefaçon de logiciels, plus particulièrement
contre le piratage des applications professionnelles. Ainsi,
l'organisme traque les fraudes sans relâche et n'hésite
pas à commanditer certaines "descentes"
chez les entreprises pour vérifier leurs parcs de
logiciels. Des pratiques parfois controversés. Jamal
Labed fait le point sur les moyens d'actions mis en ouvre
et la situation actuelle en France.
Propos recueillis le 13 juin 2000 par Alexandra
Bissé
JDNet
Solutions : Quels sont les moyens d'action pour lutter contre
le piratage de logiciel à l'heure actuelle ?
Jamal Labed : Nous organisons notre action autour
de deux axes principaux : un aspect préventif (éducation,
communication) et un aspect répressif (contrôle).
Le premier volet consiste à expliquer aux entreprises
la loi (code de la propriété intellectuelle)
et les peines susceptibles d'être encourues en cas
de violation (jusqu'à 5 millions de francs d'amende
pour une personne morale ou même l'emprisonnement).
Nous diffusons également des méthodologies
aux entreprises désireuses de gérer efficacement
leurs parcs de logiciels. Nous mettons à leur disposition
des kits composés de carnet de bord et de modules
"les check up BSA" qui permettent d'effectuer
des bilans et des audits de l'évolution du parc.
Nous sommes parfaitement conscients qu'il n'est pas aisé
de maîtriser les utilisations logicielles des salariés
dans l'entreprise. C'est pourquoi nous faisons preuve de
compréhension envers les entreprises "de bonne
foi".
Quel
est le sort réservé aux entreprises de "mauvaise
foi" ?
Nous
avons recours dans certains cas à des actions judiciaires
et ce, dans le respect strict du cadre prévu par
la loi. Ce recours est adressé au niveau du juge
qui lui seul au vu des informations que nous aurons rassemblées
sera habilité à nous autoriser (ordonnance
judiciaire) à effectuer, ce que nous nommons, une
saisie contrefaçon. Un expert informatique vient
alors réaliser un constat (inventaire des logiciels)
et l'entreprise doit justifier des licences. Si l'entreprise
ne parvient pas à justifier, des poursuites judiciares
peuvent être entreprises ou dans certains cas une
négociation est possible. Nous intentons environ
250 actions juridiques chaque année (depuis le courrier
d'avocat à la peine de prison) dont une dizaine se
traduisent par des condamnations carcérales. Une
progression intéressante quand on sait qu'il ya encore
quelques années, c'était impensable.
Quelles sont les limites légales
de ces perquisitions ?
Contrairement à ce que veulent laisser entendre certains,
ces actions sont très encadrées et se passent
toujours sous l'autorité policière mandatée
par le juge. Les entreprises peuvent s'y opposer mais en
général elles se montrent coopérantes.
Les saisies de matériel sont très rares.
Quelle
est la place de la délation dans ce processus ?
Elle
est très faible contrairement au fantasme collectif
assez répandu (1 à 2% des appels de notre
hot-line). Ce phénomène de dénonciation
est plus répandu dans les pays anglo-saxons. Pour
des raisons culturelles et morales, ce genre de pratique
est très réduit en France. En fait, nous parvenons
à établir des recoupements et des déductions
de certains comportements d'entreprise qui nous sont remontés
de notre réseau de distribution. Ainsi
une entreprise qui vient de rénover son parc matériel
et ne procède à aucun achat logiciel peut
sembler "louche"...
Des
mesures de protection sur les logiciels eux-mêmes
ne seraient pas plus efficaces ?
Dans le milieu des années 80, les
logiciels étaient dotés d'un système
anti-piratage. La première source d'appels sur les
hot-lines étaient dûs à ces dispositifs
qui occasionnaient des incidents techniques.
Protéger
un logiciel c'est comme soumettre
tous les clients d'un supermarché
à une fouille rapprochée.
Ce type de technique
nuit au final aux utilisateurs
honnêtes.
Quelles
sont les différentes formes de piratage et quel rôle
joue Internet ?
On
distingue différents types de piratage. Tout d'abord
la copie à l'identique qui consiste à reproduire
le logiciel en prétendant qu'il s'agit d'un vrai
produit. Ensuite, le hard disk loading qui se traduit
par la vente illicite d'un ordinateur pré-chargé
de logiciels (cela permet parfois à un revendeur
de gagner un client en lui faisant une petite faveur). Enfin
le piratage sur Internet qui occupe une place de plus en
plus significative avec le développement des warez
(site de piratage).
