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Solutions: la fusion entre KPNQwest et la partie européenne de
GTS (dont Ebone) ne crée-t-elle pas une série de redondances
?
Eric Joulié:
Il y aura quelques synergies mais aussi une rationalisation. Sur la partie
réseau, grâce à Ebone nous auront huit points de présence
en Grande-Bretagne où nous n'en avions qu'un seul. Nous récupérons
aussi une présence supplémentaire en Irlande, et en Espagne
où notre réseau n'était pas déployé.
En Italie, nous étions à Milan et nous nous étendrons
jusqu'à Rome. Nous allons aussi avoir des points supplémentaires
dans les Pays de l'Est, comme Bucarest en Roumanie, et Varsovie en Pologne
où nous étions absent et que nous allons relier via Prague
et Berlin. Enfin, la partie nord de
notre réseau va connaître une extension et nous allons pouvoir
depuis la Finlande nous connecter à St Petersbourg et Moscou. A
titre indicatif, nous ne seront pas propriétaires de la fibre sur
Budapest, Bucarest, Helsinki, Moscou et Varsovie.
Ensuite, le deuxième point concerne des capacités d'hébergement
dans 14 centres en Europe, qui sont assez complémentaires
des nôtres. A cela, il faut encore rajouter des réseaux métropolitains
(MAN) en provenance d'Ebone dans 14 villes : Amsterdam, Berlin,
Budapest, Düsseldorf, Francfort, Genève, Londres, Paris, Prague,
Stockholm, Madrid, Milan, Vienne et Zurich. Enfin, nous récupérons
preque 50 000 clients, ce qui va augmenter la récurrence
de nos revenus de façon importante.
Cet
été, vos actionnaires KPN et Qwest semblent avoir rencontré
des difficultés, avec notamment une rumeur de rachat du premier.
Comment se fait-il qu'à présent vous procédiez à
une aussi importante acquisition ?
KPNQwest est une société à
part entière. En tant que joint-venture entre KPN et Qwest, ces
deux derniers interviennent dans la stratégie mais pas dans la
gestion courante des opérations. Du reste, KPN avait décidé
dans sa logique de désendettement de céder une partie de
KPNQwest à Qwest et à son fonds d'investissement Anschutz.
Ce qui a eu pour impact de modifier la composition du conseil d'administration.
Aujourd'hui, celui-ci se constitue de trois représentants de Qwest,
un de KPN et trois neutres.
Ceci dit, nous continuons d'être un actif très stratégique
de KPN que nous utilisons toujours comme un important canal de distribution.
KPN se dit complètement lié à notre objectif de chiffre
d'affaires et nous sommes pour eux un vecteur important sur la partie
Benelux. Du côté de Qwest, nous représentons un bras
armé au niveau du continent européen.
Lorsque
vous parlez de rationalisation, faut-il s'attendre à la fermeture
de centres comme dans le cas récent d'Exodus avec GlobalCenter
?
Nous avons anticipé notre opération.
Cela fait 6 mois que nous devions y procéder et que nous sachions
les actifs que nous allions racheter. Maintenant, la véritable
question est "est-il moins cher de construire soi-même ou d'acheter
sur le marché ?". Alors, pourquoi faire plus cher avec
des problèmes de timing, quand les actifs sont disponibles... Forcément,
nous allons optimiser quelques routes, mais dans l'ensemble nous avons
une complémentarité qui est très intéressante.
Prenons l'exemple français: nous avions une première tranche
que nous devions augmenter à 10 000 m2 mais nous étions
revenu sur cette décision. D'une part, nous nous sommes adaptés
au marché, et d'autre part nous savions qu'il y aurait des actifs
disponibles sur le marché parisien. Avec le rachat d'Ebone, il
est clair que nous récupérons des actifs, et c'est vrai
dans beaucoup de villes. Notre projet initial se montait à 18 centres,
nous n'en avons construit que 6, et nous avons adapté selon les
différents remplissages.
Maintenant, les sociétés qui se sont trouvées ébranlées
étaient dans le domaine de l'hébergement pur. Bon an, mal
an, KPNQwest a continué de satisfaire les analystes. Parce que
nous avons notre réseau, nous proposons une offre de services plus
large et nous pouvons réaliser des arbitrages selon l'évolution
du marché. Un client peut héberger chez nous son extranet
et profiter de nos capacités pour se connecter. Nous avons des
grands comptes du secteur des technologies de l'information qui ont choisi
de ne plus avoir de salles, et ont vu l'intérêt de pouvoir
connecter leurs gros clients à travers de l'ATM ou du VPN/IP, en
bénéficiant de nos capacités d'hébergement
et de nos accords de peering.
Soit.
Mais il est difficile de croire que vous allez tout conserver, et qu'il
n'y aura ni fermetures ni licenciements... ?
Pour l'instant, les synergies sont optimales.
Derrière, nous allons former un groupe de travail jusqu'à
l'acquisition définitive en mars, et les duplications seront étudiées.
Mais il est trop tôt pour parler de surcapacité dans certaines
villes, puisque ce travail sera réalisé dans les trois prochains
mois. Pour les licenciements, c'est la même chose. Il est évident
que nous n'aurons pas deux services clients et deux systèmes de
facturation. Mais au niveau commercial, nous retrouvons des synergies,
car nous étions peu implantés sur la partie WholeSale (Opérateurs
et ISP), mais plus auprès des grands comptes et du marché
domestique. Au total, nous avions un peu plus de 100 000 clients
et nous arriverons à 165 000 clients au terme de l'acquisition.
