A la fois SSII, constructeur et éditeur, Unisys a
annoncé en novembre dernier la restructuration complète
de ses activités au niveau mondial. A cette occasion,
la filiale française du groupe accueille à
sa tête un nouveau président, René Le
Goff, chargé de réorganiser de façon
simple les activités du groupe en France. A l'instar
d'IBM, Unisys est l'un des grands généralistes
mondiaux de l'informatique. M. Le Goff nous donne ici l'occasion
de revenir sur les grandes tendances du groupe et des différents
marchés associés aux nouvelles technologies.
Propos recueillis le 1er février 2000 par François
Morel
JI:
Comment se passe votre entrée en fonctions ?
René Le Goff : Plutôt bien... Unisys
regroupe 850 personnes pour ses activités en
France. Il s'agit d'une unité importante, dont la
taille encore raisonnable permet de disposer d'une vue détaillée
des opérations. Notre principale préoccupation
de l'instant est de ne pas trop perdre de temps avec la
réorganisation pour nous concentrer sur la priorité
des services aux clients. Pour cela, nous avons tout mis
en oeuvre dès le 31 décembre à
minuit.
Quelle
était votre précédente organisation
?
Pour
bien comprendre notre réorganisation, il faut savoir
qu'il y a 5 ans, nous avions déjà remanié
nos activités au niveau mondial en fonction de 3 business
units déclinées dans chaque pays. Les 3 orientations
de ces BU étaient la technologie avec les serveurs
et les postes de travail, les domaines associés aux
technologies comme la maintenance et les réseaux,
et les services plus classiques d'intégration, de
mise en oeuvre et d'infogérance.
Pourquoi cette nouvelle réorganisation
?
Les business units avaient des activités qui n'étaient
pas forcément en totale cohérence avec notre
marché. Il nous fallait donc une nouvelle organisation
pour permettre aux services de se développer sans
impacter le reste du business. Notre chairman, Larry Weinbach,
dirigeait auparavant Andersen. En prenant les rênes
d'Unisys au niveau mondial, il a fait en sorte que la société
devienne plus profitable.
Aujourd'hui, nous entrons dans une deuxième étape.
Nous allons repartir sur une croissance plus forte en regardant
l'organisation et en la faisant évoluer pour mieux
répondre aux attentes du marché. Pour
cela, nous avons développé un business model,
selon lequel nous nous concentrons sur les 1 000 premiers
clients au niveau mondial qui représentent 80 %
de nos revenus. Nous ne pouvions pas continuer avec 3 business
units. Il fallait simplifier la vie des clients en mettant
à leur disposition un seul point de contact.
Vous
qualifiriez-vous plutôt d'éditeur ou de SSII
?
Nous
avons une activité plutôt classique dans l'informatique,
qui couvre tous les domaines du service. Nous sommes l'un
des rares acteurs, comme IBM, qui vienne de l'informatique
traditionnelle, et qui couvre depuis la fourniture de matériels
techniques jusqu'à la mise en oeuvre de solutions
complètes.
Votre
stratégie va-t'elle changer du tout au tout ?
Il
ne s'agit pas d'un changement, mais d'une clarification.
Nous mettons la priorité sur nos clients tout en
conservant la volonté de se développer sur
nos marchés. Nous avons aussi décidé
d'investir dans tout ce qui touche à l'e-business.
Et la vitrine est aussi importante que la plomberie. Le
client doit pouvoir disposer des meilleurs outils et temps
de réponse qu'il est en droit d'exiger.
Qui
sont vos principaux partenaires ?
Cisco
est un partenaire très important dans le domaine
des services de réseaux. Nous sommes également
prestataires de services pour Dell et Packard-Bell Nec.
Pour tout ce qui est "call-center", nous avons
signé un accord avec Siebel au niveau mondial. Enfin,
nous avons développé un partenariat très
étroit avec Microsoft, qui fait de nous un acteur
important du lancement de Windows 2000.
Avec Linux
et Solaris en Open Source, que pensez-vous de la multiplication
des OS ?
C'est comme ça que le marché
progresse. Mais quand on regarde les grandes tendances,
on s'aperçoit que les acteurs ne sont pas très
nombreux. Les clients sont encore un peu conservateurs par
rapport à la plate-forme Windows. Les grandes déclarations
ne sont pas toujours suivies de résultats positifs,
comme pour l'échec des Network Computers.
Que pensez-vous de la standardisation ?
Il ne faut pas qu'elle tue l'innovation.
Elle se produit de facto en fonction des standards du marché.
Heureusement, cela n'empêche pas des produits innovants
comme Linux de se faire jour. Alors que la standardisation
procure des solutions performantes à des prix abordables,
l'innovation permet de faire évoluer toutes les offres
du marché. Cette question très intéressante
se pose encore beaucoup plus dans des domaines annexes comme
la téléphonie mobile et les DVD, car les standards
futurs ne sont pas encore certains.
Quels
sont les secteurs de prédilection d'Unisys ?
Nous
avons choisi des segments verticaux sur lesquels nous sommes
historiquement très présents : la banque-assurance,
les transports, les télécommunications, la
presse et le secteur public. Nous abordons des domaines
nouveaux qui correspondent aux besoins exprimés par
les clients. Entre les opérateurs téléphoniques
et l'e-business, toutes nos offres vont supporter le WAP.
Les banques, par exemple, veulent pouvoir informer leurs
clients en temps réel sur l'état de leur compte.
Une autre application qui va voir le jour, pour les compagnies
aériennes, est d'informer le client quand son avion
accuse un retard.
Avez-vous
des difficultés pour recruter dans le contexte actuel
de pénurie de main d'oeuvre ?
Nous
connaissons le même problème que tout le monde,
du fait de la demande très forte de compétences
pointues, et de la grande mobilité des spécialistes.