Quelle
peut-être votre réactivité face à
la prolifération de réseaux organisés
sur Internet ?
Il
est clair que nous sommes parfois dépassés
face à la réalité des piratages et
que nous courons après la réalité des
pratiques. Néanmoins, nous disposons d'une cellule
de veille située à Londres qui détectent
certaines sociétés sur Internet exerçant
ces commerces illicites. Nous intervenons dans ce cas auprès
des hébergeurs des sites pour les fermer.
Quel
est le portrait-robot type (si profil type il y a) d'une
société se livrant au piratage ?
On
note que le taux de piratage est plus important dans les
entreprises plus petites (environ 50% de PME). Ceci peut
s'expliquer par diverses raisons : l'entreprise est moins
bien structurée que la grande pour gérer son
informatique, en second lieu ses moyens budgétaires
sont plus restreints et enfin, les contrats de licence sont
souvent moins avantageux pour les petites structures que
pour les grands comptes (contrat select, open...). Sur ce
dernier aspect, nous réfléchissons à
des contrats spécifiques. On observe également
des disparités caractéristiques selon les
professions. Ainsi le monde de l'édition, de l'imprimerie
(logiciels graphiques) ou encore les architectes sont assez
touchés par ce fléau. L'éducation également.
Nous avons d'ailleurs mené une campagne de sensibilisation
verticale dernièrement (ndrl à destination
des graphistes, une autre est en préparation plus
générale devant être financée
par les pouvoirs publics).
Pensez-vous
que les nouveaux modèles de commercialisation tels
que l'ASP (location d'application) peuvent favoriser la
régression du piratage ?
L'ASP
pose le problème de la protection des droits d'auteurs.
Il n'est pas imaginable de donner accès à
une application à des utilisateurs multiples sans
que le fournisseur (le prestataire ASP) s'acquitte des droits
de licence proportionnellement au nombre d'accès.
Lorsqu'on met en accès via le réseau une application,
on la copie temporairement dans la mémoire de l'ordinateur
client. Dans ce cadre, les niveaux de protection doivent
être les mêmes afin de ne pas aboutir à
une zone de non droit au regard de la propriété
intellectuelle.
Nous discutons de ces modalités avec la Commission
Européenne dans le cadre de la rédaction de
la directive sur le droit d'auteur/droit voisin. Notre force
de frappe passe également par des actions de lobbying
auprès des pouvoirs politiques pour les sensibiliser.
Quelle
est votre position quant à l'Open-Source ?
Dans
la mise à disposition du code source au public, l'important
est de respecter la volonté de l'auteur. Cette solution
pose tout de même le problème du modèle
économique du logiciel. A l'heure actuelle, les utilisateurs
font preuve d'un niveau d'exigence élevé,
les investissements sont donc lourds et nécessitent
des retours sur investissement. Je pense qu'il est dangereux
de créditer l'idée que le logiciel est gratuit
tandis qu'il s'agit d'une industrie parfois lourde.
Comment
expliquer le taux de piratage très bas des USA (25%)
et la situation de la France (39%), voir
article ?
Dans
les pays anglo-saxons, on note une conscience beaucoup plus
forte de ce genre de problèmes qui ne sont pas traités
à la légère. Paradoxalement, les textes
de loi sont beaucoup moins virulents mais les sanctions
appliquées de façon plus systématiques
que l'on peut l'observer en France. La prise en compte par
les pouvoirs publics est beaucoup plus forte : ils relaient
activement le message. Le poids de l'industrie logicielle
est également beaucoup plus fort aux Etats-Unis qu'en
France. Plus on va vers le Sud, plus le niveau de piratage
est élevé. Ceci s'explique en partie par une
culture de l'immatériel assez ancrée dans
les mentalités (on considère que ça
ne vaut pas la peine de payer pour les biens intellectuels).
Jamal
Labed est directeur général et cofondateur de STAFF & LINE,
société créée en 1988, spécialisée dans la gestion de parc
informatique et le Help Desk. La société emploie aujourd'hui
50 personnes avec 1500 clients grand comptes. De 1985 à
1988, Jamal Labed a fondé SIGHT INTERNATIONAL, SSII implantée
en France, Maroc, en Espagne et au Portugal. Agé de 37 ans,
Jamal Labed est diplômé de Sup. de Co Rouen (1984). Staff
& Line adhère à BSA France depuis 1996.