Secteur
par secteur, où en est-on ?
Il
n'y a pas d'effet de secteur: on trouve de tout dans le
même secteur. Même du côté des
grandes entreprises, tout le monde n'est pas prêt.
Je connais par exemple de grands transporteurs qui travaillent
avec des bouts de papier. En fait, il y a une dimension
culturelle non négligeable et certains ont encore
des réflexes du type "c'est un coup des fournisseurs
pour nous faire acheter du matériel".
Que
répondez-vous à ceux qui disent que l'an
2000 n'est pas un problème à l'ordre du
jour ?
Je leur demanderais au moins de
s'identifier clairement, qu'on puisse les éviter
Ils engagent leur responsabilité économique
car ils risquent de voir leur entité économique
disparaître. Et leur responsabilité
personnelle vis à vis de la communauté de
leurs actionnaires et salariés. L'an 2000 peut être un pari.
Faire le pari qu'il ne se passera rien peut être
dangereux. Faire le pari qu'il se passera quelque chose,
c'est déjà faire la démarche d'en
tirer un avantage par rapport à ceux qui ne feront
rien.
Où en est le secteur public ?
La France a la chance d'avoir un
secteur public centralisé. EDF et France Télécom
arriveront sans peine à maîtriser l'an 2000.
La plus grande difficulté, c'est l'éparpillement.
Comment une entreprise peut-elle
savoir si elle est prête ?
C'est difficile de dire ce qu'on entend par "prêt"
ou "non prêt". Au Clusif, nous disons
clairement qu'il ne faut pas s'exarcerber sur les inventaires
mais avoir une approche de type gestion de risques. Il
faut s'organiser pour ne pas être en situation de
dépendance ou de blocage. Les bonnes questions
à se poser c'est: de quoi ai-je besoin ? Comment
m'organiser en fonction de ces besoins ?
Le blocage technique est une chose: il est lié
à la non préparation des composants. Tout
le monde a peu ou prou fait son inventaire mais certains
vont se retrouver bloqués parce qu'ils n'ont pas
d'informations provenant de leurs fournisseurs. Il faut
bien comprendre dans quel processus s'intègre le
composant. Ceux qui seront prêts sont ceux qui auront
suffisamment préparé et analysé
la situation pour savoir comment se débrouiller.
Comment se situent les entreprises françaises par
rapport à leurs homologues européennes ?
Les anglo-saxons ont une forte culture du risque mais,
même au Royaume-Uni, il a fallu une campagne de
communication supplémentaire nécessaire.
Les plus avancés sont les néerlandais (dont la commission
an 2000 est dirigée par l'ancien patron de Philips)
et les Allemands (où le patronat a pris les choses
en main). Plus on descend vers le sud, moins les pays
sont prêts. La France est un doux mélange
d'hypersensibilité et de scepticisme cartésien.
Est-ce que ce qu'on avait
prévu il y a deux ans, à J-1000 s'est réalisé
Il
y a deux ans, il n'y avait pas de mission consacrée
à l'an 2000 et seulement quelques "fous"
osaient en parler. A J-1000, certains journalistes sont
venus au Clusif en pensant qu'on allait parler des festivités
de l'an 2000, c'est vous dire! L'arbre de l'euro a caché la forêt de l'an
2000 et beaucoup d'entreprises ont préféré
évincer le problème qui était susceptible
de remettre en cause les objectifs sur l'euro. On disait
que c'était surtout un problème de migration
de Cobol et que ça ne concernait que les grands.
En fait, on ne mesurait pas toutes les conséquences
puisqu'on avait une approche essentiellement centrée
sur les inventaires. Il n'y avait d'ailleurs pas beaucoup
de solutions pour scanner le code source et trouver les
problèmes de dates.
Quels conseils donneriez-vous aux entreprises aujourd'hui,
à 200 jours du bug?
1-
Abandonner la recherche de l'inventaire mais plutôt
se demander ce qui est essentiel à leur activité,
ce qui est vital au sens financier, puis ce qui est critique
et enfin le non critique (les statistiques par exemple).
2- Identifier les composants électroniques qui
peuvent flancher dans ce qui est vital: en fait ce n'est
pas énormément de choses.
