Olivier Seznec et Alain Fiocco (Cisco Systems) : "
"Les technologies Ethernet procurent un choix d'interfaces plus élevé""

Par le JDNet Solutions (Benchmark Group)
URL : http://www.journaldunet.com/solutions/itws/011015_it_cisco_seznecfiocco.shtml


Fondé en 1984 par des chercheurs américains de l'université de Stanford, Cisco Systems est devenu depuis le premier équipementier mondial sur de nombreuses lignes de produits réseaux. Mais aujourd'hui, le géant n'échappe pas à la règle du marché en crise même s'il déclare ne pas avoir été touché de plein fouet. Cet été, l'entité de recherche et développement s'est réorganisée autour de 11 grands thèmes, qui soulignent les grandes tendances d'aujourd'hui et de demain. Pour en parler, mais aussi pour évoquer les différentes actions récentes engagées par Cisco, nous nous sommes entretenus avec deux de ses dirigeants. Olivier Seznec, directeur technique France et Alain Fiocco, directeur marketing produits pour la zone couvrant l'Europe, le Moyen-Orient et l'Afrique, nous dévoilent en filigrane les tenants et les aboutissants de la stratégie de Cisco.

Propos recueillis par François Morel le 15/010/2001

JDNet Solutions: Quel diagnostic faites-vous de la crise des équipementiers ?
Olivier Seznec: Globalement, le ralentissement fort a touché les opérateurs qui étaient massivement investi dans leurs infrastructures. Aujourd'hui, ils ont des réseaux modernes qui sont sous-utilisés, et sont tombés dans une surcapacité en face du ralentissement de l'économie. En particulier, beaucoup d'opérateurs alternatifs ont investi avec des perspectives de business qu'ils croyaient sûres, et ont connu ensuite des conséquences annexes dues à une baisses des investissements et des ventes.

A partir de là, selon que les équipementiers soient plus tournés vers les opérateurs ou vers les entreprises, ils ont été plus ou moins touchés. Du côté des opérateurs, les conséquences ont été pires puisque les projets ont été différés dans le temps. Mais nous voyons que pour les entreprises, l'impact n'a pas été de même nature que du côté des opérateurs alternatifs. Dans le même temps, nous nous apercevons aussi que les opérateurs traditionnels résistent mieux à la crise.

Quels sont les domaines qui ont été les plus touchés ?
O.S.: En premier, il s'agit du transport optique longue distance. Ensuite, les infrastructures mobiles de troisième génération ont aussi connu un ralentissement très significatif. De ce côté-là, les opérateurs n'ont pas encore amorti leurs réseaux GSM et les perspectives liées au 3G ne sont pas toujours très claires. L'investissement UMTS n'est pas garanti et ne joue pas sur la rentabilité à court terme.

A propos de la fibre optique, quelles sont les différences entre le marché français, ou européen, et le marché américain ?
Alain Fiocco: Sur la partie correspondant aux coeurs de réseaux, si nous regardons sur les dernières années, la bande passante déployée par les opérateurs quadruple régulièrement. Cette mise à niveau des infrastructure aux Etats-Unis s'est passée tous les huit mois. L'Europe, au cours des quatre dernières années, a connu le même mouvement mais de façon accélérée, tous les 12 mois. Donc tout d'abord, la bande passante augmente, mais aussi elle est plus économique. Plutôt que de faire cohabiter plusieurs liaisons STM-4 à 622 Mbps en parallèle, on va continuer à mettre à niveau en passant à 2,4 Gbps car cela permet souvent d'enlever une couche d'infrastructure optique.

Par conséquent, peut-on encore parler d'un retard français, ou européen ?
A.F.: Aujourd'hui, il n'y a peut-être plus que 6 mois de retard au niveau des backbones européens par rapport aux Etats-Unis. En Europe, les opérateurs upgradent leur connectivité de 2,4 Gbps à 10 Gbps en ce moment. C'est le cas de France Télécom pour ses liaisons transatlantiques, mais aussi de Deutsche Telekom qui effectue la même manipulation. Aux Etats-Unis, ce mouvement a eu lieu il y a 6 à 12 mois.

En second lieu, nous nous rendons compte qu'aux Etats-Unis les réseaux IP sont fortement liés aux zones qui produisent les contenus. De fait, la structure est plus maillée qu'en France où énormément de services de contenu se trouvent sur Paris et sa région. Il s'agit d'une structure en étoile, contrairement aux Etats-Unis qui disposent d'une structure maillée. Ceci dit, la tendance est très forte en Europe quant au maillage des réseaux, en particulier sur le fait de déployer le contenu vers les utilisateurs avec des caches. Mais le point de départ a été retardé.