Pensez-vous
que la consolidation va se poursuivre sur le segment des services IP ?
Infonet, par exemple, serait aussi concerné par des rumeurs de
rachat...
Je peux vous parler d'Ebone, mais sur Infonet
je n'ai pas d'informations prépondérantes. Ceci dit, parmi
les rachetés, on retrouve beaucoup de sociétés détenues
par d'autres opérateurs. Quant à Infonet, ils travaillent
beaucoup avec des accords de distribution en Europe où ils sont
peu présents. En France, leur force de vente a travaillé
avec celle de France Télécom. Au niveau des Pays-Bas, KPN
veut se débarrasser de sa part dans Infonet (17,7 %, ndlr).
Il est sûr que, en Europe, Infonet aura du mal tout seul à
faire face, et il y aurait une logique de concentration.
En fait, il faut regarder avec un peu de recul les problèmes de
toutes ces sociétés qui se basent sur des alliances. Le
point de départ de KPNQwest est intervenu quand KPN est sorti meurtri
de son expérience Unisource. Telefonica est parti rapidement, donc
il n'y avait plus de points de présence en Amérique du Sud,
puis AT&T est sorti en signant l'arrêt de mort d'Unisource.
Cela m'amène à vous parler de l'affaire plus récente
de BT Concert. Dans ces sociétés, le problème est
que la décision est difficile à prendre en cas de partenariats
entre des géants comme BT et AT&T. Ils ne profitent plus de
la vitesse, et sont pris par des problèmes politiques plutôt
que de réactivité du marché. Pour citer d'autres
exemples, il y a aussi eu l'affaire de Global One qui a éclaté
entre Sprint, Deutsche Telekom et France Télécom. A chaque
fois que ces gros acteurs ont voulu créer des alliances, elles
ont débouché sur des échecs. Je n'ai pas vu une seule
alliance de ce type fonctionner.
Quelles
sont pour vous les prochaines étapes ? D'autre part, Ebone semblait
en bonne santé et n'était pas forcément vu comme
candidat au rachat. Cette acquisition va-t-elle déséquilibrer
vos finances ?
La première étape sera de réussir
cette intégration. Ensuite, nous continuons de garder nos prévisions
pour le quatrième trimestre sur la partie KPNQwest, avec des revenus
de 780 millions d'euros et un Ebitda positif. Pour après,
nous avons une vision positive du dossier. Bien sûr qu'il nous faudra
tous les moyens. Nous récupérons en direct une base de 48 000 clients
à qui nous pourront vendre d'autres produits. Nous aurons des destinations
supplémentaires sans avoir sorti de cash, mais des obligations
convertibles. Nous avons émis du papier auprès des créanciers
de GTS a qui nous avons promis la rentabilité avec la distribution
d'un coupon annuel (paiement distribué, ndlr).
D'un point de vue financier, il faut regarder un certain nombre de critères
comme l'acquisition de parties complémentaires à nos infrastructures,
le fait d'augmenter nos affaires, avec une notion forte d'Ebitda
positif. Grâce à cela, nous pouvons anticiper le fait que
notre activité d'exploitation génère une trésorerie
positive qui nous permette de nous financer en interne. Souvent, une société
consomme plus d'argent qu'elle n'en génère. Pour nous, un
excédent brut d'exploitation positif est fondamental. Maintenant,
nous ne visons plus la rentabilité en 2004 mais en 2003.
D'abord, les analystes de la nouvelle économie ont commencé
à regarder le nombre de clients, puis le nombre d'abonnés
avant de se tourner vers les revenus, qui s'ils augmentent traduisent
un accroissement des parts de marché. Ensuite, ils se sont tournés
vers l'Ebitda - les sociétés qui ont commencé
à gagner de l'argent -, et enfin ils s'intéressent
au cash flow (excédent brut d'exploitation) car il est de plus
en plus difficile de se faire financer de l'extérieur. Nous concernant,
un point crucial est que cinq grandes banques, dont Dresdner, la Deutsche
Bank et Bank of America nous ont accordé une facilité de
trésorerie de 500 millions d'euros. Or, c'est une facilité
de caisse, et pas un endettement.
KPNQwest
racheté, est-ce un scénario plausible ?
Nous sommes acteur de la concentration. Notre
épicentre est en train de bouger. Dans le cadre du protocole entre
KPN et Qwest, Qwest a la possibilité avant fin mars de reprendre
tout le capital. Mais KPN dispose aussi d'un droit de préemption
même s'il attend mars. Je ne peux donc pas vous dire...
Avant d'être
nommé directeur général de KPNQwest en février 2000,
Eric Joulié est entré chez l'opérateur IP en 1999 comme
vice-président chargé du développement de l'activité commerciale sur l'Europe
du Sud. De 1995 à 1999, il a été successivement directeur
des ventes de la division "commerce spécialisé", puis directeur commercial
chez le spécialiste en sécurité électronique Sensormatic Corp. Après
avoir débuté sa carrière en 1985 en tant qu'ingénieur commercial au sein
de la division Finance du constructeur Unisys, il devient ingénieur commercial
senior chez Digital Equipment France en 1987, puis se voit confier en 1990
par l'opérateur AT&T la responsabilité de créer sa division "Grands systèmes
sous Unix".
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