3- Faire un inventaire rapide des solutions possibles
et de leur faisabilité. Changer une machine par
exemple, ce n'est pas compliqué mais réorganiser
une chaine de production, c'est difficile à
200 jours de l'an 2000.
4- Si la solution est faisable, la mettre en place. Sinon
étudier un plan de contournement manuel et dégradé.
Entre une solution glorieuse et une solution basique,
je choisis la basique, c'est une approche humble. Mais
il faut bien se réserver du temps pour une réflexion
en amont et en aval.
Il faut avoir une vision transversale. Ceux qui prétendent
que c'est compliqué doivent se rendre compte que
c'est une bonne occasion pour se poser le problème
et que les points étudiés vont pouvoir servir
dans l'entreprise.
Quel est le planning idéal?
Depuis
le début de l'année, les entreprises doivent
avoir analysé les contraintes de leurs systèmes.
Entre juin et août, elles doivent réaliser
des tests d'intégration pour voir quels sont les
outils conformes à l'an 2000 et qu'ils sont bien
compatibles entre eux. C'est une notion très importante:
les logiciels compatibles an 2000 ne le sont pas forcément
entre eux! En septembre, il faudra mettre en place un
plan de continuité pour organiser un bon passage,
mettre en place une gestion des incidents.
Et
ceux qui sont hors planning ?
Ce
sont des proies faciles qui vont chercher des bouées
de secours. Ils ont peur et sont prêts à
acheter n'importe quoi. Ceux-là doivent mettre
en place notre plan de secours. Ils ont encore une chance
s'ils ne sont pas trop lourds et que leur dépendance
par rapport à leur système d'information
n'est pas trop importante.
Qui
doit prendre en charge le projet de passage à l'an
2000? La direction informatique?
C'est l'erreur initiale. L'an 2000 est
un problème qui a des connotations partout. Je
pense qu'il faut une approche à quatre: le patron du
comité de pilotage doit être le chef d'entreprise
et doit organiser la réflexion selon trois axes:
1- Les systèmes d'information (l'informatique de
gestion)
2- Les infrastructures
3- Les process.
Quels
seront les coûts du passage à l'an 2000 selon
vous?
Il faut distinguer trois choses:
1- Les mises à niveau du matériel et des
logiciels devraient représenter entre 150 et 200
milliards de francs. Mais l'an 2000 peut obliger à
avancer des dépenses et la somme due uniquement
à l'an 2000 est très difficile à
estimer.
2- Les coûts de dysfonctionnement que personne ne
peut évaluer aujourd'hui.
3- Les risques en terme de croissance. Là il
y a deux approches: ceux qui pensent que ça va
nous coûter très cher et que nous allons
perdre des points de croissance et d'autres (dont je fais
partie) qui estiment que la nécessité d'adaptation
va entraîner beaucoup d'activité.
Qu'est-ce-que
le Clusif prévoit pour le 3 janvier 2000?
Tous
les jours, il va se passer tout un tas de petits incidents
mais nous ne prévoyons pas de catastrophe. Vous
savez, l'an 2000 a déjà commencé
et il se produit tous les jours des problèmes avant
même le passage effectif. Mais le plus à
redouter, c'est l'effet domino, des petites causes qui
produisent de grands effets. Ca dépendra un peu
de l'état de préparation des foules. Si
elles ont été assez bien préparées,
elles ne paniqueront pas. Sinon, il pourrait y avoir des effets de panique.
Le
passage à l'an 2000 n'est pas l'arbre qui cache
la forêt de l'inadaptation croissante des moyens
informatiques?
Si.
D'autres problèmes vont se poser. Mais le bug de
l'an 2000 va durer 6 mois et il ne faudra pas se sentir
débarrassé le soir du 3 janvier. D'autres
problèmes vont apparaître après. Il
faudra d'ailleurs surveiller le 29 février 2000
et quelques autres dates. Plus généralement, on ne pourra pas faire
l'économie d'une vraie réflexion sur la
dépendance dans laquelle on se trouve aujourd'hui
vis-à-vis des systèmes d'information.
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