Quels sont les facteurs de réussite d'une place de
marché verticale ? Quels sont les modèles
économiques gagnants ? Quel bilan peut-on tirer des
initiatives actuelles ? Autant de questions auxquelles répond
Olivier Vidal, expert du conseil qui officie auprès
des plus grands noms de l'industrie internationale (CPGmarket,
la place de Danone et Nestlé). Le cabinet Andersen
Consulting a accompagné une trentaine de projets
à l'heure actuelle.
Propos recueillis le 21 juin 2000 par Alexandra
Bissé
JDNet
Solutions : Qu'est-ce
qui conditionnera, selon vous, la réussite des nouvelles
places de marché virtuelles ?
Olivier
Vidal : Deux conditions majeures garantiront, selon
moi, le succès des places de marché. Face
à la multiplication des places, celles qui sortiront
gagnantes seront celles qui sauront s'imposer comme "standard
de l'industrie". Pour illustrer cette théorie,
on peut citer l'exemple des deux places de marché
de la Grande Distribution qui ont vu le jour récemment
: l'alliance Carrefour et Sears (GlobalNetExchange)
et WRE (Worlwide Retail Exchange) qui réunit entre
autres Auchan, K-Mart ou encore Tesco. La première
se positionne davantage comme ce que l'on nomme "un
Club", c'est-à-dire un espace transactionnel
assez fermé où les deux fondateurs détiennent
la majorité du capital et donc un pouvoir d'achat
quasi monopolistique. Tandis que la seconde, plus récente
a adopté une politique plus égalitaire (ndlr
:chaque membre détient 5% des actions). Ces structures
capitalistiques différentes ont d'ores et déjà
un impact direct sur l'attrait qu'elles suciteront auprès
de l'industrie. Leur capacité à mettre en
place rapidement des outils et des services à valeur
ajoutée détermineront ensuite leur aptitude
à devenir justement ce fameux "standard de l'industrie".
Des revirements sont susceptibles d'intervenir au fur et
à mesure du développment des places respectives
(transferts de participants).
Quel
est le second facteur de succès ?
Le
deuxième axe réside dans la faculté
de ces places à équilibrer l'aspect buyer
side et seller side. Une place orientée
seller side est une place qui se positionne davantage
comme un portail qui met à disposition d'acheteurs
potentiels non représentés sur le portail
un ensemble de prestataires et de services d'aide à
la recherche. A l'inverse un espace buyer side positionne
les acheteurs comme des acteurs dominants et souvent fondateurs
(par exemple WRE). Les dangers inhérents à
ces deux situations résident dans le premier cas
d'un boycott de la place par les fournisseurs et dans le
deuxième que la place devienne une centrale d'achat
(on encourerait l'anti-trust : la partage des données
commerciales est à proscrire absolument).
Quels
sont les écueils des places actuelles ?
Le
problème de la situation actuelle, en pleine effervescence,
est de voir des places de marché créées
par des investisseurs et non pas par les industriels eux-mêmes.
Ces dernières doivent être avant tout des émanations
des gens du métier et non pas de holding financières.
Privilégier des logiques capitalistiques, d'IPO et
d'effets d'annonces (voir l'exemple de la holding Internet
Capital Group et ses diverses
initiatives d'e-procurement) pour obtenir une valorisation
par le marché financier est très dangereux
pour la viabilité de l'entreprise. Il faut créer
une valeur réelle et pas seulement virtuelle.
Quels
sont les modèles économiques gagnants ?
Selon moi, tout ce qui est échange de données
informatiques deviendra une commodité pure (au même
titre que l'eau ou l'électricité) et ne génèrera
en conséquence que peu de marge pour les opérateurs.
Le prix de la dématérialisation des documents
et des transactions est voué à un effondrement.
Dans ce contexte, il faut trouver de nouvelles sources de
revenu.
Les dimensions d'enchère,
de collaboration, de connaissance des marchés fournisseurs
sont autant de leviers à explorer pour créer
de la valeur. Le prix proposé aux utilisateurs dépendra
fortement de la capacité de la place à supporter
des logiques coopératives dans les échanges
opérés entre les partenaires (cette dimension
représenterait à terme 10% du coût total
proposé).