Le phénomène de migration n'a pas lieu en Allemagne où le réseau est traditionnellement maillé comme aux USA, car le contenu est décentralisé. En attendant, de plus en plus de contenu local se développe aujourd'hui en France, avec en soutien tous les mécanismes de cache et de serveurs miroirs qui font que celui-ci se distribue plus rapidement.

Dans ce contexte, comment se situe aujourd'hui la stratégie de Cisco ?
O.S.: Déjà, nous sommes un fournisseur généraliste car nous fournissons aussi bien les opérateurs en infrastructures et les entreprises qui ont un fort besoin en télécommunications. Par conséquent, le ralentissement ne nous a pas touché de plein fouet sur toutes nos gammes de produits car nous avons une offre de produits assez large. Le fait que les investissements se soient amoindris dans certains domaines nous amène à nous concentrer sur les marchés en plus forte croissance. Donc, nous éliminons un certain nombre de recouvrement de gammes. Nous étions à plus de 50 % de croissance annuelle, et cette pratique nous permet d'être plus véloce sur les autres plans. Lorsque le marché se réduit, il faut être capable d'affiner sa couverture et de procéder à un recouvrement pour obtenir des gammes plus homogènes.

Avant cet été, notre structure toute entière était orientée vers le client final avec les unités opérateurs entre les grandes entreprises et les PME-PMI. Chacune de ces entités était responsable de la conception de produits et de solutions. Nous avons donc identifié un certain nombre de recouvrements entre les produits opérateurs et les produits entreprises. Ce qui fait que nous avons procédé au recoupement de nos entités R&D sur 11 grands thèmes de solutions.

Quels sont donc pour vous les marchés qui sont les plus prometteurs ?
O.S.: Parmi ceux-ci, le marché du routage et de la commutation de données classiques de type Ethernet est un secteur encore en forte croissance. Nos annonces de cette semaine s'inscrivent dans ce contexte, autour de nos nouveaux routeurs 10 Gigabits. Il s'agit des gammes Cisco 10 000 et Cisco 12 000 pour adresser la performance de l'ensemble des services IP à très haut débit. Nous restons donc focalisés sur notre métier traditionnel de routage et de commutation. Et à côté, nous développons tout une série de nouvelles technologies dont certaines ont déjà décollé comme la sécurité, qui est un marché très significatif.

D'autre part, nous nous intéressons aux technologies dans le domaine optique pour les réseaux métropolitains en construisant des infrastructures à très haut débit. Ici, nous fournissons entre autres des équipements de technologie DWDM qui permettent de faire du multiplexage optique. Nous proposons également des technologies DPT qui permettent, sur des réseaux de moyenne distance, de l'ordre de quelques centaines de kilomètres, de constituer des liens à haut débit avec une très forte disponibilité.

Pourquoi cet engouement toujours soutenu envers les technologies Ethernet ?
O.S.: Au niveau des prix, les réseaux sont moins chers. D'autre part, les technologies Ethernet procurent un choix d'interfaces plus élevé car il est possible d'y relier un plus grand nombre de routeurs, qu'il s'agisse de liaisons ATM, Ethernet ou plus bas débit. Après, nous pouvons aussi mettre en place des technologies FTTC (Fiber to the curb) et FTTH (Fiber to the home) où là, la technologie est moins puissante. Nous pouvons proposer des technologies d'au moins 10 Gbps qui peuvent être Ethernet ou basée sur du tramage SDH, voire du pur optique en "n fois 10 ou 10,5 Gbps". Ou "n fois" la technologie la moins chère sur de faibles distances.

En Ethernet ZX, nous savons aller jusqu'à 70 kilomètres, et aujourd'hui sur des interfaces à 10 Gbps, nous atteignons 50 kilomètres. Ce ne sont pas encore de très longues distances, mais c'est le plus souvent suffisant. Ensuite, nous savons aussi aggréger des liens Gigabits Ethernet et Gigabits EtherChannel. Donc nous savons aller jusqu'à 8 liens en parallèle avec un partage de charges. Nous montons jusqu'à 10 Gbps full duplex, ce qui fait que nous pouvons aller jusqu'à 80 Gbps. En EtherChannel, la demande tourne en général autour de deux liens, ce qui est assez classique au moins pour assurer des fonctions de redondance avancée.

Des opérateurs nous ont soufflé que vous participiez aux discussions sur le dégroupage de la boucle locale. Pouvez-vous nous faire part des évolutions que vous avez pu constater, s'il y en a ?
A.F.: Il y a pas mal de choses en cours. Ce que nous pouvons assez clairement constater est la tendance forte au niveau des services Data (de données), en particulier concernant la pénétration du Gigabit Ethernet dans les infrastructures des opérateurs. Nous voyons de plus en plus de fournisseurs qui apportent soit des services de connexion, soit de l'interconnexion de sites. Dans le métropolitain, beaucoup de capacités optiques ont été déployées au cours des dernières années.

