Avocat à la Cour praticien du Droit des nouvelles
technologies, Sylvain Martin fait le point sur les risques
d'actions en justice après le 1er janvier et comment
s'en protéger.
Propos recueillis le 15 décembre 1999 par Alain
Steinmann
JI:
Y'a-t'il déjà des affaires en Justice liées
à l'an 2000?
Sylvain Martin: Aujourd'hui peu d'affaires ont éclaté,
on en dénombre 6 actuellement, ce qui est très
faible. Beaucoup de PME se sont préoccupé
du bug tardivement et vont découvrir le problème
dans la nuit du 31 décembre. La responsabilité
du fournisseur est une réponse juridique et non technique.
C'est un raisonnement à sens unique du type: "si
je me plante c'est de la faute de l'autre." En fait,
cela révèle qu'il n'y a pas de vision claire
de la problématique de l'an 2000 dans les entreprises.
Les vraies questions ne sont pas posées: quelles
sont les mesures techniques à prendre réellement
?
Que
dit la loi ?
Dans
ces cas, il faudrait appliquer la Code civil qui a du mal
à répondre à ce type de problématique.
Beaucoup de voies juridiques sont possibles mais quels que
soient les différents moyens employés, on
ne peut pas anticiper la réponse des magistrats.
Ce qui est sûr, c'est que le client n'est pas certain
de gagner devant les tribunaux.
Croyez vous qu'une loi pourrait
être envisagée après coup ?
S'il y a des milliers d'incidents, le législateur
pourra envisager une amnistie notamment en matière
de garantie décénnale dans le bâtiment.
Une cour de cassation pourrait également casser un
jugement en arguant d'un cas de force majeure. Si le prestataire
a tout mis en oeuvre pour que le client passe, ce dernier
ne pourra pas prétendre à un manque d'implication.
Et
après le 1er janvier, anticipez vous une multiplication
des affaires ?
Il y a trois mois je pensais qu'il n'y aurait pas d'affaires,
aujourd'hui je pense au contraire qu'elles risquent de se
multiplier. Les lois américaines ont eu pour but
d'incitier les gens à discuter entre eux et la solution
qui se dessine outre-Atlantique est le compromis. Pour les
entreprises françaises, la question est: quel intérêt
à porter plainte? S'il faut tout changer et que rien
n'est compatible, il y en a pour trois mois de travail et
l'entreprise aura autre chose à faire à ce
moment là.
Quels
conseils donner aux fournisseurs ?
Premièrement,
ils doivent s'assurer de bien avoir écrit à
l'ensemble de leurs clients. Les lettres doivent êtres
sûres techniquement, claires et complètes.
Ainsi, il peut être utile de préciser que la
version an 2000 d'un progiciel nécessite plus de
mémoire, ce qui implique un changement de machine.
Autre exemple, il n'est pas inutile de préciser la
technique de fenêtrage qui a été employée
et la date pivot. Les contentieux de demain porteront sur
la date pivot, c'est une certitude.
Que
peuvent faire les clients si un problème survient
le jour J ?
Les
victimes devront réfléchir avant de se retourner
contre les fournisseurs qui leur avaient fourni des "garanties
an 2000" en bonne et due forme. Ces garanties n'entraîneront
pas automatiquement la responsabilité des fournisseurs
car la bataille va se placer sur le terrain de la preuve.
Les utilisateurs ne pourront pas se contenter d'établir
des dysfonctionnements, il faudra également qu'ils
en démontrent l'origine. Pour que la démonstration
soit convaincante, il faudra être prêt à
mobiliser une équipe technique et judicaire à
l'heure du réveillon. Il ne faut pas oublier que
si le blocage intervient à minuit pile, il faudra
aussi envisager une origine virale.
Quels
conseils donner aux clients alors ?
Ne
pas jeter les lettres reçues de leurs fournisseurs,
clients etc. Il est nécessaire de tout compiler dans
un dossier an 2000 qui permettra de coordonner les actions
futures. Ensuite, en dernière urgence, vérifier
que toutes les mesures préconisées en interne
ou par les fournisseurs ont bien été appliquées.
Pour terminer, et ce sont plus des conseils purement techniques,
les entreprises devront faire des sauvegardes pour éviter
les problèmes liés aux virus du réveillon.
Ces sauvegardes devront être de plus en plus rapprochées
au fur et à mesure que l'on se rapproche de l'an
2000. Enfin, il ne faut pas oublier que le passage à
l'an 2000 va durer 24 heures dans le monde donc les entreprises
internationales auront tout intérêt à
posséder des sauvegardes d'une heure où aucune
filiale n'a pas passé le bug.
Et
les assureurs, quelles seront leur réaction ?
L'attitude
passive des utilisateurs pourra être retenue par les
assureurs pour refuser toute indemnisation. Le fait de ne
pas chercher à minimiser le risque d'un sinistre
revient à porter atteinte au principe de l'aléa,
déterminant en droit des assurances.
Le
problème de l'an 2000 ne révèle-t'il
pas une faillite collective de l 'informatique ?
Le
bug de l'an 2000 a révélé les problèmes
de dates qui ne font que commencer car de nombreux autres
logiciels ou matériels seront aussi confrontés
à des bugs du même type dans les prochaines
années, notamment sur les dates pivot.