Néanmoins dans 20 ans on peut imaginer que lorsque
tout le monde sera capable de fournir parfaitement ce type
de prestation, elles deviendront également des commodités
génériques...
Il faudra alors faire preuve de créativité
!
Quel
est le rôle d'un cabinet de conseil tel que Andersen
Consulting dans la conception de place de marché
?
Notre spectre d'interventions est en fait assez large. Nous
sommes capables d'assurer par exemple le management intérimaire
de la structure en construction, d'apporter du conseil dans
la définition du business model (déterminer
le modèle de revenu, de pricing, les techniques de
recrutement de clients, etc.), dans certains cas accompagner
dans le tour de table. Nous disposons également de
compétences technologiques non négligeables
(ndlr : 20% de l'effectif est dédié aux Nouvelles
Technologies) qui interviennent sur des projets en environnment
Windows 2000, Oracle, Ariba, Commerce One, iPlanet ou encore
SAP sans exclusivité particulière.
Disposez-vous
d'une entité spécifique sur cette thématique
?
Nous
n'avons pas de division propre à ce sujet car nous
sommes organisés en industrie. En revanche, nous
disposons d'une division dédiée au supply
chain management (gestion de la chaîne logistique)
qui fonctionne en réseau à un niveau mondial.
Celle-ci nous permet d'appliquer directement notre savoir-faire
dans ce domaine aux places de marché. Le CA des projets
de supply chain ont représenté un montant
de l'ordre de 1,2 milliard de dollars l'année dernière.
C'est dire leur importance dans l'économie actuelle.
Au niveau des places de marché, il s'agira de brosser
à nos clients un panorama complet des systèmes
d'achat sur un secteur donné, les relations entre
les fournisseurs et comment créer une valeur potentielle
sur Internet à partir des schémas pré-existants.
Comment les mécanismes
de supply chain impactent-ils la place de marché
?
Au niveau des achats stratégiques sur une place de
marché, il n'est pas pensable d'organiser des transactions
sous forme d'enchères par exemple ! Il faut alors
rechercher d'autres sources de création de valeur.
A ce niveau, les processus d'intégration de la supply
chain sont des réponses adéquates aux problématiques
des entreprises. Les places de marché se trouvent
être des terrains idéaux pour optimiser la
chaîne de production et de planification. Cette dimension
trouve son application directe au niveau des processus de
conception produit et d'intégration transactionnelle.
A un niveau individuel, il serait impossible - car trop
coûteux - d'instaurer ce type de processus. La mutualisation
des outils et des process sur la place de marché
favorisent le déploiement de ces concepts.
Quelle
est la nature de vos partenariats technologiques ?
J'estime
qu'il n'existe pas à l'heure actuelle de technologie
meilleure que les autres. Elles présentent toutes
des lacunes et ciblent des places de marché diverses
(selon sa taille, les flux gérés, etc.). Des
acteurs tels que Ariba, Oracle ou Commerce One sont indéniablement
très forts sur les aspects commerciaux d'une place
de marché. Néanmoins ils nécessitent
souvent la combinaison d'outils complémentaires comme
par exemple ceux d'I2 ou de Manugistics pour la gestion
de la chaîne logistique. Quant à SAP, il est
certainement très performant pour les entreprises
déjà utilisatrices de son ERP qui pourront
capitaliser pleinement sur les efforts d'intégration
déjà consentis antérieurement. Nous
avons par ailleurs créer avec Sun, une joint-venture
utilisant les technologies d'iPlanet. (voir
article)
Olivier
Vidal est Associé et responsable des activités de Supply
Chain Management chez Andersen Consulting en France et
au Benelux. Il a plus de 15 ans d'expérience dans le conseil,
notamment dans la distribution. Avant de rejoindre Andersen
Consulting, Olivier Vidal a occupé des fonctions dans
la recherche dans l'industrie aéronautique en France.
Auparavant, il a été Lecteur pour des élèves ingénieurs
et des classes de Doctorat à la McMaster University, dans
l'Ontario au Canada. Olivier Vidal est membre de l'ASLOG,
l'Association française pour la Logistique.
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