Ensuite, certains aspects du sujet sont plus compliqués. Nous savons tous que le dégroupage n'est pas un franc succès en Europe. Nous voyons bien les problèmes que rencontrent des opérateurs comme Cegetel en France et Energis en Grande-Bretagne. Sur le fil de cuivre, cela se passe très mal outre-Manche au point qu'Energis a décidé hier (en début de semaine, ndlr) de ne pas participer au dégroupage car il n'y a pas assez de points de raccordement libres dans les centres de British Telecom. Et le coût de la localisation est tel que cela constitue un cas d'affaire. Autant sur la partie optique et au niveau du câble cela se passe bien, autant sur le dégroupage de la paire torsadée ce n'est pas un franc succès. Et cela cause un problème majeur en terme de frein à la disponilité de la large bande auprès du marché résidentiel et des PME-PMI.

Quelle est la participation de Cisco aux négociations ? En quoi êtes-vous impliqués ?
A.F.: Nous faisons partie du groupe de travail sur le dégroupage et j'assiste personnellement aux sessions plénières. Parmi les actions en cours, nous participons aux activités de lobbying auprès des instances européennes. Il existe une prise de conscience dans l'industrie en faveur d'une accélération des services large bande. Cela constitue l'une des partie des annonces que nous avons diffusées récemment, avec des produits comme le Cisco 15 700 autour duquel toute une gamme va se décliner. L'idée est de placer des routeurs au plus près des utilisateurs dans les soubassements des buildings et des supermarchés. Et avec ça, de fournir la connectivité Ethernet, et de faire en sorte que le routeur soit raccordé à des boucles optiques packées de type DPT, ce qui permettra de fournir des services à haut débit au marché résidentiel plus spécifique des PME-PMI.

Dans ce marché résidentiel pur, la problématique est intéressante. Soit les opérateurs doivent recâbler, soit ils pourraient réutiliser le câble téléphonique dans l'immeuble. Mais là, il s'agirait de le détourner de France Télécom et le cadre légal n'est pas défini. Les propriétaires des immeubles doivent souscrire un contrat de gestion et d'entretien avec l'opérateur de boucle locale. Mais si l'on se positionne sur des zones d'activité comme Marne la Vallée ou Issy les Moulineaux, la problématique est différente car le câblage est la propriété du propriétaire de l'immeuble. Aux Etats-Unis, cette problématique résidentielle du dégroupage des derniers 100 mètres s'appelle le Last Yard. Le Last Mile, quant à lui, se situe entre le centre de l'opérateur dominant et le répartiteur des PTT en Europe.


Pour conclure, quelles sont aujourd'hui les grandes tendances que vous allez suivre ?
O.S.: Nous travaillons sur un certain nombre d'aspects en rapport avec la mobilité, comme le fait que de plus en plus de personnes emploient des PC portables et ont besoin de se connecter depuis n'importe où à haut débit. Nous commençons à voir se déployer des points d'accès dans les salons d'hôtels, les gares et probablement demain les hôpitaux ou tous les bâtiments qui nécessitent un recâblage important. Dans les hôtels, par exemple, nous déployons de l'Ethernet LRE (Long Reach), où un modem est disponible à partir d'un point sur lequel peut se concentrer une forte demande d'accès en réutilisant le câble existant pour fournir du haut débit.

A.F.: Aujourd'hui, un autre secteur d'activité important correspond à tout ce qui touche aux architectures CDN (Content distribution network). Le CDN est un "buzzword", un terme que les gens ont parfois tendance à utiliser pour qualifier des technologies différentes. En ce qui nous concerne, nous fournissons des infrastructures de contenus distribués pour les opérateurs, les entreprises, et les entreprises dont les infrastructures sont gérées par des opérateurs.

Les fonctions que nous proposons sont de l'ordre du Content Switching (commutation de contenu) et du Load Balancing (répartition de charge) et rentrent dans la catégorie de nos produits CS 11000. Il s'agit de commutateurs de niveaux 4 à 7. Même au niveau applicatif, nous pouvons effectuer de la commutation SSL, et nous trouvons en front-end de très gros serveurs web. Enfin, les autres dimensions de l'architecture CDN sont les Content Engine ou les moteurs de contenu qui visent à créer des caches à l'intérieur du réseau de l'entreprise, et le Content Routing qui est plutôt une fonction fournie par l'opérateur.


Olivier Seznec, 38 ans, dispose de 11 années d'expérience dans les télécoms et réseaux. Directeur technique de Cisco France, il est chargé de la fourniture d'expertise technique pour l'ensemble des opérations sur le territoire français, plus précisément auprès des clients finaux et des partenaires, mais également en interne. Il possède un diplôme d'ingénieur des Mines de Paris.


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