Pour tous, le grand problème est d'attirer les meilleurs,
de les former et de les retenir. L'année qui vient,
nous comptons recruter 150 personnes en France.
Les
projets prennent-ils du retard à cause de cela ?
En ce qui nous concerne, au jour
d'aujourd'hui, la réponse est "non".
Quand nous sommes coincés sur un marché
par manque de ressources, nous pouvons facilement déplacer
des personnes du fait de notre taille, car nous représentons
36 000 collaborateurs à travers une centaine
de filiales dans le monde.
Bien entendu, nous gardons à l'esprit la préoccupation
permanente d'anticiper les besoins. Nous avons mis en
place un programme d'accueil des jeunes diplômés
dans lequel nous prévoyons de les former. "L'université
Unisys", comme on dit en interne, représente
pour nous quelque chose d'extrêmement important.
Nous formons plus de 1 500 jeunes par an au
niveau mondial.
D'où
provient votre intérêt pour l'informatique
généraliste ?
J'ai
travaillé chez IBM pendant 23 ans. Je me suis
occupé de la filiale en charge du lancement de
l'IBM PC en France. J'étais alors très proche
de Bill Gates, qui venait d'installer son HQ européen
à Paris. C'était entre 1983 et 1989, les
années historiques... L'IBM PC a été
lancé en juillet 1981 aux USA, et en janvier 1983
en Europe.
Quels
sont, ou seront, les projets informatiques des entreprises
en l'an 2000 ?
Nous
comptons sur une importante activité au niveau du
CRM. Historiquement, chez Unisys, nous faisions déjà
de la gestion de la relation client sans le dire pour le
secteur bancaire. Aujourd'hui, chacun sait que le CRM représente
le même phénomène que les ERP avec 5 ans
de retard. L'année 2000 sera pour nous primordiale
au niveau des développements CRM, au même titre
que 1994-1995 pour les ERP. Par
ailleurs, cette année sera d'autant plus importante
avec l'arrivée de Windows 2000.
Et
les intranets ?
Ils
connaîtront la même évolution qu'Internet,
et devront être utilisables avec les nouveaux terminaux
WAP et assistants personnels. Le Knowledge Management va
également prendre une place prépondérante
dans les intranets.
Sur
lesquels de ces
créneaux allez-vous
vous placer ?
En
ce qui nous concerne, notre politique consiste à
beaucoup investir dans la voix et dans l'image. Nous sommes
déjà très pointus dans la scannérisation
de l'image, pour les codes barres par exemple. D'autre part,
nous sommes les développeurs propriétaires
de la technologie GIF, qui avait été mise
sur la marché par Compuserve.
Les intranets et les extranets de demain devront intégrer
la voix et l'image. Nous développons des systèmes
de messagerie vocale pour les opérateurs, qui sont
à rapprocher avec intranet. Au lieu d'avoir le texte
d'un côté et la voix de l'autre, tout sera
mis ensemble avec l'image, et constituera la solution intra/extranet
de demain.
Que
pensez-vous du Knowledge Management ?
Le marché
décolle depuis quelques années sans emphase
particulière. Son explosion est liée à
celle d'Internet. Plus le réseau se démocratise,
plus les besoins en gestion de la connaissance se développent
rapidement. Cela commence par l'entreprise, avec des problématiques
différentes suivant les secteurs.
L'information est disponible partout. Il faut savoir aller
la chercher, la stocker et la retrouver facilement quand
on en a besoin. Le Knowledge Management va engendrer de
nouvelles façons d'enseigner et d'éduquer
les personnes. Sur ce marché, Unisys équipe
les plus grandes polices dans le monde, qui ont une problématique
importante de gestion de l'information combinée avec
la maîtrise de la sécurité.
Quelle
est la demande du
client aujourd'hui ?
Le client vit dans un monde qui
change tous les jours, à toute allure. Nous sommes
entrés dans la troisième vague qui remplace
la vague industrielle précédente par "l'économie
digitale". Notre client, l'entreprise de demain,
doit se préparer à toutes les évolutions
liées aux exigences de ses propres clients. C'est
la génération e-business : le client d'aujourd'hui
veut tout, tout de suite.
Qu'est-ce
qui demain
fera la différence,
sur le plan technologique, entre les entreprises ?
Nous sommes revenus à la
même problématique que les mainframes. A
l'époque, les ingénieurs qui ont mis en
place ces systèmes temps réel ont eu à
résoudre des problèmes de performance. Le
problème de la "plomberie", les tuyaux
et les câbles, se pose inévitablement. Toute
la chaîne entre le serveur et l'utilisateur doit
être prise en compte lors de la montée en
charge. Un internaute ne supporte pas que l'affichage
d'une page dépasse les 9 secondes.
Ce problème concerne aussi les opérateurs,
avec parfois des piques gigantesques. Lorsque nous étions
présents lors du passage à l'an 2000, nous
avons regardé la montée en charge des opérateurs
juste après minuit. C'était très
impressionnant ! Et c'est ce genre de maîtrise de
système qui fera la différence demain.
Diplômé
de l'Ecole Centrale de Lille, René Le Goff
a consacré 23 ans de sa vie à IBM,
où il entre en 1969 comme ingénieur commercial.
Chez Big Blue, il prend successivement les fonctions de
direction d'IBM-France Diffusion en charge du lancement
de l'IBM PC et des réseaux externes de distribution,
puis directeur des opérations pour la zone Centre-Europe,
vice-président international marketing et enfin
directeur des opérations d'IBM France. Depuis 1992,
il occupe des postes dirigeants chez SSA France, CCMX
et TSC Europe, avant de rejoindre Unisys France en octobre
1999 en tant que directeur général de la
division "Information Services".
Toutes nos interviews